Jumbo-Visma limite la casse, Pogacar vole… : les pavés ont encore bousculé les idées reçues du Tour de France

L’Australien Simon Clarke (Israel Premier Tech), sans contrat en début d’année, s’est offert sa première victoire d’étape sur le Tour de France au bout d’une journée épique sur les pavés. Pendant que la Jumbo-Visma a failli couler mais repart finalement avec le maillot jaune et un leader désormais pointé.
Joie Simon Clarke Vainqueur - 5e étape Tour de France 2022 - ASO Pauline Ballet
L’Australien Simon Clarke (Israel Premier Tech) célèbre sa victoire sur la 5e étape du Tour de France 2022 – Photo : ASO/Pauline Ballet

La chance, ça se travaille. L’adage se veut pertinent dans un monde cycliste qui vit tant de la capacité à se dépenser sans compter sur le plan physique, que du matériel à bien choisir et entretenir en vue de chaque compétition. Avoir de la chance ne suffit pas, il faut aussi favoriser le terreau de l’aubaine. Ce n’est pas pour rien qu’à Lille, le branle-bas était sonné dans tous les bus : quels vélos choisir pour cette étape traversant les secteurs pavés cassants du Nord ? Quelle pression pour les pneus ? Quels types de pneus ? Freins à disque ou à patins ? Certaines équipes, comme Quick-Step Alpha Vinyl, allaient jusqu’à choisir les vélos construits pour Paris-Roubaix afin d’assurer un résultat sur ces routes qui sourient d’habitude aux spécialistes du printemps. Cette fois, l’exercice est tout autre : pendant que certains imaginaient déjà une offensive pour obtenir une précieuse victoire d’étape, d’autres devaient organiser la protection des leaders du classement général, les moins habitués à ces pavés et les plus importants dans la hiérarchie du Tour.

La chance, les trois échappés partis après seulement un kilomètre de course dans la banlieue lilloise l’ont clairement saisie. « Déjà durant l’hiver, je songeais à cette étape et pensais à prendre l’échappée aujourd’hui. J’avais reconnu les pavés et le départ, je savais donc précisément où lancer mon attaque, un kilomètre après le départ réel », confie le solide rouleur néerlandais Taco van der Hoorn (Intermarché-Wanty-Gobert), sorti avec l’inarrêtable maillot à pois Magnus Cort Nielsen (EF Education-EasyPost), pour sa quatrième échappée en… quatre étapes, et le Norvégien Edvald Boasson Hagen (TotalÉnergies). L’Australien Simon Clarke (Israel Premier Tech), le Français Alexis Gougeard (B&B Hôtels-KTM) et l’Américain Neilson Powless (EF Education-EasyPost) les rejoignaient vingt kilomètres plus loin après une longue partie de manivelles avec un peloton nerveux et rapide (plus de 51 kilomètres couverts lors de la première heure de course).

Echappée Magnus Cort Simon Clarke Pavés - 5e étape Tour de France 2022 - ASO Charly Lopez
Magnus Cort Nielsen (EF Education-EasyPost) et Simon Clarke (Israel Premier Tech) mènent l’échappée sur les pavés lors de la 5e étape du Tour de France 2022 – Photo : ASO/Charly Lopez

Van Aert : « Des routes trop dangereuses »

La chance, elle semblait quitter la Jumbo-Visma en ce début d’après-midi. Pointé au milieu du peloton, le maillot jaune Wout van Aert se retrouvait au sol lors d’un rétrécissement qui amincit le peloton et réduit l’espace. Au lendemain de son envolée dans le Calaisis, le Belge faisait la grimace. « Au début, je n’aimais pas vraiment être à l’avant de la course, les routes étaient selon moi trop dangereuses », explique-t-il. « Tout le monde attendait les pavés et était stressé, il y avait donc beaucoup de mouvements à l’approche des villages, avec beaucoup d’obstacles sur la route. Je préférais alors ne pas prendre de risques. Et au moment où je me suis dit que j’allais un peu reculer pour éviter ces risques, j’ai chuté à cause d’un rétrécissement. Je me suis un peu blessé, j’ai aussi perdu un peu de confiance nécessaire pour me remettre en position à l’avant du peloton », résume le coureur d’Herentals, longtemps arrimé à l’arrière du peloton malgré l’approche de secteurs pavés qui font d’habitude son bonheur.

La chance évitait clairement les « abeilles ». À 36 kilomètres de l’arrivée, crevaison de la roue arrière pour le Danois Jonas Vingegaard (Jumbo-Visma). Le chaos s’empare de la formation néerlandaise : le leader du Nord se voit proposer la machine de Nathan Van Hooydonck, vingt centimètres plus grand que lui. La bécane est bien trop imposante pour ses jambes. Dans la panique, Steven Kruijswijk s’arrête pour céder son vélo au Danois. Mais avant qu’il se relance, Vingegaard voit la voiture de son équipe enfin arriver pour lui céder son vélo de rechange. Une minute de débours à encaisser sur cet épisode malheureux : «On a dit à tout le monde d’attendre pour assurer la poursuite, sauf Laporte qui devait rester avec Roglic», résume le directeur sportif de Jumbo-Visma Grischa Niermann au micro de la VRT. Mais dix kilomètres plus loin, Roglic était victime d’un ballot de paille, normalement chargé de protéger les coureurs. Déplacé par une moto à la sortie d’un rond-point, Stefan Küng (Groupama-FDJ) devait l’éviter de justesse, mais Caleb Ewan (Lotto-Soudal), derrière, ne pouvait suivre. Soleil et voici aussi Jack Haig (Bahrain Victorious) et Roglic à terre. Le Slovène se luxe l’épaule et se la remet en place en deux minutes pour repartir… derrière le groupe Vingegaard. Il sera finalement accompagné de Van Hooydonck et Tiesj Benoot pour assurer la poursuite en deuxième rideau.

