Il n’y en avait que pour les équipes néerlandaises ce week-end. Pour ouvrir la saison belge, Jumbo-Visma et SD Worx ont proposé un véritable récital sur les deux courses de lancement du plat pays. Sur le Circuit Het Nieuwsblad, le Néerlandais Dylan van Baarle et la Belge Lotte Kopecky ont parfaitement exécuté la tactique collective pour s’imposer en solitaire à Ninove. Sur Kuurne-Bruxelles-Kuurne, Tiesj Benoot a également profité de cette supériorité numérique pour briller sur Kuurne-Bruxelles-Kuurne, pendant que Lorena Wiebes a tiré profit du travail de ses équipières dans les derniers kilomètres pour remporter un sprint parfait sur le Circuit du Hageland. Deux victoires pour chaque équipe dès le week-end d’ouverture belge : c’est une première historique depuis que le Circuit du Hageland s’est déplacé au lendemain du Circuit Het Nieuwsblad dans le calendrier féminin.
C’est évidemment la prestation des abeilles de la Jumbo-Visma qui a été majoritairement commentée. Par la domination du cyclisme masculin dans la presse généraliste, d’abord. Par la manière avec laquelle l’équipe a réussi son coup à deux reprises, ensuite. À chaque fois, le groupe en jaune et noir a décidé de prendre ses responsabilités loin de l’arrivée pour durcir la course et éviter un scénario idéal pour les meilleurs sprinters du peloton. Et vu la forme de certains d’entre eux, le Wallon Arnaud De Lie (Lotto-Dstny) en tête, l’audace affichée par la Jumbo-Visma était bien nécessaire. Sur le Circuit Het Niuwsblad, samedi, ce sont six des sept coureurs de l’effectif qui étaient présents dans une offensive de quatorze hommes, partie dans le Lange Munte, à plus de 100 kilomètres de l’arrivée. “Le plan était de durcir autant que possible la course afin de faire souffrir les sprinters. Accélérer sur le Lange Munte, c’était programmé”, confirme Tiesj Benoot dans La DH. Avant une nouvelle offensive au pied du Molenberg, la plus courte, mais la plus stressante des côtes du Nieuwsblad. La sélection était faite, il n’y avait plus qu’à mettre en place le jeu d’équipe.
Avec trois éléments dans le bon peloton à la sortie de ce premier enchaînement usant, Jumbo-Visma savait qu’il fallait profiter de cette supériorité numérique et éviter le retour d’autres sprinters en plus d’Arnaud De Lie, toujours présent dans les roues malgré les pourcentages. “L’équipe m’a fait confiance dans la finale en me disant de suivre mon instinct si je sentais qu’une opportunité s’offrait à moi“, expliquait Dylan van Baarle à la presse, samedi soir. C’est cet instinct qui lui a permis de flairer le bon coup à près de 35 kilomètres de l’arrivée, pendant que son équipe faisait front, d’abord avec le contre de Jan Tratnik, ensuite en se plaçant en tête de peloton, pour bloquer la poursuite durant les premiers kilomètres.
Les qualités de rouleur de Van Baarle, vainqueur dans le même style sur À Travers la Flandre (en 2021) et sur Paris-Roubaix (en 2022), sont évidemment reconnues. Mais ses équipiers étaient également présents pour éviter toute poursuite efficace. Après le Mur de Grammont, c’est Christophe Laporte qui servait de caillou dans la chaussure de leurs adversaires. C’est la même stratégie qu’utilisait la Jumbo-Visma le lendemain. Cette fois, la Jumbo-Visma décidait de mettre la pagaille dans le peloton à plus de 80 kilomètres, sur la montée du Bourliquet. “Nous avions échafaudé une stratégie ambitieuse visant à durcir à nouveau loin de l’arrivée car c’est dans cette partie du parcours que les difficultés étaient le plus concentrées. Il fallait d’une certaine manière oser, mais c’était aussi le meilleur moyen de distancer De Lie et Jakobsen…”, indique Benoot dans La DH. Une tactique suffisante pour permettre ensuite au coureur belge et à son compatriote Nathan Van Hooydonck de prendre les devants avec Matej Mohoric (Bahrain Victorious), Taco van der Hoorn (Intermarché-Circus-Wanty) et Tim Wellens (UAE Team Emirates), pendant que Christophe Laporte jouait le rôle d’épouvantail dans le peloton.
