Le nouvel accord paritaire entre cyclistes et équipes devrait être un sujet de discussions

La passe d’armes entre Chloe Hosking et Adam Hansen sur l’accord paritaire dans le peloton masculin rappelle la fragilité du modèle économique du cyclisme contemporain.
Le peloton masculin sur le Tour de Lombardie - Photo : RCS Sport/La Presse/Marco Alpozzi
Le peloton masculin sur le Tour de Lombardie – Photo : RCS Sport/La Presse/Marco Alpozzi

Le soleil d’Espagne, les kilomètres qui s’enchaînent, les nouvelles tenues qui colorent le peloton, les transferts incertains, l’enchaînement dans les labourés… Cet hiver est particulièrement animé et l’actualité cycliste ne manque pas pour réveiller les amatrices et amateurs de la Petite reine. Et pourtant, certaines informations restent parfois sous le radar, faute d’attention ou de médiatisation, c’est selon. À l’image de cette publication de la cycliste australienne Chloe Hosking, le 5 décembre dernier. Victime de l’abandon de l’équipe morte-née de Jérôme Pineau, la sprinteuse a depuis lors enchaîné les critériums, courses sur route et de gravel entre l’Australie et les États-Unis, créé sa propre marque de vélos avec son mari, et poursuivi son travail de défense des cyclistes professionnels, comme elle l’a toujours fait depuis le début de sa carrière. L’Australienne de 33 ans, vainqueure de La Course by le Tour de France, de la Cadel Evans Great Ocean Road Race et de multiples courses du WorldTour féminin, veut être la voix de celles et ceux qui ont moins d’opportunités qu’elle dans un monde cycliste qui a encore du mal à protéger certaines catégories de sportives et sportifs.

Dans sa publication du 5 décembre, Chloe Hosking est revenue sur un accord qui reste méconnu du grand public : un accord paritaire signé entre les Cyclistes Professionnels Associés (CPA, unique syndicat dans le peloton masculin) et l’Association Internationale des Groupes Cyclistes Professionnels (AIGCP, représentant des équipes) et destiné à établir des conditions travail minimales et adéquates pour les coureurs. Un tel texte négocié n’est par ailleurs pas encore mis en place chez les femmes, notamment en raison de tensions avec le CPA Femmes, on y reviendra plus en aval.

Un salaire minimum qui “ne suit pas l’inflation”

Cet accord paritaire est un levier de négociation important pour les cyclistes, afin d’améliorer leurs conditions de travail, tant au niveau financier que du bien-être et de la sécurité. Et c’est là que le bât blesse selon Chloe Hosking sur son site et son compte X (anciennement Twitter). Rien qu’au niveau du salaire minimum annuel, l’Australienne s’étonne du fait que l’inflation n’a pas été prise en considération. En 2018, le salaire minimum était de 38 115 euros brut pour un salarié et de 62 509 euros brut pour un indépendant (les contrats indépendants sont encore courants dans le peloton). En 2024, ces montants passeront à 42 407 euros pour les salariés et 68 957 euros pour les indépendants. Selon Hosking, cela ne tient pas compte de l’inflation de 1,18 par rapport à six ans plus tôt. Les chiffres qu’elle donne semblent toutefois plus élevés que ce qu’indique l’inflation, mais même en calculant une inflation à 1,18 depuis 2018, les salaires proposés en 2024 sont en effet en deçà (44 975 pour des salariés et 73 760 pour les indépendants). Et si certaines équipes font mieux que cela et proposent déjà des salaires minimum plus élevés et même des rémunérations équivalentes entre les femmes et les hommes, il est difficile de mettre la pression sur une direction si la commission paritaire ne propose pas un salaire minimum à la hauteur des conditions de vie actuelles.

Chloe Hosking continue en s’indignant du fait que les cyclistes ne disposent d’aucune compensation pour l’utilisation de leurs données, comme celles concernant leur puissance, leur fréquence cardiaque ou autres, affichées en temps réel en télévision ou sur Internet. L’utilisation de leurs données dans le cadre de revenus potentiels n’est pas reprise non plus dans l’accord paritaire. Concernant la sécurité, enfin, elle affirme qu’aucune nouvelle mesure n’a été implémentée malgré de récentes tragédies, comme le décès de Gino Mäder sur le Tour de Suisse. Aucune augmentation significative des primes d’assurance n’a non plus été constatée.

