Si l’Union Cycliste Internationale interdit toute signature de contrat d’un nouveau coureur d’ici le 1er août, date d’ouverture du mercato cycliste, les plus grandes négociations autour d’éventuels transferts se mettent en place en ce mois de juillet, alors que le Tour de France bat son plein. Cette année, le coronavirus a toutefois bouleversé le marché de la Petite reine. Entre sponsors qui tentent de survivre face à la crise et contrats juteux obtenus grâce à des multimillionnaires, le peloton sera complètement déboussolé au terme du prochain hiver.
La saison 2020 de cyclisme sur route, tant chez les femmes que chez les hommes, a été largement impacté par la pandémie mondiale de Covid-19. Des dizaines de courses ont été annulées, des dizaines d’autres ont été déplacées en fin de saison pour assurer un minimum de compétitions sportives ; des équipes sont passées au régime drastique, limitant les salaires durant de longs mois d’inactivité ; des cyclistes ont vu leur saison se limiter à des balades sur Zwift et autres applications d’entraînement d’intérieur…
Malgré ces contraintes économiques et sanitaires, le cyclisme s’en est sorti honorablement. Cette saison 2020 a pu partiellement se tenir, sur des règles sévères. Avec la bonne volonté d’organisateurs décidés à poursuivre leur épreuve sans public ni VIP, les principales courses du calendrier ont pu se tenir tant pour les femmes que pour les hommes. Et au vu de la situation sanitaire actuelle, la saison 2021 pourrait débuter sous les mêmes augures.
Les partenaires en difficulté
Pour les coureuses et coureurs, l’important était de pouvoir faire son métier sur les quelques épreuves encore disponibles (60 % chez les hommes, près de 40 % chez les femmes), et d’afficher au plus vite sa meilleure condition physique pour sécuriser un contrat pour 2021 dans ce contexte économique défavorable. Car le cyclisme sur route dépend principalement des entreprises qui acceptent de sponsoriser les équipes pour un montant suffisamment conséquent pour espérer un retour sur investissement tout aussi important. Et ces entreprises ont également subi de plein fouet la pandémie de Covid-19, qui a réduit les carnets de commandes, affecté la production et bouleversé le fonctionnement de bon nombre d’usines et/ou bureaux.
En début de pandémie, il était difficile d’imaginer certaines équipes cyclistes s’en sortir vu l’incertitude autour de la tenue des courses cyclistes programmées en 2020. Même les équipes belges historiques Lotto-Soudal et Deceuninck-Quick Step avouaient leur fragilité quant à leur avenir dans le peloton.
Des salaires non-payés
Les problèmes de payement de salaires ne datent d’ailleurs pas du Covid-19. En 2019, les équipes Astana, Bahrain-Merida (avant qu’elle devienne Bahrain-McLaren) ou Katusha-Alpecin ont eu du retard pour payer les salaires en temps et en heure. L’Union Cycliste Internationale a dû intervenir pour taper sur les doigts des dirigeants et rassurer les salariés. Car ces entreprises ne payent pas forcément d’un coup pour une saison complète, mais payent souvent en plusieurs fois, principalement par trimestre. Ce qui peut mener à un certain stress pour les dirigeants, même des principales équipes WorldTour.
La situation fut encore plus dramatique en octobre dernier, avec la disparition soudaine de l’Équipe Paule Ka, dans le peloton féminin, suite au non-payement du sponsor principal depuis la reprise de la formation suisse en juin 2020. Avant même la fin de la saison, une trentaine de personnes se sont retrouvées sur le carreau. La faute à une dépendance claire à des entreprises qui, si elles tirent la prise, mettent en danger tout un écosystème.