Pogacar : « Chanceux que rien ne m’arrive »

La chance, elle était plutôt du côté de Tadej Pogacar. Mais lui s’est surtout saisi de cette chance sans tergiverser. Malgré des équipiers absents sur les pavés, le Slovène se plaçait toujours dans les cinq premiers du peloton des favoris sur chaque secteur. Avant même d’attaquer avec Jasper Stuyven (Trek-Segafredo) à moins de vingt bornes du but. « J’ai été chanceux que rien ne m’arrive. Mon équipe m’a bien soutenu avant l’entrée dans les pavés et ensuite, il s’agissait de suivre le mouvement. Dès qu’il y avait une attaque dans le final, j’essayais de suivre. Stuyven était fort », sourit le double tenant du titre. « L’objectif de l’étape du jour était plutôt de survivre et de ne pas perdre du temps. J’en ai finalement gagné un peu », ajoute «Pogi», qui n’est pas passé loin de récupérer le maillot jaune. Son ultime offensive a toutefois été annihilée par la grande poursuite menée par Laporte et essentiellement Van Aert, au côté de Vingegaard. Finalement, seuls 13 secondes ont séparé le Slovène du Danois sur cette étape infernale. Roglic, lui, pointe à plus de deux minutes. Au moins, les rôles des deux leaders de la Jumbo-Visma sont bien cernés.

La chance revenait tout de même dans le clan Jumbo-Visma grâce au travail… de Van Aert. Avec sa poursuite derrière Pogacar, le coureur belge s’est ainsi rapproché de l’échappée matinale et a évité la perte de son maillot jaune pour 13 secondes sur le mieux classé à l’avant, Neilson Powless. « Ce n’était pas la journée qu’on espérait en tant qu’équipe. Mais il faut s’adapter et continuer à se battre», résume Van Aert. « Finalement, je garde le maillot jaune, mais c’était une grande surprise pour moi d’entendre cela à l’arrivée. J’étais tellement à l’arrière que je ne pensais plus au maillot en fait. Je ne sentais pas que j’avais des jambes puissantes dans le final, mais c’est chouette d’avoir encore ce maillot pour une journée de plus, en prime en Belgique ». La fête n’en sera que plus belle à Binche, ce jeudi.

Wout van Aert Maillot jaune - Pavés 5e étape Tour de France 2022 - ASO Pauline Ballet
Le maillot jaune Wout van Aert (Jumbo-Visma) sur les pavés de la 5e étape du Tour de France 2022 – Photo : ASO/Pauline Ballet

Clarke : « J’ai déménagé pour une victoire sur le Tour »

La chance, Simon Clarke a su la saisir en début d’année. Sans équipe, il a signé à la mi-janvier avec l’équipe Israel Premier Tech. Un contrat d’une saison à peine, mais suffisant pour lui permettre de montrer l’étendue de son talent. « Cela vous fait prendre conscience de la réalité de ce sport, de la nécessité de saisir chaque opportunité. Chaque proposition, chaque victoire. Je donne le maximum depuis lors pour les remercier », confie l’Australien, vainqueur d’un sprint particulier face à Powless, Boasson Hagen et Van der Hoorn, tous à la rupture. « J’ai essayé de laisser à Boasson Hagen juste assez d’espace pour qu’il pense que je n’avais plus les jambes. Il a mordu à l’hameçon et j’ai ensuite dû mener une grosse poursuite pour rentrer sur Boasson Hagen et sur Van der Hoorn ensuite. (…) Taco a lancé un sprint puissant, il était bien devant moi, je ne croyais pas que j’allais pouvoir le déborder. Puis je suis revenu et j’ai réalisé le meilleur jet de vélo que je pouvais », raconte-t-il. « J’ai déménagé en Europe pour gagner une étape sur le Tour et j’ai finalement dû attendre mon 36e anniversaire, qui arrivera au second jour de repos. C’est un rêve devenu réalité pour moi ».

La chance, Taco van der Hoorn pensait la tenir jusqu’à la révélation de la photo-finish. Celle-ci confirmait pourtant bien sa deuxième place. Un an après son exploit du Tour d’Italie, l’échappée du jour n’était cette fois pas victorieuse. « Je me sens comme une merde… Vraiment comme une merde… C’était si proche. J’ai failli gagner une étape, je suis très déçu », se lamente-t-il, le visage grisé par la poussière et l’effort. « On était sur la route avec de bons rouleurs, on n’a pas dû aller à fond toute l’étape, car le peloton était plus dans le contrôle pour les leaders. Je savais qu’on avait une grande chance de gagner. À la fin, je pense que j’ai bien joué mon coup, mais Simon (Clarke) était plus rapide, j’ai peut-être fait une petite erreur et c’était fini… », ajoute celui qui espérait offrir à son équipe une première victoire sur le Tour, la veille d’un départ à Binche qui sonnera comme une nouvelle occasion de célébrer la réussite de la formation hennuyère de Jean-François Bourlart.

Résultats de la 5e étape de la 109e édition du Tour de France (Lille > Arenberg-Porte du Hainaut, 157 km) :

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