Mes parents habitant la région hutoise depuis plus de trente ans, j’ai une sensibilité particulière pour la Flèche Wallonne. C’est la classique qui m’a donné cet amour pour le cyclisme, celle grâce à laquelle je pouvais rencontrer le peloton chaque année. Sur la côte d’Amay, celle de Villers-le-Bouillet (à l’époque), sur le Mur de Huy. Heureux comme jamais de les voir foncer à plus de 40 km/h sur ces routes que je m’efforçais d’arpenter sur mon VTT. Et encore plus heureux de rencontrer ces sportifs qui me faisaient vibrer, après la course, près des bus et des camping-cars qui s’amoncelaient à Huy. Le troisième mercredi d’avril, c’était sacré. Mon école primaire était en plus au pied du Mur de Huy et il n’était pas rare, dès la veille, de voir ces cyclistes s’entraîner, s’arrêter pour une photo ou un autographe. Alors, chaque année, l’approche de la Flèche Wallonne est pour moi une période toujours spéciale. Et ce même si cette course n’a pas l’aura d’un monument et est même souvent décriée pour son scénario souvent préétabli. Car le peloton s’homogénéise, car les puncheurs sont de plus en plus nombreux à avoir les qualités pour briller sur de telles pentes, car le circuit a peu évolué ces dix dernières années, car les équipes des favoris connaissent les endroits stratégiques pour éviter le piège.
La Flèche Wallonne est ainsi faite : depuis 1989, le Mur de Huy est son juge de paix. Et depuis lors, l’épreuve a évolué vers une course de côte. Et ce malgré les différentes tentatives de l’organisation de bouleverser cette arrivée attendue. Double puis triple ascension du Mur, passage par la descente tortueuse du Fond d’Oxhe (désormais évitée vu l’état de la route qui avait envoyé plusieurs coureurs au tapis à l’époque), ajout de la côte d’Ereffe, puis de la côte de Cherave, à moins de cinq kilomètres du pied du Mur de Huy. Et malgré tout, le peloton arrive très souvent à quelques dizaines pour se disputer la victoire finale.
Ce scénario historique frustre certains supporters et observateurs de la Petite reine, désireux de toujours plus de spectacle, toujours plus de suspense. Et la tendance de ces dernières saisons, avec des attaques au long cours et des leaders prêts à se découvrir bien plus tôt que le dernier kilomètre, ne se traduit pas sur la Flèche Wallonne. Pourtant, la classique mosane a son charme, précisément pour cette arrivée au Mur de Huy. Car aujourd’hui, les courses d’un jour se clôturant sur une arrivée en côte deviennent rares. Parmi celles du WorldTour, la Flèche Wallonne est même quasiment la seule, si on considère la montée finale vers le centre de Sienne comme une arrivée en côte sur le Strade Bianche. Ces arrivées pour puncheurs ou grimpeurs sont devenues l’apanage des courses par étapes, où ces spécialistes se bousculent. La course d’un jour offre pourtant cette incertitude, et ces bouleversements tactiques qui permettent de rêver d’autres issues qu’un simple combat entre purs leaders. La Flèche Wallonne, aussi attendue soit-elle, offre cette possibilité aux outsiders. Et il n’est pas exclu qu’une échappée re-parvienne à surprendre le peloton dans un grand jour.
En attendant, le Mur de Huy reste une exception dans le calendrier actuel et peut encore continuer à l’être longtemps, pendant que d’autres monuments s’échinent à trouver trucs et astuces pour raviver le spectacle. Au moins, sur le Mur, le spectacle est assuré chaque année dans ces 1 300 derniers mètres du Chemin des Chapelles. Et l’organisation peut toujours chercher de nouvelles ascensions et autres routes pour surprendre le peloton. Mais le Mur de Huy en ultime juge de paix reste un indispensable. Pour le bonheur des spécialistes des courses de côte. Car il en faut aussi dans ce calendrier.
