Comme chaque semaine, le manager de Deceuninck-Quick Step Patrick Lefevere expose dans une carte blanche proposée dans le quotidien flamand Het Nieuwsblad ses vues sur le cyclisme actuel, dévoile les coulisses autour de sa formation et revient sur les négociations de contrats qui animent les conversations hors des pelotons. Cette chronique hebdomadaire permet de connaître certains détails inattendus qui participent à la réussite de l’équipe belge, mais elle est également un moyen pour Patrick Lefevere de régler ses comptes à plus d’un titre. Depuis le début de la saison, il n’a ainsi pas hésité à s’en prendre à l’agent du coureur portugais João Almeida, à certaines organisations de courses ou aux équipes richissimes du peloton, financées par des superpuissances pétrolières comme UAE Team Emirates ou Bahrain Victorious.
Ce week-end, la chronique hebdomadaire de Patrick Lefevere évoque le mental des cyclistes, en écho aux déclarations de Simone Biles autour de sa santé mentale durant ces Jeux Olympiques. Il évoque notamment les problèmes de Johan Museeuw, qui parlait de retraite sportive une semaine avant son titre de champion du monde à Lugano en 1996. Ou encore Frank Vandenbroucke, qui a été le premier à demander l’aide d’un psychologue dans sa formation. Mais aussi Wouter Weylandt, qui refusait d’abord de voir le coach mental proposé par l’équipe, avant de comprendre l’aide qu’il pouvait apporter.
Il évoque ensuite le fait qu’il n’a jamais eu de «personnes instables» dans son équipe, mais seulement «des spéciaux». Comme Rémi Cavagna : «Il souffre parfois de stress. (…) Rémi, au début, n’osait pas prendre un bidon ou lever les mains quand il gagnait. C’est dans sa tête». Alors que Tim Declercq «a des crampes dès qu’il peut rouler pour s’imposer lui-même». Arrive enfin le cas Sam Bennett : «Pour moi, il est l’exemple même de la faiblesse mentale (sic). Quitter Bora-Hansgrohe en racontant à tout le monde qu’il y a été malmené, qu’il a frôlé la dépression et la faillite, puis y revenir quatorze mois plus tard», affirme-t-il, en référence au fait que Bennett quitterait Deceuninck-Quick Step en fin de saison pour retourner chez Bora-Hansgrohe la saison prochaine. «C’est la même chose que les femmes qui rentrent chez elles après avoir subi des violences de la part de leur partenaire», relance-t-il derrière.
Ce n’est pas la première fois que Patrick Lefevere se veut aussi véhément à l’encontre de Sam Bennett. Lors du Tour de France, le manager estimait à Cyclingnews que l’Irlandais n’avait pas été «respectueux» envers l’équipe. «Si (Bennett) se comporte bien, il va rouler. Sinon, alors ce sera trois mois de compétition en moins et 50% de salaire en moins. (…) Si tu te bats comme un diable et pleure comme un enfant parce que Bora-Hansgrohe te traite mal puis au bout qu’après 14 mois, tu signes dans cette équipe à nouveau, cela en dit plus sur lui que sur moi. J’ai des couilles (sic), il n’en a pas», osait-il déjà début juillet. Et depuis mai, Sam Bennett n’a plus disputé une seule course, et il se confirme qu’il ne devrait pas participer non plus au prochain Tour d’Espagne ou au Tour de Grande-Bretagne.
Pas le seul problème mais…
Ces propos sont particulièrement effarants et comme le rappelle le journaliste français Benoît Vittek, sont passibles de sanction de la part de l’Union Cycliste Internationale. Il s’agit d’abus psychologique, dans le sens d’une humiliation permanente d’un coureur sur la place publique. S’il existe des problèmes relationnels entre Sam Bennett et Patrick Lefevere, ceux-ci devraient être gérés entre les deux hommes. Mais aujourd’hui, le patron du «Wolfpack» profite des tribunes qui lui sont offertes pour balancer sur «la faiblesse mentale» d’un coureur, et oser le comparer à une victime de violence conjugale. Une comparaison d’autant plus honteuse pour toutes ces victimes qui subissent déjà un abus psychologique, et qui se retrouvent aujourd’hui dépeintes en coupables. Ces propos de Patrick Lefevere sont problématiques et méritent donc d’être traités par l’UCI. Car on est loin de la simple mésentente entre un coureur et un manager. Le rapport de pression est trop important dans ce cas, et ne doit pas être reproduit, au risque de voir d’autres coureurs abusés par des patrons s’estimant trop importants.
L’UCI a déjà montré son intransigeance cette semaine par rapport à d’autres propos, tout aussi problématiques. Cette fois, il s’agissait de racisme : le directeur sportif de l’équipe cycliste allemande sur route Patrick Moster a été renvoyé des Jeux Olympiques et suspendu provisoirement par l’UCI en raison de propos racistes lâchés en plein contre-la-montre masculin. Alors qu’il était en train d’encourager Nikias Arndt sur le parcours, il a été vu en train de crier : «rattrape les chameliers», une référence raciste adressée à l’Algérien Azzedine Lagab, à l’Érythréen Amanuel Ghebereigzabhier et à l’Iranien Saeeid Safarzadeh, trois coureurs partis devant Arndt. Cette fois, l’incident a été rapidement pris en compte, et les instances internationales ont montré leur fermeté.
{Mise à jour – Mardi 3 août 9h25} La fédération allemande a finalement été moins fermé que l’UCI à ce sujet. Elle a simplement réprimandé Patrick Moster pour ses remarques racistes, estimant que l’entraîneur « est en service depuis 21 ans et que durant cette période, il n’y a pas eu une seule violation du règlement à ce sujet. Patrick Moster est également impliqué dans l’intégration des demandeurs d’asile dans le cyclisme par le biais de projets pour le développement international des nations cyclistes en devenir ». La fédération allemande tient également en compte des excuses publiques formulées par l’entraîneur allemand, qui reste donc en place malgré ces propos racistes.
Les propos de Patrick Lefevere ne sont pas racistes et demandent une réflexion différente. Ils n’en restent pas moins problématiques dans un peloton où les contrats sont toujours précaires en termes de durée notamment. Et cela n’empêche pas le cyclisme de devoir combattre bien d’autres travers comme l’emprise de nombreuses puissances pétrolières peu regardantes aux droits humains sur des grandes équipes du WorldTour, le problème du dopage, les ententes politiques entre fédérations,… Mais d’autres problèmes ne devraient pas empêcher la possibilité de corriger l’un d’eux. Au risque de voir ce problème se répéter. Il ne reste plus qu’à espérer que l’UCI fasse son travail.
Photo : ASO/Fabien Boukla
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