Ces derniers jours, l’équipe sous licence espagnole Zaaf Cycling Team se retrouve en tête des actualités du cyclisme féminin. Non pas pour les résultats de ses coureuses sur la dernière Flèche Wallonne. Mais bien pour l’exode de ses principales stars. Selon plusieurs témoignages récoltés en interne par Vélo-Club, VeloNews ou encore As, cette formation arrivée au niveau continental cette saison n’a toujours pas payé les salaires ni remboursé les frais de voyage et d’hébergement depuis le début de l’année. L’équipe n’a toutefois jamais communiqué officiellement à ce sujet et l’Union Cycliste Internationale confirme qu’une enquête est ouverte, sans faire plus de commentaire.
La championne de France Audrey Cordon-Ragot a été la première à évoquer publiquement ces problèmes de payement. Dans une interview accordée au Télégramme, elle a confirmé avoir déposé sa démission dans la semaine suivant sa troisième place sur le Tour de Normandie féminin. « Au-delà de l’aspect financier, les conditions dans lesquelles on évoluait n’étaient vraiment pas dignes d’une équipe professionnelle », a-t-elle notamment dénoncé. La décision était d’autant plus forte que la Française savait alors qu’elle ne pourrait potentiellement pas rejoindre une nouvelle équipe avant le 1er juin, soit la période autorisée pour les transferts de mi-saison, selon l’UCI. C’est finalement grâce à un contact privilégié avec le président de l’UCI, le Breton David Lappartient, que Cordon-Ragot a pu obtenir l’autorisation, comme ses autres équipières de la Zaaf, de changer de formation avant le 1er juin, vu les circonstances exceptionnelles.
Audrey Cordon-Ragot a finalement rejoint Human Powered Health juste avant Paris-Roubaix. Sa compatriote Lucie Jounier a rendu sa même décision à la même date, avant d’annoncer sa signature chez Coop-Hitec Products le 18 avril dernier. Dans le même temps, la Néerlandaise Mareille Meijering a quitté Zaaf pour signer une semaine plus tard chez Movistar. L’Australienne Elizabeth Stannard a pris la même décision pour rejoindre Israel Premier Tech Roland, pendant que la Néo-Zélandaise Michaela Drummond, l’Américaine Heidi Franz et la championne du Canada Maggie Coles-Lyster ont annoncé leur départ de la Zaaf, sans nouvel employeur pour l’instant.
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« Après que tous les problèmes et conditions de travail au sein de la Zaaf Cycling Team ont continué et se sont aggravés, il n’était plus possible pour moi de rester dans l’équipe. Je suis très reconnaissante pour mes équipières avec qui j’ai affronté ces problèmes. Nous nous sommes soutenues mutuellement et sommes devenues nos plus grandes cheerleaders. Vous, les filles, savez qui vous êtes », a commenté Heidi Franz dans une publication très humaine sur Instagram. « Vu l’aggravation des problèmes et conditions de travail chez Zaaf Cycling Team, je ne pouvais pas rouler plus longtemps pour eux. Maintenant, je vais prendre une respiration, mettre mon énergie sur la Coupe des Nations à Milton ce week-end et régler ce à quoi le reste de ma saison va ressembler », ajoute dans une autre publication Instagram, Maggie Coles-Lyster.
Il ne reste à l’heure d’écrire ces lignes que huit coureuses engagées au sein de la formation espagnole. Encore un départ et l’équipe ne sera plus dans les clous selon le règlement de l’UCI qui prévoit un minimum de huit professionnelles pour poursuivre la saison. Une saison en pointillés à l’heure actuelle : l’équipe a des invitations pour le Tour d’Espagne féminin, la Vuelta Femenina, prévue du 1er au 7 mai prochain, et pour le Tour de Suisse, annoncé du 17 au 20 juin. Les deux organisations ont confirmé Zaaf Cycling Team restait bien invitée malgré les incertitudes autour de son avenir.
