Déjà cinquième sur l’E3 Saxo Bank Classic, à la surprise générale, pour sa première participation à une classique flandrienne, l’Érythréen Biniam Girmay (Intermarché-Wanty-Gobert) a encore fait mieux ce dimanche en devenant à 21 ans le premier cycliste africain à remporter une classique. Un exploit qui confirme le potentiel de ce puncheur-sprinter prêt à inspirer d’autres jeunes Érythréens, comme ses aînés lors de la dernière décennie.
Comme son idole Peter Sagan à trois reprises, Biniam Girmay a pu lever les bras sur Gand-Wevelgem, l’une des classiques les plus indécises du calendrier. Celle qui peut tant sourire aux purs sprinters qu’aux puncheurs offensifs. Cela tombe bien : cela correspond parfaitement aux qualités de ce coureur de 21 ans qui ne cesse de surprendre au fil des saisons. Triple champion d’Afrique chez les juniors (course en ligne, contre-la-montre individuel et par équipes) ; vainqueur en 2019 de sa première victoire sur la Tropicale Amissa Bongo, devenant le premier coureur né dans les années 2000 à s’imposer sur une course professionnelle ; vainqueur de la Classic Grand Besançon Doubs, sa première victoire européenne, en 2021 dès sa cinquième course sous le maillot d’Intermarché-Wanty-Gobert ; vice-champion du monde chez les espoirs sur le circuit vallonné de Louvain… Et le voici à peine six mois plus tard au sommet d’une des plus grandes classiques du calendrier. Devenant en prime le premier cycliste africain à remporter une course d’un tel niveau.
Vendredi, sur l’E3 Saxo Bank Classic, Girmay avait déjà surpris tous les observateurs par son placement et ses accélérations sur les pavés. Une prestation conclue par une cinquième place, la meilleure jamais obtenue par un coureur d’Intermarché-Wanty-Gobert sur une course flandrienne. L’équipe a donc demandé en dernière minute à son nouveau leader : et pourquoi pas prolonger la fête ? « On a changé mon programme vendredi soir. Je venais juste sur Gand-Wevelgem pour un bon résultat. Mais venir pour une victoire, je ne l’imaginais pas », sourit le jeune papa, qui compte rentrer prochainement en Érythrée pour revoir sa femme et sa fille, née en avril 2021. Le pari a été payant.
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Van Aert espérait mieux
Car cette édition de Gand-Wevelgem a été bien moins animée que la précédente. Pas de bordures dans les Moëres, pas d’attaque grandiloquente dans les côtes. Certes, il fallait être attentif dans le Heuvelland pour éviter une chute ou une cassure produite par les efforts répétés sur ces courtes ascensions. Biniam Girmay s’est d’ailleurs retrouvé en retrait lors des deux premiers passages sur le Mont Kemmel, via son versant le plus « aisé », côté Belvédère. « J’ai perdu beaucoup de places lors du premier passage sur le Mont Kemmel. Puis sur les pavés, je ne me sentais pas en position confortable. Finalement, cela a été de mieux en mieux au fil des côtes », explique l’Érythréen. Les Jumbo-Visma tentaient de reproduire la supériorité numérique affichée sur l’E3 et les Quick Step-Alpha Vinyl essayaient de reprendre le contrôle des offensives alors que leur sprinter Fabio Jakobsen abandonnait tout espoir de succès sur le deuxième passage du Mont Kemmel. Mais personne ne prenait l’ascendant sur ces quelques difficultés. Il ne restait que la dernière montée du Kemmel, via le versant « Ossuaire » et son pic à 22%, pour bousculer le peloton.
Le champion de Belgique Wout van Aert (Jumbo-Visma), mal placé au pied, réalisait une accélération impressionnante pour s’isoler au sommet des pavés. Mais il était rapidement repris par un peloton de favoris qui passait plus de temps à se regarder qu’à passer les relais. « J’espérais pouvoir faire une plus grande différence lors de mon attaque sur le Mont Kemmel, mais cela n’a pas réussi. Je n’avais pas les meilleures jambes que j’espérais », se désole le champion belge, qui ne veut toutefois pas se mettre de pression en vue du Tour des Flandres. Sans attaquant pour donner le tempo en tête, les attaques s’enchaînaient donc dans le groupe de tête. Jusqu’à cette offensive à quatre du Français Christophe Laporte (Jumbo-Visma), des Belges Jasper Stuyven (Trek-Segafredo) et Dries Van Gestel (TotalÉnergies) et, donc, de Biniam Girmay. « J’ai essayé de courir intelligemment, de suivre les plus costauds. Tout le monde regardait Van Aert et le suivait. J’ai essayé de suivre les autres offensives », réagit le sociétaire d’Intermarché-Wanty-Gobert.