Jusqu’à 600 000 euros de vélos en plus
Ce n’est pas tout : la pandémie de Covid-19 a également mené à des pénuries chez les fabricants de vélos. Ceux-ci ont connu un boost de leurs ventes au printemps dernier, suite au premier confinement dans la plupart des pays européens. Cependant, les matières premières viennent à manquer, et ces fabricants sont aujourd’hui contraints d’annoncer des délais hors-normes pour la production de leurs futurs machines. Ce qui met à mal l’investissement de ces marques quand elles sont partenaires d’une équipe cycliste (comme Scott ou Trek). Et met à mal également les équipes cyclistes professionnelles, qui ont besoin de dizaines de vélos pour la prochaine saison, et qui doivent désormais faire face à des surcoûts, soit un nouvel impact sur le budget de la prochaine saison.
Christophe Brandt, patron de l’équipe Bingoal-Wallonie Bruxelles, a fait le bilan dans les quotidiens du groupe Sudpresse : après un accord conclu avec l’Irlandais Vitus finalement abandonné suite au Brexit, il s’est tourné vers les cycles italiens De Rosa pour une commande de 120 machines. Soit un budget de près de 600 000 euros supplémentaires, car ces équipementiers ne prêtent plus leur matériel mais demandent un paiement direct, pour faire face aux pertes suite au Covid-19.
La « classe moyenne du peloton » touchée
Bref, la situation économique est tendue, dans le monde cycliste également. Cela a eu des conséquences sur le marché des transferts, d’habitude ouvert le 1er août. Les contrats se négocient d’habitude bien plus tôt, à l’aube du Tour de France, voire en pleine Grande Boucle pour le peloton masculin. Cette fois, la saison sur route n’a repris que fin juillet, gelant toute négociation d’ici l’été. Certains transferts ont été annoncés très tôt, comme la venue de Chris Froome chez Israel Start-up Nation, mais ceux-ci sont exceptionnels, et ne représentent pas du tout la majorité des négociations du peloton. La preuve : au 6 décembre 2020, 43 coureurs du WorldTour sont toujours officiellement sans contrat, alors qu’à l’accoutumée, tous savent au mois de décembre quelle sera leur destination pour la saison prochaine.
Il est vrai, la disparition de l’équipe CCC, en raison des difficultés économiques du géant polonais de la chaussure et de la maroquinerie, a pesé sur les négociations, tout comme l’annonce de la possible disparition de l’équipe NTT Pro Cycling, finalement sauvée grâce à l’arrivée de l’entreprise suisse ASSOS. Mais les leaders ont rapidement pu retrouver une place dans ces formations du top ou même du niveau continental pro, sans que leur salaire soit forcément touché par la crise, rapportent bon nombre d’agents.
Toutefois, comme l’explique le patron de l’agence Squadra Sports Dries Smets (en charge de Julian Alaphilippe, Philippe Gilbert ou encore Greg Van Avermaet) dans les quotidiens du groupe Sudpresse, « la classe moyenne du peloton » paye plus fort cette crise en 2021, tout comme les équipes féminines et les équipes de formation, comme celle d’Axel Merckx, qui a finalement trouvé les partenaires nécessaires pour assurer une prochaine saison aux niveaux américain et européen.
« La saison était très courte »
Cette classe moyenne, loin des plus hauts salaires du peloton, a dû enchaîner les réunions et les négociations pour s’assurer une place en WorldTour ou au niveau juste inférieur. Le Suisse Silvan Dillier, une valeur sûre de l’équipe Ag2r-La Mondiale sur les classiques, explique ainsi à Cyclingnews qu’il a connu quelques nuits difficiles à l’aube de ce mercato, notamment suite à un test Covid-19 positif à quelques jours du Strade Bianche, qui a ouvert la nouvelle saison des classiques, le 1er août dernier. « La saison était très courte, donc on n’avait que quelques opportunités. Si on manque une course, alors c’est fini. […] C’était mentalement et physiquement plus dur – tu essayes de donner un peu plus que tes performances habituelles. Il n’y a aucune course que tu peux utiliser comme préparation pour d’autres courses », confie Dillier, qui a finalement signé avec Alpecin-Fenix, après sept saisons dans le WorldTour.
