Crime de lèse-majesté ou tentative légitime ?
L’une des images de cette neuvième étape du Tour de France restera cette offensive de Fabio Arù (Astana) dans le Mont du Chat alors que le maillot jaune Chris Froome (Sky) demandait assistance suite à ce qui ressemblait à un problème mécanique. Le champion d’Italie dépassait le Britannique et tentait de s’isoler devant le groupe des favoris alors que le maillot jaune réclamait à corps et à cris la voiture du Team Sky. Arù, pour sa part, s’énervait face au comportement attentiste de ses adversaires qui restaient dans sa roue, sans relayer, semblant plutôt attendre le leader du général, comme pour confirmer la tradition cycliste qu’il ne faut pas attaquer un maillot jaune.
« Je n’ai pas vu qu’il levait sa main parce que j’ai lancé mon attaque à ce moment-là », affirme le champion d’Italie, pour désamorcer la polémique. « Je voulais lancer cette attaque de loin, c’était prévu. Mais j’ai vu que je ne parvenais pas à creuser l’écart et j’ai entendu que Froome s’était arrêté grâce à l’oreillette. J’ai temporisé alors. Mais je n’avais rien vu », confie-t-il. Le maillot jaune affirme pour sa part qu’il n’avait même pas vu l’attaque d’Arù, trop concentré sur son changement de vélo qui terdait. « Richie avait dit aux autres qu’il n’étais pas temps d’attaquer quand le leader a un problème mécanique », raconte-t-il en conférence de presse. « Merci aux autres de ne pas avoir profité de mon problème ».
L’affaire est close ? Presque. Car quelques minutes après l’offensive d’Arù, Froome semblait avoir donné un coup de coude à son rival italien, le déviant de sa trajectoire, vers le public. « J’ai perdu l’équilibre à cause de mon guidon », justifie Froome. « Il a été perturbé par un fan, il a sorti le coude par réflexe », confirme Arù. Bref, tout va bien dans le meilleur des mondes des favoris du Tour de France. La polémique est éteinte. Mais elle a permis de montrer que les adversaires du maillot jaune sont prêts à tout pour faire bouger les lignes. Car après le retour de Froome, les offensives se sont enchaînées via Richie Porte (BMC), Romain Bardet (Ag2r-La Mondiale) ou encore Arù. Le maillot jaune a lui-même répliqué, causant la perte de Nairo Quintana (Movistar). Mais contrairement à ces dernières années, il ne s’est pas envolé. Pour le grand bonheur des amateurs de spectacle.
Les descentes sont aussi importantes que les montées
L’autre grand animateur de cette journée galère se nomme Romain Bardet (Ag2r-La Mondiale). Le coureur français s’est démené avec son équipe dans la descente du Col de la Biche pour bouleverser les positions, et a même failli surprendre Froome. Et dans le toboggan technique du Mont du Chat, le même Bardet a pris ses distances et tenté de prendre l’avantage sur les meilleurs du classement général, mais la plaine jusque Chambéry était trop longue pour le grimpeur de 26 ans. « Je suis déçu car on a mené la course comme on l’a voulu et j’attendais beaucoup de cette descente du Mont du Chat. L’équipe a été très présente aujourd’hui et pris ses responsabilités », confirme le leader d’Ag2r-La Mondiale sur VéloPro. La preuve que les descentes se veulent aussi déterminantes que les grimpées sur cette édition dantesque du Tour de France.
