En tant que grand supporter du cyclisme féminin depuis quelques années, l’annonce de l’organisation du Tour de France Femmes par les équipes d’ASO – certainement l’entreprise la mieux armée professionnellement pour mener un tel événement – m’a donné un double sentiment. J’étais évidemment ravi de découvrir l’intérêt enfin grandissant d’une société qui jusqu’ici avait trainé des pieds pour donner leur chance aux femmes. La Course by le Tour, prédécesseur du Tour de France Femmes, n’était qu’une course d’un jour sans grande ambition, surtout lancée en 2013 sous la pression de cyclistes désireuses d’enfin retrouver un grand Tour féminin, comme cela avait été le cas dans les années 80. ASO avait certes la Flèche Wallonne féminine dans son escarcelle, mais le peloton a dû pousser pour que Liège-Bastogne-Liège et Paris-Roubaix obtiennent également leur version féminine dans les années 2010… et 2020. Jusqu’à l’arrivée de ce Tour, orchestré par Marion Rousse. Un parcours complet sur huit étapes, pour tous les profils. Et un enthousiasme grandissant tant dans le peloton féminin que dans les médias. Dans une société visant une plus grande égalité entre les femmes et les hommes, le symbole de ce Tour féminin est puissant.
D’un autre côté, je restais prudent quant à l’impact de cette médiatisation imposante, par rapport au reste de la saison de cyclisme féminin. Car lors du reste de l’année, les hors-série, les unes de journaux, les reportages en coulisses, les interviews long format sont évidemment bien moins légion. Les grands titres sportifs, qui d’habitude consacrent un article, au mieux, sur les performances de ces cyclistes lors des classiques ou des championnats, se découvrent d’un coup défenseurs du vélo au féminin. Les pages se multiplient, tout comme les reportages. C’est le coup de force d’ASO : le Tour de France est une marque unique et il engloutit tout le paysage médiatique. Un Tour de France Femmes, cela dépasse le calendrier habituel. La médiatisation est ainsi faite : pour faire parler d’une course, il ne faut pas seulement un plateau de championnes ou un parcours spectaculaire. Il faut également une image de marque et un espace médiatique favorable.
Je suis heureux de voir L’Equipe (qui fait partie du même groupe que le Tour de France) consacrer un hors-série et plusieurs pages spéciales au Tour Femmes. Je suis ravi de voir une couverture quotidienne de plus de deux heures en direct sur les grandes chaînes de télévision. Je suis content de voir de nombreux supporters du cyclisme masculin, se mettre à analyser les coureuses qui animeront ces huit étapes entre Paris et la Super Planche des Belles Filles. Et dans le même temps, je m’interroge sur ce qu’apportera ce Tour de France Femmes au-delà de cette première édition. L’instant historique passé, quid de l’intérêt pour ce cyclisme féminin ? L’effort devra en effet se poursuivre, de la part d’ASO, de ces médias, pour préserver cette flamme qui anime aujourd’hui ce peloton qui n’imaginait pas, voici dix ans, disputer une course pour le maillot jaune.
En Belgique, je remarque déjà ce bond qui sera difficile à franchir pour beaucoup. Le cyclisme féminin a pris du galon ces dernières années grâce à Jolien d’Hoore et Lotte Kopecky. Quelques journalistes (RTBF, VRT, Belga…) suivront ce Tour de France Femmes, surtout en Flandre. Mais pour beaucoup, même le caractère historique de ce retour du Tour féminin n’a pas suffi à pousser les habitudes. Il faudra compter sur la télévision pour s’enthousiasmer de cette course qui s’annonce aussi spectaculaire que ces trois dernières semaines. D’où mon interrogation quant à l’avenir de cette médiatisation. S’agit-il d’un « one shot » ou d’un véritable mouvement ? J’ose espérer la deuxième option, de ce que je lis depuis ma petite bulle personnelle sur les réseaux sociaux. Mais les clichés ont encore la vie dure sur les femmes qui ne seraient pas capable d’attaquer, de frotter, de sprinter… À nous, journalistes, de faire changer de perspective, de montrer ce que ce cyclisme féminin apporter, de confirmer à quel point ces courses sont aussi voire plus haletantes que leur version masculine. Il y a un vrai rôle d’influence à jouer. Certains médias l’ont compris, il est temps que les plus traditionnels jouent également le jeu, désormais.