“Travailler ensemble pour avancer”

Face à ces informations, le président depuis mars dernier du CPA, l’Australien Adam Hansen, a rapidement dégainé sur X pour répondre à plusieurs points évoqués par Chloe Hosking. Il convient que l’accord paritaire méritait une mise à jour puisque que les dernières négociations dataient de 2018, d’une époque pré-pandémie. Ce sont d’ailleurs toujours ces chiffres qui sont affichés sur le site du CPA, qui n’a plus été mis à jour depuis… l’élection d’Adam Hansen en mars dernier. L’ex-professionnel insiste sur le fait que les chiffres donnés par Chloe Hosking concernant l’inflation des salaires ne sont pas clairs à ses yeux et pointe que la hausse des rémunérations sera de 5 à 10 % entre 2023 et 2025. Il affirme par ailleurs que les primes d’assurance autour des voyages et de la sécurité des coureurs couvriront désormais mieux les cyclistes. Les équipes bénéficiaient parfois de zones grises pour éviter de payer certaines couvertures lors de courses au Canada, en Chine et en Australie. Celles-ci seront désormais effacées, promet Hansen, ce qui devrait renforcer la sécurité du peloton masculin.

« Je sais que tu penses que je ne t’aime pas, mais c’est loin d’être la vérité. Tu étais (sic) une cycliste qui osait s’exprimer et nous avons besoin de femmes comme toi qui ose parler. Et comme tu le sais certainement, beaucoup de cyclistes, hommes ou femmes, ne le font pas assez. Je serais très heureux de m’asseoir avec toi et d’en discuter. Je pense que ce sera bien plus productif. Tu as mon numéro. Appelle-moi et nous pourrons travailler ensemble pour avancer », a-t-il ajouté dans son message à destination de Chloe Hosking.

Adam Hansen a également affirmé avoir demandé en avril le lancement de négociations entre les cyclistes et les équipes du peloton féminin, mais qu’il n’a reçu aucune réponse. Cela émane principalement du fait que le syndicat CPA n’a pas la même position hégémonique du côté féminin. Face à un manque de représentativité évoqué par beaucoup de coureuses, plusieurs d’entre elles ont créé leur propre syndicat, The Cyclists Alliance. Celle-ci rappelle qu’il n’y a pas d’organisation du type de l’AIGCP dans le peloton féminin, ce qui rend l’introduction d’un accord paritaire quasiment impossible.

Une économie fragile

Ces querelles évoquées en public rappellent que le cyclisme professionnel est encore loin d’être un sport parfaitement structuré et bâti pour ses sportives et sportifs. Son modèle économique ne se basant quasiment que sur le sponsoring rend les marges de manœuvre limitées. Il est en effet difficile de faire grimper les salaires si chaque équipe risque de disparaître l’année suivante, en attestent les dernières péripéties entre Soudal Quick Step et Jumbo-Visma. Et dans le même temps, il faut des règles claires et des accords équitables pour permettre à des professionnels qui ne peuvent vivre que cinq à quinze voire vingt ans (dans de rares exceptions) de leur sport de ne pas se retrouver le bec dans l’eau au terme de leur carrière. C’est encore plus le cas dans un peloton féminin encore en pleine expansion, mais où les contrats en deuxième division sont encore parfois nébuleux. C’est même encore le cas chez les hommes, avec des histoires confirmées de coureurs contraints d’amener des sponsors avec eux pour leur permettre de rouler avec une équipe. Un accord paritaire et les négociations qui vont avec doivent justement permettre d’éviter ce type de marchandage et mieux protéger celles et ceux qui font avant tout ce sport, qui se démènent pour offrir un spectacle qui n’existerait pas sans eux. C’est là un fameux levier de négociation. Encore faut-il que les bons intermédiaires se mettent autour de la table pour les protéger au mieux.


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