Quinze ans après son premier podium sur un championnat du monde de cyclisme sur route, Alejandro Valverde est enfin parvenu, à 38 ans, à décrocher cette fameuse médaille d’or, qui lui octroie le droit de porter durant un an le plus beau maillot du peloton. La consécration d’un coureur qui n’a cessé de susciter tantôt la joie de ses pairs, tantôt la crainte de voir d’anciens fantômes ressurgir sur le cyclisme. Le vétéran espagnol profite lui de chacun de ses coups de pédale et apparaît à son meilleur niveau depuis plusieurs mois. Avec un premier titre mondial en guise de confirmation.
C’est donc bien cette dernière côte, dans l’enfer d’Innsbruck, qui a scellé le sort des favoris de ce championnat du monde. Après une course de placement entre les Italiens, les Espagnols et les Néerlandais, attaquant l’un après l’autre dans les trois derniers tours de cette course montagneuse à souhait, ce sont les Français qui ont mené le tempo dans les contreforts de cette montée finale de Höll, avec ses passages à 28 % comme cerise sur le gâteau. L’effort était rendu encore plus intense par 240 kilomètres d’une course particulièrement éreintante, avec pour preuves les mises en retrait de Simon Yates, vainqueur de la Vuelta, Michal Kwiatkowski, ancien champion du monde, Daniel Martin, outsider irlandais, ou encore Bob Jungels, vainqueur du dernier Liège-Bastogne-Liège, sur un dénivelé quasiment égal.
Un boulevard s’annonçait du coup pour Julian Alaphilippe, encore emmené par deux équipiers dans cette ultime ascension vers Innsbruck. Mais sur les passages les plus rudes de cette côte, Alaphilippe craquait. Pendant que l’Espagnol Alejandro Valverde, l’Italien Gianni Moscon et le Canadien Michael Woods suivaient le rythme imposé par Romain Bardet, le leader français zigzaguait sur la pente autrichienne. Bardet devait alors prendre une décision : récupérer Alaphilippe ou jouer sa propre carte, face à des meilleurs sprinters annoncés. Le grimpeur français décidait finalement de remettre une dent pour le final et de suivre Woods et Valverde, derniers survivants en tête de cette côte inhumaine.
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Le second plus vieux champion du monde
Le retour de Tom Dumoulin, pourtant victime d’une panne de son dérailleur électrique dans les derniers kilomètres, ne changeait rien dans le groupe de tête : tout le monde avait les yeux braqués sur le meilleur sprinter annoncé : Valverde. Le Murcien se retrouvait enfin dans la meilleure des positions pour obtenir un titre mondial mais visé comme le favori, il ne pouvait vraiment respirer la tranquillité et la confiance. Il jouait donc de son expérience, se plaçait sur le 11 dents et lançait en puissance son sprint final à plus de 250 mètres de l’arrivée. Très loin. Woods et Bardet avaient beau le remonter de justesse, Valverde conservait toute sa puissance tout au long de ce sprint final pour aller conquérir « le plus beau succès de [sa] carrière » à 38 ans et 5 mois. Soit trois mois de moins que le plus vieux champion du monde de l’histoire, Joop Zoetemelk (en 1985).
Alejandro Valverde is the 2018 World Champion! Beating Bardet, Woods, and Dumoulin in the final sprint. #innsbrucktirol2018 pic.twitter.com/ZNMck5tYpu
— FloBikes (@flobikes) September 30, 2018
Valverde reste le deuxième plus ancien porteur du maillot arc-en-ciel, après quinze ans d’essais, et surtout six podiums sans connaître la première marche du podium. Que d’essais manqués désormais oubliés dans un cri de rage qu’il lâchait dans les bras de son soigneur, une fois la ligne d’arrivée franchie. Les larmes montraient également l’émotion d’un homme affable et heureux de vivre son sport et de lui offrir de très belles pages d’histoire. Bardet pestait sur le coup de conclure en deuxième position devant Woods, tout heureux de rapporter au Canada une médaille de bronze quasiment inattendue. Alors que côté belge, Ben Hermans et Dylan Teuns, un temps dans la roue de Valverde dans le Höll, terminaient ensemble dans le Top 30. Sans regret : la sélection belge ne figurait pas parmi les favorites et a animé la course comme elle le pouvait sur ce parcours ardu.
