Ces championnats du monde étaient évidemment bien plus que cette course finale destinée aux élites hommes. Ces Mondiaux à Hoogerheide ont confirmé la jeunesse triomphante chez les femmes, la force néerlandaise dans de nombreuses catégories et la bonne condition des Belges sur leur discipline favorite. Mais comme sur bon nombre d’épreuves de cet hiver, le public attendait avant tout le duel annoncé entre les deux stars de la discipline depuis près de dix ans : le Néerlandais Mathieu Van der Poel et le Belge Wout van Aert. Plus de 40 000 personnes avaient pris rendez-vous ce dimanche dans la cuvette de Hoogerheide pour profiter de ce combat teasé tout au long de l’hiver. Et pas de chance pour leurs concurrents : dès le premier tour, les deux favoris caracolaient en tête pour un combat d’une heure à toute berzingue.
Et devant un public en verve pour saluer ces deux combattants pour l’arc-en-ciel, Mathieu Van der Poel assurait tant le spectacle que Wout van Aert. Le Néerlandais tentait de surprendre son rival belge dans les quelques montées de ce circuit rapide. Sans succès. Une tentative par surprise sur l’un des ponts à grimper ? Pas plus. Un essai à la sortie des fameuses planches qui ont tant fait parler tout au long du week-end ? Toujours pas. Van Aert perdait bien quelques mètres, mais recollait tout aussi rapidement. “Je ne voulais pas rendre la course trop facile, je voulais donc accélérer dans les parties montantes”, explique Mathieu Van der Poel. “Cela me donnait aussi de la confiance en vue d’un éventuel sprint. Je sais que tout le monde s’attendait à ce que j’accélère sur les côtes. Mais c’était trop téléphoné”.
Iserbyt : “Je ne voulais pas rentrer”
Les deux hommes de tête semblaient même se regarder dans les trois derniers tours, préférant retrouver le souffle à l’aube d’un final haletant. Cela permettait presque à Eli Iserbyt et Lars van der Haar, partis en poursuite, de revenir de 35 à 15 secondes du duo de leaders. Et si la surprise venait de ces outsiders ? “Quand Michael (Vanthourenhout) et Gerben (Kuypers) ont tenté d’attaquer, je savais que Lars (van der Haar) allait tenter de revenir. J’ai juste suivi son attaque. Je l’ai laissé courir sa propre course”, raconte Iserbyt, dans la course pour le bronze. “Lars voulait vraiment essayer de rentrer, il m’a demandé de prendre un relais. Mais je ne pense pas que c’était une bonne idée, je n’avais pas l’intention de rentrer en tout cas. Si Lars recollait, ce n’était pas une bonne position pour l’équipe belge”.
Van der Poel : “J’avais un autre plan”
Dans le dernier tour, Wout van Aert reprenait du poil de la bête, enchaînant les accélérations et coinçant Mathieu Van der Poel en deuxième position. L’idéal avant les planches, sur lesquels aucun des deux n’osait attaquer. Le sprint attendu pour conclure cette bataille d’une heure allait se concrétiser. “Je pense que tout le monde s’attendait à ce que j’attaque sur les planches. Et finalement, j’avais un autre plan. Wout ne s’y attendait pas”, confie le Néerlandais. Dans son jardin, sur cette côte de 300 mètres menant jusqu’à la ligne d’arrivée, Mathieu Van der Poel sortait en puissance de la roue de Wout van Aert pour lui prendre deux, trois mètres que Wout van Aert ne parvenait jamais à récupérer. La victoire était dans la poche, la cinquième sur un championnat du monde élite ! “J’ai rapidement senti que je n’allais pas lâcher Van Aert facilement. J’ai essayé de lui faire mal quelques fois, mais cela n’a pas fonctionné. L’objectif était d’être dans sa roue avant le sprint, je devais donc essayer de le surprendre et de prendre l’avantage qu’il avait”, ajoute Van der Poel, heureux mais toujours calme au moment de décrire sa stratégie et ses émotions.
