Ce dernier Tour d’Espagne a alimenté de nombreux débats dans les milieux cyclistes et sportifs. La domination des Jumbo-Visma, vainqueurs des trois Grands Tours (Giro d’Italia, Tour de France, Vuelta a España) cette saison et auteur d’un podium inédit depuis 1986 sur la Vuelta, a ramené les soupçons et le scepticisme dans les discussions sur la Petite reine. Comme à l’époque d’US Postal ou de la Sky, une équipe qui règne sans partage sur les courses de trois semaines fait remonter les doutes sur la probité des coureurs qui la composent. Comment une formation peut-elle maîtriser de telles courses usantes et s’offrir un tel avantage sur les autres leaders et autres formations au budget faramineux ? Qu’est-ce qui peut expliquer une telle gestion ?
Et comme souvent, quand la réponse formelle ne suffit pas, la méfiance surgit. Simplement dire qu’un coureur est plus fort que l’autre serait trop réducteur dans le peloton. Il y a tellement de données à prendre en compte : la tactique, le collectif, la nutrition, les conditions météorologiques, la gestion mentale… Mais ces explications ne tiennent pas face à certaines images fortes, comme cette double accélération de Sepp Kuss sur le Tourmalet. Cette courte vidéo partagée des milliers de fois sur les réseaux sociaux a mené à divers commentaires. Parfois accusateurs, comme ceux de l’ancien manager de B&B Hôtels-KTM Jérôme Pineau. Ce dernier, consultant régulier sur la radio française RMC, a évoqué son sentiment que la Jumbo-Visma utiliserait des moteurs dans ses vélos. Le retour du spectre du dopage mécanique, près de dix ans après l’affaire Fabian Cancellara. Des accusations portées sans le moindre faisceau d’indice, si ce n’est cette vidéo. Les contrôles menés par l’Union Cycliste Internationale (UCI), eux, n’ont rien révélé jusqu’ici. Ce qui n’empêche pas certains de s’interroger sur le fait que l’UCI ne démonte pas les vélos, mais les scanne simplement aux rayons X.
J’ai moi-même émis des doutes ces derniers jours après les podiums réalisés par Sepp Kuss, Jonas Vingegaard et Primoz Roglic (dans le désordre) sur le Tourmalet et l’Angliru. J’ai été surpris par une telle domination en montagne, et cela, malgré des individualités normalement capables de suivre le rythme d’au moins un de ces trois coureurs, à savoir Juan Ayuso (UAE Team Emirates), Enric Mas (Movistar) ou Mikel Landa (Bahrain Victorious). Et comme bien d’autres, j’ai du mal à expliquer sportivement comment ces trois coureurs ont pu maîtriser la Vuelta comme cela durant les deux dernières semaines de course. Comment Sepp Kuss a pu gérer ses efforts pour devenir le troisième meilleur grimpeur de ce peloton. Alors, j’ai des doutes. Mais je ne peux pas non plus expliquer ce qu’il y a derrière ces doutes. Car je n’ai pas non plus d’informations ou de preuves selon lesquelles la Jumbo-Visma peut être accusée de dopage ou de tricherie.
Je ne porte donc pas d’accusation à l’encontre de la Jumbo-Visma. En tant que journaliste, nous avons une responsabilité à porter des informations au monde. Mais pour le reste, c’est aux autorités internationales à faire également leur travail pour que les doutes s’estompent, à terme. Pour l’instant, ceux-ci restent, que ce soit quand Jonas Vingegaard prend plus d’une à deux minutes sur tous ses adversaires sur un contre-la-montre vallonné de 22 kilomètres, ou quand le Danois, ses équipiers Roglic et Kuss réussissent un triplé exceptionnel sur les sommets mythiques de cette Vuelta. Ces trente dernières années m’ont malheureusement poussé, en tant que fan de cyclisme, à prendre ces performances avec la plus grande précaution. Et bon nombre d’autres sont dans le même cas. Malheureusement pour le peloton. Ou heureusement ?