Au terme d’une course d’usure qui s’est décantée dans la traditionnelle côte de la Roche-aux-Faucons, les meilleurs puncheurs de l’automne se sont disputés la victoire face aux leaders du dernier Tour de France dans un final dingue. Julian Alaphilippe (Deceuninck-Quick Step) a enchaîné les bourdes : une déviation de sa ligne qui a coupé le sprint de Marc Hirschi (Sunweb) puis une célébration trop loin de la ligne d’arrivée, permettant à Primoz Roglic (Jumbo-Visma) de le déborder. À la photo-finish, le Slovène a eu confirmation de sa première victoire sur une grande classique, pendant qu’Alaphilippe se retrouvait déclassé.
Une course de plus de six heures, de plus de 250 kilomètres, se jouant sur quelques mètres. Le cyclisme est ainsi fait : tout peut être déterminé par un coup de pédale, un coup de frein, une trajectoire… Il suffit d’un rien pour faire basculer le résultat d’une course entre 200 concurrents se disputant le trophée sur leur machine de quelques centimètres de large et de quelques kilos, sur des routes aux aspérités qui font chaque jour enrager les usagers traditionnels de la route. Rester debout, gérer son effort, se ravitailler, éviter les à-coups, enchaîner les sprints, et surtout, ne jamais lâcher son guidon jusqu’au dernier mètre. À moins d’arriver en solitaire, seule la ligne d’arrivée doit être l’objectif, la limite avant de se relever de sa monture. Et dans l’histoire du cyclisme, ils sont nombreux à vous le confirmer. Depuis Steels jusqu’à Zabel, en passant par McNulty ou Kittel. Mais sur une classique pour puncheurs, le scénario était jusqu’ici rare.
Jusqu’à ce dimanche d’octobre. L’une des rares éditions de Liège-Bastogne-Liège en automne. Certainement la seule de l’ère moderne d’ailleurs, Christian Prudhomme, directeur du cyclisme chez l’organisateur ASO, ayant confirmé qu’il ne voyait pas la Doyenne déménager dans un calendrier habituel. Dans le dernier kilomètre, ils n’étaient plus que quatre, tous sortis dans la côte de la Roche-aux-Faucons. Le champion du monde Julian Alaphilippe (Deceuninck-Quick Step), malgré une chute dans la côte de la Wanne suivie d’une vingtaine de kilomètres auprès de la voiture de son équipe pour réparer un problème avec sa chaussure, avait lancé l’attaque attendue à 300 mètres du dernier sommet de la journée. Une offensive suivie par Marc Hirschi (Sunweb), avant les retours des Slovènes Primoz Roglic (Jumbo-Visma) et Tadej Pogacar (UAE Team Emirates). Les quatre avaient également douché les espoirs de retour de Michal Kwiatkowski (INEOS Grenadiers) et Michael Woods (EF Pro Cycling), trop justes dans la montée non-répertoriée suivant la Roche-aux-Faucons. Le quatuor tardait à s’entendre, mais conservait suffisamment d’avance dans le toboggan vers Liège pour jouer la victoire dans un sprint final.
Rien à gauche ? Rien à droite ?
Certes, le Slovène Matej Mohoric (Bahrain-McLaren) parvenait à recoller dans les 500 derniers mètres et lançait l’estocade finale, mais il n’était qu’un lanceur pour Alaphilippe, qui dégainait aux 200 mètres, avant de dévier de quelques mètres à gauche. Un geste qui bousculait la roue avant de Hirschi, désarçonné et contraint de sortir le pied de sa pédale gauche. De même, Pogacar dans la roue du Suisse était lui-même obligé de délaisser le sprint, arrêté par cette déviation peu conventionnelle. Le champion du monde était, lui, déjà parti vers la ligne, confiant d’avoir devancé Hirschi, son adversaire intrinsèquement le plus puissant sur un tel final. Un coup d’œil à gauche, puis il levait les bras à 25 mètres de la ligne. Sauf qu’à droite, Primoz Roglic, toujours sur ses pédales, lançait son vélo sur la ligne. L’énergie du désespoir ? Elle était pourtant suffisante pour déclarer, après quelques minutes d’impatience sur le site d’arrivée, la victoire du Slovène, pour un quart de roue face à Alaphilippe !