Ces problèmes de payement et inquiétudes des cyclistes n’est pas sans rappeler le projet de Jérôme Pineau, qui souhaitait faire grandir l’équipe B&B Hôtels-KTM avec de nouveaux partenaires majeurs et la création d’une nouvelle équipe féminine. Audrey Cordon-Ragot, Lucie Jounier ou Maggie Coles-Lyster devaient justement faire partie de ce projet qui a finalement été annulé en décembre, faute de fonds suffisants pour la prochaine saison. Et dans les deux cas, l’UCI a joué un rôle discret. Il aurait pourtant été opportun de rapidement tirer la sonnette d’alarme par rapport à ces équipes incapables de payer celles et ceux qui permettent à cette équipe de vivre. Le règlement de l’UCI précise que les équipes doivent avoir des garanties bancaires auprès de leur fédération nationale (la RFEC, en Espagne, pour le cas de Zaaf), une garantie qui correspond à 20 000 euros minimum ou 15% du total des rémunérations des salariés de l’équipe (si ce montant est plus elévé que les 20 000 euros). Une garantie qui doit normalement tenir pour quinze mois minimum ! Mais c’est la fédération nationale qui doit prononcer l’ouverture d’une procédure de liquidation ou de faillite en cas de défaut de payement. Et c’est seulement si la garantie bancaire est mise en œuvre que l’équipe peut être suspendue, en attendant l’arrivée de nouveaux fonds pour reconstituer cette garantie.
Ce montant minimum devrait-il être augmenté pour éviter la constitution d’équipes trop fragiles sur le plan financier ? L’UCI devrait-elle redéfinir les conditions de licence de ces équipes continentales pour éviter que les fédérations nationales soient trop généreuses dans l’octroi de ces licences ? L’UCI devrait-elle vérifier plus régulièrement les budgets des équipes pour éviter de tels doutes sur l’avenir de telles équipes, dans un contexte économique plus inquiétant ? Ces questions méritent en tout cas une réflexion pour permettre à ces cyclistes et aux staffs de vivre pleinement de leur métier sans risquer la faillite ou la démission tous les trois mois.
Mise à jour du 26 avril 2023 à 9h05 : Une enquête du nouveau média Escape Collective dévoile les coulisses de l’équipe Zaaf depuis le début de la saison, avec de nombreux témoignages anonymes de personnes internes à l’équipe. Les témoignages convergent vers l’absence de payement de la totalité des salaires depuis le début de l’année, un manque de staff, un matériel limité… L’enquête révèle également que le rôle de l’UCI dans l’affaire est vu plutôt positivement par les cyclistes concernées, et que les questions se posent principalement autour de la RFEC, la fédération espagnole de cyclisme, en charge de la gestion de la licence continentale de Zaaf Cycling Team et de la délivrance ou non de la garantie bancaire. Aucune réponse de la RFEC n’a pu être obtenue de la part des cyclistes, du syndicat The Cyclists Alliance ou de la part d’Escape Collective. Également contactée par nos soins, la fédération espagnole n’a pas donné suite à nos questions autour de la situation de Zaaf, à l’heure d’écrire ces lignes.
Mise à jour du 26 avril 2023 à 18h10 : L’organisation de la Vuelta Femenina, le Tour d’Espagne féminin, a annoncé que l’équipe Zaaf a finalement décliné son invitation pour le premier Grand Tour du calendrier féminin, qui doit démarrer le 1er mai prochain. L’organisation annonce qu’elle ne remplacera pas l’équipe Zaaf et démarrera donc avec un peloton de 23 formations. Dans le même temps, la RFEC, la fédération espagnole de cyclisme, a confirmé à VeloNews être en contact avec l’UCI ainsi que les cyclistes et les travailleurs de l’équipe Zaaf autour de ce dossier épineux. « Nous ne pouvons pas révéler les détails, mais la RFEC poursuit toutes les procédures légales établies par l’UCI dans des dossiers comme celui-ci en vue de donner toutes les garanties légales aux différentes parties concernées », explique la fédération espagnole.