D’autres, comme le Luxembourgeois Jempy Drucker, reconnu pour sa fiabilité en tant qu’équipier sur les courses flandriennes, se sont vus reprocher leur âge ou leur saison en dents de scie. Une saison, pour rappel, déplacée d’août à novembre, avec seulement trois mois de courses intenses enchaînées sans véritable repos. Il fallait donc performer vite et bien, au risque de découvrir le stress d’un mercato sur le banc de touche.
« Un quart de leur contrat »
Le Sud-Africain Reinardt Janse van Rensburg, qui a récemment prolongé son contrat d’un an avec le Team Qhubeka ASSOS, nouveau nom de l’équipe NTT, explique à quel point ces négociations sont tendues pour un futur transfert, surtout dans ce contexte économique. « Les budgets sont réduits, les salaires sont donc aussi réduits, et même ceux qui ont un contrat sont chanceux d’avoir la moitié de leur précédent contrat s’ils n’ont pas connu de victoire majeure ces dernières années. J’ai même entendu des gars qui ont à peine reçu le quart de leur précédent contrat », confie-t-il à Cyclingnews.
Difficile cependant d’obtenir des résultats durant cette saison de seulement trois mois, avec la plupart des grandes courses au programme, et peu d’occasions de se montrer aux avant-postes face à des leaders qui profitent de leur grande forme pour enchaîner une série victorieuse (cfr. Wout van Aert, Primoz Roglic, Tadej Pogacar…). Cela s’est confirmé lors du Tour d’Italie ou du Tour d’Espagne, durant lesquels les groupes d’échappée étaient de plus en plus larges, avec l’espoir d’atteindre la ligne pour jouer la victoire, et ainsi faire monter sa valeur marchande pour 2021.
Difficile de trouver une place
Gary McQuaid, agent irlandais en charge de plusieurs coureurs anglo-saxons comme Adam Yates ou Jai Hindley, explique ainsi que les négociations ont été compliquées, même en proposant des contrats à la baisse. « Si un agent qui proposait un coureur avec un salaire de 250 000 euros en 2020 proposait ce même coureur au salaire minimum pour 2021, les équipes ne semblaient même pas capables (de l’engager) », dit-il à Cyclingnews.
Même si l’Union Cycliste Internationale a autorisé les équipes du WorldTour masculin à accueillir jusqu’à 32 coureurs (contre 30 en 2020), le budget de ces formations reste mince, encore plus suite à cette crise sanitaire. Et cela se confirme également dans le peloton féminin, notamment avec le départ de CCC (laissant le seul sponsor Liv à la tête d’une équipe qui a perdu Marianne Vos et signé Lotte Kopecky). Certes, l’équipe néerlandaise Jumbo-Visma, solidement ancrée dans le cyclisme grâce à des engagements de longue durée, a récemment créé sa nouvelle formation féminine, avec Vos en tête de gondole. Cela reste toutefois une mince éclaircie dans un ciel gris.
Enfin des solutions structurelles ?
La prochaine saison de cyclisme sur route s’annonce donc déterminante, dans un contexte toujours aussi compliqué. Certes, le vaccin contre le Covid-19 s’annonce. Certes, la deuxième vague de contaminations semble enfin sur la pente descendante dans bon nombre de pays. Mais les organisateurs, qui comptent également sur les entreprises qui les sponsorisent ainsi que sur les VIP, doivent faire face à des baisses de budget et s’attendent à des événements sans spectateur, ce qui risque encore de freiner leurs ambitions. Flanders Classics, en charge des principales classiques flamandes du calendrier (comme le Tour des Flandres), a déjà annoncé que ses courses se feront sans spectateur, comme en 2020.
Cela confirme donc que des solutions structurelles devront être négociées entre les organisateurs, les équipes cyclistes, les coureurs et coureuses, et l’Union Cycliste Internationale pour bouleverser le système économique actuellement en place et assurer l’avenir de ce sport. La question des droits TV ou des salaires risquent de revenir sur la table, après une année durant laquelle les rustines ont été la norme. Il est désormais temps de changer complètement le matériel pour éviter de nouvelles mésaventures qui mettraient à mal le cyclisme tout entier…
Photo : RCS Sport/La Presse/Fabio Ferrari
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