« Finalement, je parviens à gagner quelque chose »
« C’est juste incroyable, c’était si serré dans le final », confirme Roglic, un sourire timide malgré sa joie d’avoir conquis un premier monument. « J’ai tout donné et j’ai poussé ma machine jusqu’au dernier mètre. Je suis si heureux de n’avoir rien lâché. Finalement, je parviens à gagner quelque chose, hein ». Une manière de confirmer qu’il n’avait rien perdu de sa rage de vaincre malgré sa défaite dans l’avant-dernière étape du Tour de France, ou malgré les nombreuses critiques émanant principalement de Flandre et affirmant que Roglic aurait dû passer plus de relais dans la poursuite derrière Alaphilippe lors du championnat du monde à Imola, une semaine plus tôt. « Je suis super fier de ce que j’ai réalisé, mais aussi de ce qu’a fait toute l’équipe. Que ce soit Tom (Dumoulin) ou les autres, qui ont fait un très bon boulot tout au long de la journée. (…) Pour notre équipe, cela démontre qu’on réalise une belle saison. Wout (Van Aert) a gagné les premières grandes classiques de la saison (NDLR : Strade Blanche et Milan-Sanremo), et aujourd’hui je gagne à Liège, une classique historique », se plaît à rappeler Roglic, heureux de triompher sur cette course d’un jour, après deux déceptions consécutives.
Un sprint irrégulier
Pendant ce temps, à l’arrière du podium, l’arc-en-ciel s’en allait vers les nuages assombrissant le ciel liégeois depuis le début de l’après-midi. Julian Alaphilippe venait d’apprendre son déclassement pour un sprint irrégulier. Une décision logique de la part du jury des commissaires, même si Marc Hirschi ne voulait pas en dire plus. « J’étais vraiment dans un bon jour aujourd’hui, je suis content de ma course. Par contre, le sprint, je n’ai pas encore vu les images, donc je préfère ne rien dire », explique le Suisse de 22 ans, avec déjà une victoire sur la Flèche Wallonne et une deuxième place sur la Doyenne à son palmarès. « J’étais tout près de la roue arrière d’Alaphilippe quand il a touché ma roue. On était tous à la limite », ajoute-t-il, sans toutefois remettre une faute particulière sur le Français. Quelques minutes plus tard, il confirmait qu’Alaphilippe lui avait présenté des excuses pour cet écart.
Tadej Pogacar, finalement classé troisième, se voulait pour sa part plus mitigé : « Je me sentais très bien et l’équipe a très bien travaillé pour moi. J’étais ensuite en bonne position dans le sprint, je me disais que j’y allais pour gagner. Puis dans le sprint, ça s’est mal passé, je me suis dit que j’allais tomber en voyant Hirschi déchausser, j’ai failli chuter… Finalement Alaphilippe est déclassé, je finis troisième, c’est un bon résultat sur le papier ». Et une confirmation que le Slovène reviendra sur Liège-Bastogne-Liège pour y jouer la victoire.
De son côté, Julian Alaphilippe est rentré au bus de Deceuninck-Quick Step, avec ses directeurs sportifs à l’extérieur pour expliquer la situation. Wilfried Peeters et Tom Steels confirment que « c’est une erreur qu’on ne fait qu’une fois dans sa vie », mais cela ne consolera certainement pas la déception d’un champion du monde tout proche d’un monument. Alaphilippe aurait de toute manière dû se justifier après son sprint irrégulier, peut-il se dire. Il lui reste désormais à retrouver la sérénité pour préparer la Flèche Brabançonne, mercredi, et le Tour des Flandres, dans deux semaines. Car la forme, le Français la tient. Il lui reste désormais à retrouver le calme.
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Résultats de Liège-Bastogne-Liège Hommes (Liège > Liège, 257 km) :
1. Primoz Roglic (Slo, Team Jumbo-Visma) en 6h32:02
2. Marc Hirschi (Sui, Team Sunweb)
3. Tadej Pogacar (Slo, UAE Team Emirates)
4. Matej Mohoric (Slo, Bahrain-McLaren)
5. Julian Alaphilippe (Fra, Deceuninck-Quick Step)
6. Mathieu van der Poel (P-B, Alpecin-Fenix) à 0:14
7. Michael Woods (Can, EF Pro Cycling)
8. Tiesj Benoot (Bel, Team Sunweb)
9. Warren Barguil (Fra, Team Arkéa-Samsic)
10. Michal Kwiatkowski (Pol, INEOS Grenadiers)
…
23. Jelle Vanendert (Bel, Bingoal-Wallonie Bruxelles) à 0:58
24. Loïc Vliegen (Bel, Circus-Wanty Gobert)
27. Dylan Teuns (Bel, Bahrain-McLaren)
33. Tim Wellens (Bel, Lotto-Soudal) à 1:18
36. Louis Vervaeke (Bel, Alpecin-Fenix)
46. Jan Bakelants (Bel, Circus-Wanty Gobert) à 1:34
Photo : ASO/Gautier Demouveaux
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