Les deux hommes se tapaient directement dans la main, un signe de respect entre deux champions qui n’ont cessé de se battre pour le prestige. “C’est difficile de décrire ce que je ressens. Tout le monde pensait que ça allait se terminer au sprint… C’est certainement dans le Top 3 de mes plus belles victoires”, lance Van der Poel, conscient d’être revenu de loin pour s’offrir cette nouvelle tunique irisée. Ses problèmes de dos, durant la période des fêtes de fin d’année, avaient failli le remettre une nouvelle fois sur le côté pour le reste de l’hiver. Un stage en Espagne a finalement aidé à le remettre sur pied. Avec succès, en attestent ses succès à Benidorm, Besançon et Hoogerheide. “J’ai eu deux, trois semaines pour travailler sur mon dos, avec des traitements, des exercices spécifiques. J’étais à la gym quasiment tous les jours, je faisais d’autre chose que le vélo. Cela m’a beaucoup changé, mais cela m’a finalement aidé. Tout le monde a vu durant la période des fêtes que Wout (van Aert) était bien plus fort que moi. J’ai essayé de tourner le bouton en mode “off” en Espagne pour retrouver la confiance”, confie le nouveau champion du monde des labourés.
Van Aert : “Mathieu m’a vraiment surpris”
Sur la deuxième marche du podium, Wout van Aert faisait logiquement la moue. Cette deuxième place est amère au vu de la saison réalisée et du scénario de la course. Mais elle n’est pas due au hasard, comme il le rappelle : “Mathieu m’a vraiment surpris en n’essayant pas d’attaquer sur les barrières. Dans mon esprit, je m’attendais d’être en deuxième position en vue du sprint, au mieux dans sa roue ou un peu plus loin. J’étais concentré sur ce scénario, et j’étais un peu confus après ça. Du coup, j’ai oublié de bien gérer mon sprint”, explique-t-il d’abord à propos de son propre état de forme. Avant de jauger son adversaire : “En y regardant a posteriori, j’aurais peut-être pu lancer mon sprint dès la sortie du dernier virage, j’aurais pu avoir de meilleures sensations. Mais les choses arrivent pour une raison. Et comme je l’ai dit, j’étais déjà à la limite depuis le départ. Mathieu était plus fort que moi, je pense. J’aurais pu gagner, évidemment, car on était ensemble, mais Mathieu a finalement réussi à me surprendre”.
Malgré toutes les offensives tentées durant la course, c’est surtout cette dernière ligne droite qui restera dans les esprits : “J’ai été surpris d’être en tête avant la dernière ligne droite, le mieux aurait été d’être en deuxième position. Mathieu était le plus fort, mais je pouvais aussi gagner cette course. Mais c’est ma faute”, se désole Wout van Aert, conscient d’avoir manqué une grande opportunité sur un circuit de Hoogerheide qu’il n’a jamais réussi à dompter.
Van der Poel : “J’adore toujours ces duels”
Mais si le public attend avec impatience ces joutes entre Van der Poel et Van Aert, les deux hommes apprécient-ils également celles-ci ? “J’adore toujours ces duels. C’est moins intéressant si l’un de nous deux s’isole facilement”, indique le champion du monde. “Et cela risque encore de durer quelques années sur la route et en cyclo-cross. Il y a de la frustration si on est battu par l’autre, mais je pense qu’on sera content en fin de carrière de se rappeler ces bons moments”, ajoute-t-il. Même Eli Iserbyt, finalement troisième devant Van der Haar, affichait sa bonne humeur en conférence de presse à propos de ces bagarres entre stars de la discipline : “Pour moi, personnellement, cette troisième place est un beau résultat. Je mettrai la photo du podium au-dessus de mon lit avec les signatures de Wout et Mathieu. Comme ça, je pourrai prendre ma retraite”, sourit le coureur belge, provoquant même quelques rires de la part de Wout van Aert et Mathieu Van der Poel.
Ces deux derniers se retrouveront le 4 mars prochain en Italie, sur le Strade Bianche, afin de lancer leur saison sur route. Pour enchaîner de nouvelles bagarres épiques entre chouchous du public. En espérant qu’elles soient aussi impressionnantes que durant cet hiver de cyclo-cross. La conclusion était en tout cas de haut niveau. Pour le bien de ce sport.
Les résultats de la course des élites hommes des championnats du monde de cyclo-cross 2023 à Hoogerheide :