Une autre preuve ? Les malheureuses chutes qui ont émaillé cette neuvième étape vers Chambéry. Dans le col de la Biche, Geraint Thomas (Sky), après une embardée avec le champion d’Espagne Jesùs Herrada (Movistar), s’est fracturé la clavicule et a été contraint de quitter le peloton, moins de deux mois après son abandon sur le Tour d’Italie pour une chute, en montée cette fois. Autre victime de ces descentes sinueuse : Richie Porte (BMC). L’Australien a pris un virage tout droit et foncé dans Dan Martin (Quick Step) avant de taper lourdement, à plus de 70 km/h contre un rocher. Malgré une grosse frayeur et un public particulièrement touché par cette dramatique chute, l’équipe BMC rassurait rapidement en expliquant que Porte est resté conscient tout au long des soins prodigués sur place, avant son transport jusqu’à l’hôpital de Chambéry. C’en est donc terminé pour deux favoris de cette Grande Boucle…
« Je pense que les organisateurs ont eu ce qu’ils voulaient. Je ne pense pas que quelqu’un voulait prendre des risque là-dedans, mais c’était très glissant là-bas. Richie a juste perdu sa trajectoire dans un virage, sa roue arrière s’est bloqué et il n’y avait aucun endroit pour se protéger. J’ai été chanceux de m’en sortir avec ce qu’il s’est passé », confie Dan Martin, l’autre victime de la chute de Porte. Car avec les orages qui sont tombés sur la Savoie, les routes étaient glissantes et humides, surtout dans les forêts, et bon nombre d’observateurs ont signalisé la dangerosité de ces routes, déjà sinueuses. « Je ne pense pas que la descente du Mont du Chat était la plus dangereuse de la journée. Les deux autres étaient plus dangereuses », affirme pour sa part Jan Bakelants au micro de la VRT. « Sur le Giro, personne n’aurait discuté ».
L’attaque va finir par payer
L’exploit de Lilian Calmejane (Direct Énergie) aux Rousses n’a pu être réédité ce dimanche par Warren Barguil (Sunweb) à Chambéry. Le grimpeur breton, qui pouvait déjà savourer le maillot à pois qu’il allait pouvoir porter sur le podium ce dimanche soir, n’a pas survécu aux à-coups des favoris, repris à moins de huit kilomètres du but. Pourtant, Barguil avait encore l’espoir de gagner cette étape grâce à un sprint ravageur face à Rigoberto Uran (Cannondale-Drapac) dans les tous derniers mètres. Le Français, en larmes, pensait avoir battu le sosie de Mick Jagger sur la ligne, mais la photo-finish deux minutes après, révélait finalement la victoire du Colombien, pourtant bloqué sur la grosse plaque suite à un problème mécanique à dix bornes de l’arrivée.
Barguil connfirme en tout cas l’esprit offensif de nombreux coureurs du peloton sur ce Tour de France. Plus de 50 coureurs se sont échappés ce samedi, une trentaine d’autres ont tenté le coup ce dimanche. Les électrons libres sont encore plus nombreux que ces dernières années, et il n’est désormais plus impossible de filer du peloton des favoris pour espérer glaner un succès de prestige sur les étapes-reines du Tour. On risque donc de revoir du grand spectacle, dans les Pyrénées, le Massif Central et les Alpes durant les deuxième et troisième semaines.
Les coureurs belges se montrent, à défaut de gagner
Ils étaient déjà six à l’avant vers la Station des Rousses, ils étaient encore quatre ce dimanche jusque Chambéry. Les coureurs belges confirment qu’ils sont présents pour jouer les victoires d’étape, quitte à en faire parfois trop. Tiesj Benoot (Lotto-Soudal) et Jan Bakelants (Ag2r-La Mondiale) ont clairement montré le maillot sur les pentes du Grand Colombier et du Mont du Chat, mais n’ont rien pu faire face au retour des favoris dans les cols jurassiens. Ils ont toutefois fait preuve d’une grande force de caractère, et les performances de Benoot confirment que le coureur gantois de 23 ans ne devrait pas rester cantonné aux classiques printanières. Déjà à l’affiche dans la moyenne montagne chez les espoirs, le sociétaire de Lotto-Soudal devrait encore faire la différence dans les prochaines étapes en altitude. Un sacré challenge pour son premier Tour. Et on ne compte même pas les offensives de Greg Van Avermaet (BMC), Philippe Gilbert (Quick Step) et Serge Pauwels (Dimension Data), ces derniers jours, alors que Thomas De Gendt (Lotto-Soudal) semble avoir besoin de quelques jours de course en plus pour mettre en route son diesel. Et l’équipe continentale pro Wanty-Groupe Gobert se rassure en affichant ses neuf coureurs dans les délais après ces neuf premiers jours de course. Rassurant. Le Tour peut donc encore se teinter de noir-jaune-rouge dans les prochains jours !
Grégory Ienco – Photos : ASO/Alex Broadway