Pendant ce temps, Valverde recevait de Peter Sagan, triple champion du monde, la médaille d’or consacrant son premier titre mondial. Une passation de pouvoir entre un jeune cannibale et un expérimenté collectionneur de succès de prestige. Avec ce maillot arc-en-ciel, le Murcien de 38 ans complète désormais son palmarès déjà garni d’un Tour d’Espagne, de quatre Liège-Bastogne-Liège, cinq Flèche Wallonne, seize étapes sur les Grands Tours, trois Tours de Catalogne, un Tour du Pays basque, deux Critériums du Dauphiné, deux Clasica San Sebastian deux titres de champion d’Espagne sur route… La liste est encore longue et impressionne. Surtout de la part d’un coureur qui semble se bonifier avec le temps. Malgré les ennuis avec la justice et les chutes. Une longue histoire avec le cyclisme qui n’a pas toujours été colorée d’un arc-en-ciel.
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Toujours de retour
Car Alejandro Valverde reste ce coureur longtemps soupçonné d’avoir usé de dispositifs illégaux pour le mener aux avant-postes par le passé. L’affaire Puerto, qui a mis sur le banc de touche une bonne dizaine de cyclistes professionnels, a également touché Valverde, même s’il a longtemps nié avoir usé de produits dopants dans sa carrière. Suspendu pour deux ans de compétition en 2010 pour son implication dans l’opération Puerto et les magouilles du Dr Eufemiano Fuentes, l’Espagnol a longtemps couru avec une pancarte d’ancien dopé dans le dos et ses résultats exceptionnels au lendemain de sa suspension n’ont cessé de jeter l’opprobre sur le cyclisme espagnol. Il a fallu quelques années pour que le passé soit moins pesant sur les épaules du Murcien, qui malgré les accusations garde toujours un sourire au départ des courses auxquelles il prend part. Toujours prêt à donner un autographe ou à répondre aux questions de journalistes au fil des saisons, Valverde a également cette réputation de coureur sympathique, toujours prêt à aider ses pairs ou à faire plaisir au public.
Généreux dans l’effort, ce forçat de la route a également réussi un nouveau tour de force en 2018, revenant d’un terrible accident sur le prologue du Tour de France 2017 qui l’avait laissé sur un lit d’hôpital avec une fracture de la rotule gauche et de sacrés hématomes au niveau du tibia-péroné. Malgré cette chute qui aurait pu le mener à une fin de carrière bien méritée après 15 ans de professionnalisme, le Murcien s’est encore battu pour revenir à son meilleur niveau. Pari réussi en 2018 avec 14 victoires au compteur dont le Tour de la Communauté de Valence, le Tour d’Abu Dhabi, le Tour de Catalogne et deux étapes du Tour d’Espagne. Et le championnat du monde à Innsbruck, évidemment.
Le passé et le présent
Alejandro Valverde représente finalement ce cyclisme à l’ancienne, au passé délicat mais capable des plus belles prouesses sportives. Il montre que les souvenirs ne sont pas toujours bons à ressasser, et pourtant, il invite les jeunes pousses du peloton à user d’autres tactiques pour frapper fort. Il est ce dernier client du Dr Fuentes qu’il reste à saluer avant de définitivement une lourde page de l’histoire cycliste. Mais il est aussi ce coureur généreux et heureux, qui émeut bon nombre de supporters par ses larmes et cris de joie après ce succès sur la course la plus courue de la saison. Il est ce coureur à double face qui divisera encore longtemps.
Même lors de cette prochaine année durant laquelle il portera le paletot arc-en-ciel, avec certainement le sourire qu’il affiche depuis longtemps dans le peloton. « C’est un rêve. Je dois remercier l’ensemble de l’équipe, car ils ont été des 10/10. C’était un rêve pour moi de devenir champion du monde », lance ainsi le leader de la Movistar après ce succès. Il pourra désormais profiter de ce rêve pendant les douze prochains mois.
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Résultats de la course messieurs des championnats du monde de cyclisme sur route (Kufstein > Innsbruck, 252.9 km) :
Photo : capture Eurosport
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