La Jumbo-Visma s’est à chaque fois créé des positions de luxe face à d’autres adversaires certainement plus forts sur papier, mais contraints de suivre plusieurs fronts à la fois. Cela coûte de l’énergie, tant physique que mentale. Demandez à Matej Mohoric et Tim Wellens, balancés dans tous les sens dans les cinq derniers kilomètres de Kuurne-Bruxelles-Kuurne, pendant que Benoot se jouait d’eux à 700 mètres de l’arrivée. “C’est évidemment un luxe de se retrouver dans une telle position et de pouvoir attaquer à tour de rôle”, confirme le futur vainqueur de cette deuxième classique du week-end.
L’équipe SD Worx a également profité de sa pléthore de talents dans un effectif qui comporte quasiment autant de spécialistes des classiques que de places disponibles. Cette fois, la tactique se voulait moins explosive que son équivalent masculin. Mais les équipières de Lotte Kopecky ont assuré l’essentiel sans se montrer trop enthousiastes. Au contraire d’une équipe Movistar qui plaçait cinq de ses six concurrentes en tête dans le secteur pavé du Haaghoek, avant de tenter sa chance via la seule Arlenis Sierra dans le final. Certes, la formation espagnole comptait sur un sursaut de la championne du monde Annemiek van Vleuten à l’approche du Mur de Grammont. Un sursaut qui n’est jamais venu en raison d’une crevaison au pire endroit. Mais l’équipe s’est retrouvée bien piégée par la SD Worx qui a lancé comme un boulet de canon Lotte Kopecky dès le pied de la mythique ascension flandrienne.
“C’était le plan. C’est un rêve que cela s’est finalement parfaitement déroulé. (…) Lotte nous avait dit hier, au briefing : ‘j’ai confiance dans le Bosberg’. Quand Lotte dit quelque chose comme ça, cela va se réaliser”, confie la Néerlandaise Demi Vollering, coéquipière de Kopecky, à Cyclingnews. Kopecky est donc partie, a repris Sierra au sommet du Mur de Grammont, avant de la lâcher sans problème sur le Bosberg. Et malgré une poursuite intense à l’arrière, l’ex-championne de Belgique parvenait à s’offrir son premier Circuit Het Nieuwsblad, grâce notamment au travail de ses équipières qui ont perturbé les relais. Et SD Worx s’est même permis de faire mieux que la Jumbo-Visma à Ninove en s’offrant la deuxième place en plus de la victoire, grâce à Lorena Wiebes, meilleure sprinteuse du peloton.
La Néerlandaise était à nouveau en bonne position, le lendemain, sur le Circuit du Hageland, une épreuve habituellement taillée pour les sprinteuses. Pourtant, les attaques ont été nombreuses, via Puck Pieterse (Fenix-Deceuninck), Arianna Fidanza (Ceratizit-WNT), Alison Jackson (EF Education-TIBCO-SVB) ou encore Floortje Mackaij (Movistar). Mais à chaque reprise, les SD Worx étaient présentes en nombre, à commencer par Wiebes elle-même, qui confirme au fil des saisons qu’elle n’est pas qu’une coureuse rapide dans la dernière ligne droite. Présente dans les contres, la championne d’Europe était encore en bonne place dans le dernier kilomètre pour conclure le travail de ses équipières.
Cela signifie-t-elle une future domination des Jumbo-Visma et des SD Worx tout au long du printemps ? Côté féminin, il serait audacieux de faire un tel pronostic, vu la mésaventure d’Annemiek van Vleuten et les possibilités qui s’annoncent durant les prochaines semaines. La SD Worx aura une pancarte de favorite tout au long du printemps, il sera toutefois difficile d’envisager la même tactique collective sur chaque classique. De même pour la Jumbo-Visma : si le groupe a réussi deux tours de force et attend l’arrivée de Wout van Aert dès le Strade Bianche pour poursuivre sa montée en puissance, l’équipe sera désormais attendue à chaque départ, avec la probabilité de voir d’autres équipes les tenir à la culotte. Van Baarle, Laporte, Benoot et les autres devront également tenir la distance durant plus de deux mois. Attention à la surchauffe, donc. Mais les oppositions affichées par Wellens, Mohoric, Mackaij, Georgi… peuvent donner espoir au fait que le peloton n’est pas prêt à laisser ces équipes s’offrir la majeure partie du gâteau sans broncher.