Peu importe le flacon, pourvu qu’on ait l’ivresse : la Quick Step a parfaitement résumé cette célèbre citation d’Alfred De Musset durant ce printemps des classiques. Sur les routes de la Doyenne, le groupe bleu et blanc a profité de sa force collective pour dompter les éléments. Le champion du Luxembourg Bob Jungels, qui semblait parti en repérage au sommet de la Roche-aux-Faucons, est parvenu à tenir tête à tous les favoris pour s’offrir en solo la dernière édition de Liège-Bastogne-Liège se concluant sur la colline d’Ans.
Le Samyn, la Johan Museeuw Classics, Nokere-Koerse, la Handzame Classic, les Trois Jours de La Panne-Bruges, le GP E3, À Travers la Flandre, le Tour des Flandres, le GP de l’Escaut, la Flèche Wallonne et, ce dimanche, Liège-Bastogne-Liège : le printemps des classiques de la Quick Step ne connaît aucun égal cette saison. Certes, toutes les courses d’un jour ne sont pas à placer sur le même rang. Mais au vu des scenarii proposés par l’équipe belge durant cette première partie de saison, ce printemps restera clairement dans les mémoires comme dominé par le groupe de Patrick Lefevere. Sur le Ronde, Niki Terpstra était parti à moins de 30 kilomètres de l’arrivée pour célébrer le plus grand succès de sa carrière à Audenarde. Trois semaines plus tard, Bob Jungels a patienté jusqu’à la barre symbolique des vingt derniers kilomètres pour lancer son offensive en solitaire, sans s’attendre à l’issue de cette offensive, d’abord imaginée comme une ouverture pour son leader.
Cela s’est quasiment déroulé de la même manière tout au long du printemps : un homme fort est annoncé, un outsider censé le protéger prend le large, les adversaires n’osent pas faire le travail et à l’arrivée, c’est un Quick Step qui gagne. « J’ai essayé de faire l’effort dans la côte de la Roche-aux-Faucons. Le but était de nous mettre dans une bonne position par rapport à nos adversaires, de protéger Julian (Alaphilippe). Mais personne n’est revenu dans ma roue. J’ai juste entendu dans la radio : ‘vas-y, vas-y’, et je n’ai plus revu personne ensuite », lance Bob Jungels. Le champion du Luxembourg a parfaitement suivi la tactique des Quick Step, apparus en tête du peloton dès l’approche de la côte de la Redoute après avoir laissé tout le boulot aux Movistar et UAE Team Emirates. Et au moment opportun, les coureurs en bleu et blanc sont apparus : Philippe Gilbert a lancé les offensives au pied de la côte de la Roche-aux-Faucons, à une vingtaine de bornes de l’arrivée, avant de céder le témoin à Bob Jungels, en grande forme sur ces pentes abruptes.
« Bob était le plus fort du peloton aujourd’hui car quand il est parti dans la Roche, le rythme était déjà très haut », selon Romain Bardet. Et au vu des images, le champion luxembourgeois emmenait le gros braquet pour tenir tête aux favoris, qui manquaient toutefois d’équipiers pour assurer le travail de poursuite d’ici la côte de Saint-Nicolas. « Je sentais que je n’avais pas vraiment les jambes dans la Roche, c’est pour ça que j’ai essayé de participer un peu en contre-attaquant au sommet de la Roche, puis en lançant Jelle Vanendert dans Saint-Nicolas », confie Tim Wellens (Lotto-Soudal), contraint de courir à contre-courant dans la chaleur liégeoise. Et malgré ce travail, personne ne trouvait le bon rythme pour reprendre l’homme de Mersch, qui pointait encore près d’une minute d’avance avant les dix derniers kilomètres.
« L’objectif principal était de garder Julian (Alaphilippe), notre capitaine, dans la meilleure des positions. Il a roulé derrière les autres leaders, il les a forcés à travailler », sourit Jungels. Son équipier français a en effet été au four et au moulin sur ces routes vallonnées, sans toutefois parvenir à effacer le contre de Vanendert, qui revenait jusqu’à 18 secondes du surprenant leader de la Doyenne. « Mais je sentais qu’il était trop loin », souffle à l’arrivée Vanendert. « Au-dessus de Saint-Nicolas, j’ai essayé de rouler à 110 %. Mais je devais garder encore un peu de force pour la montée vers Ans. Puis finalement, après 500 mètres de montée, je sentais que je n’allais pas pouvoir revenir. Je n’avais plus assez de forces ». Alors que Jungels, lui, volait malgré l’effort violent lancé depuis vingt kilomètres. « J’ai essayé d’utiliser mes qualités de rouleur pour finir en tête », confie le Luxembourgeois.
Bob Jungels s’impose à seulement 25 ans sur la Doyenne des classiques, au terme d’une partition collective bien orchestrée, sur un solo digne de son compatriote Andy Schleck, neuf ans plus tôt. « Hier (samedi), j’ai encore regardé avec Julian ces dernières éditions en vidéo, avec les victoires de Philippe (Gilbert) et d’Andy (Schleck). C’est un honneur de gagner de la même manière et de prendre la relève d’un super champion », sourit l’homme fort de la Quick Step, « ému et fier » de remplir son palmarès d’une des plus grandes classiques du calendrier. « Chez Quick Step, chacun reçoit sa propre chance. On commence les courses avec trois, quatre, cinq coureurs qui peuvent gagner la course et on va jouer toutes ces cartes. De nos jours, c’est très difficile de débuter une course avec un seul leader et sacrifier toute une équipe pour cet homme. Jouer différentes cartes permet d’augmenter la probabilité de gagner », ajoute Jungels. C’est mathématique. Et derrière, on ne peut que s’avouer vaincu : « Bob, on ne l’a jamais eu en ligne de mire », explique Romain Bardet, troisième à Ans, « il y avait un grand Julian qui sautait sur tout ce qui bougeait. On savait que les attaques de Valverde et les autres allaient être annihilées par Alaphilippe. J’ai tenté parce que je savais que j’étais un outsider et qu’on me laisserait un peu de champ. Mais Bob était le plus fort aujourd’hui ». « C’est un très bon résultat, mais je ne pouvais faire mieux. J’ai roulé du mieux que je pouvais. Bob était très fort, c’était compliqué d’aller le chercher », confirme Michael Woods (EF Education First-Drapac), deuxième.
La Quick Step a donc parfaitement conclu ce printemps avec cette victoire de prestige en région liégeoise, la première de son ère individuelle, depuis 2003. Bob Jungels ne pouvait donc que féliciter ce groupe qui a brillé durant deux mois, sur différents terrains, avec différents acteurs. « On nous a déjà souvent posés de savoir quelle était la clé du succès chez Quick Step. Pour moi, c’est plus qu’une équipe, nous sommes plus une famille. Tout le monde se fait confiance et sait ce qu’il doit faire pour l’autre. Tout le monde a sa chance et sait ce dont l’autre est capable », raconte le champion du Luxembourg. Avant de s’épancher sur le manager, Patrick Lefevere : « Patrick, au niveau de l’équipe, c’est mon patron mais si on regarde ces dernières années, c’est plutôt une légende du cyclisme. C’est quelqu’un qui sait très bien ce qu’il fait. On a un énorme respect pour lui. Il m’a beaucoup appris au niveau de la confiance, notamment en me permettant de tenter ma chance sur les Grands Tours ». Et désormais sur la Doyenne. Avec un résultat particulièrement payant.
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Résultats de la 104e édition de Liège-Bastogne-Liège (Liège > Ans, 258.5 km) :
Photos : ASO/Karenn Edwards