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« Position parfaite »
Et cela lui a réussi. Les quatre s’entendaient parfaitement pendant que les Jumbo-Visma et Trek-Segafredo venaient perturber une poursuite déjà difficile en tête de peloton. La victoire pouvait se jouer à quatre, dans un sprint entre costauds. « Je me sentais bien, mais je savais aussi qu’il y avait trois autres concurrents très forts avec moi », raconte Girmay. « J’avais un peu peur. Mais j’étais bien plus confiant en dernière position, spécialement à l’approche des 250 derniers mètres. C’était une position parfaite pour lancer mon sprint ». En quatrième position, il remontait rapidement en tête, surprenant notamment Christophe Laporte, coincé en tête du groupe après une tentative d’accélération sous la flamme rouge. « Je ne pensais pas qu’il allait lancer si tôt. Il est venu de l’arrière avec beaucoup de vitesse. J’ai vu que cela allait être compliqué de revenir. Il s’est un peu écrasé à la fin, je suis revenu pas loin, mais bon… », se désole le Français.
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Biniam Girmay, lui, pouvait célébrer son premier grand succès, le premier d’un Africain sur une classique. Un moment historique pour lui, pour le cyclisme, mais aussi pour l’équipe Intermarché-Wanty-Gobert, six ans jour pour jour après la tragique disparition d’Antoine Demoitié sur ces mêmes routes de Gand-Wevelgem. « Je ne sais pas comment j’ai gagné… C’est incroyable. Je ne m’attendais pas à un tel résultat », réagit Girmay, surpris et en même temps très calme au micro. « Cette victoire va évidemment beaucoup changer pour moi. Cela va aussi offrir un avenir plus radieux au cyclisme en Afrique. J’espère que cela va aider tous les cyclistes africains. » Celui qui regardait Daniel Teklehaimanot (le premier Érythréen au départ d’un Grand Tour, sur la Vuelta 2012), Natnael Berhane et Merhawi Kudus comme des modèles fait désormais encore mieux qu’eux.
« Ouvrir la voie pour les jeunes »
Dans une interview accordée à De Morgen ce week-end, Biniam Girmay confirme qu’il a un rôle à tenir et ne s’en plaint pas. « Ces coureurs (érythréens) m’ont inspiré pour démarrer ma carrière de cycliste. Grâce à eux, le rêve de devenir cycliste professionnel ne me semblait plus si lointain. (…) Maintenant, je porte moi-même cette responsabilité pour d’autres jeunes. Je veux les aider et ouvrir la voie pour eux », raconte-t-il. « Mon travail n’est pas terminé. Je suis professionnel désormais, je vis mon rêve, mais je dois encore beaucoup apprendre, progresser. J’ai une chance, ici, en Europe, je ne veux pas la gâcher. Par-dessus tout, je veux encore gagner, inspirer et je crois fermement qu’un jour, un coureur noir gagnera une étape du Tour de France ». Girmay espère évidemment que cela peut être lui-même, lui qui se compare aux qualités d’un Wout van Aert. Il a en tout cas déjà une victoire en commun avec le champion belge.
Si bon nombre d’observateurs espèrent le voir sur le Tour des Flandres dans une semaine, l’Érythréen a clairement fait savoir qu’il souhaitait rentrer dans son pays, aussi pour son bien-être. Le temps de recharger les batteries, déjà solidement utilisées depuis le mois de janvier et sa victoire au Challenge de Majorque. Et de se remettre en forme pour le Tour d’Italie, sur lequel il pourra encore jouer la gagne et devenir le premier coureur noir à remporter une étape de Grand Tour. Il en a en tout cas toutes les qualités.
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Résultats de la 84e édition masculine de Gand-Wevelgem (Ypres > Wevelgem, 248.8 km) :