Ce Tour de France est inhabituel à bien des égards : des chutes sur des routes trop étroites, des attaques sur des routes pour sprinters, des longues échappées sous la pluie… Les coureurs n’ont jusqu’ici enchaîné «que» neuf étapes sur vingt-et-une, mais le résumé de l’épreuve pourrait déjà plus d’une demi-heure pour expliquer tout ce qui s’est dessiné entre Brest et Tignes. Et pourtant, au bout de cette semaine de course, le maillot jaune accroché aux épaules de Tadej Pogacar (UAE Team Emirates) semble déjà coller à la peau du Slovène, dominateur face à des adversaires dans le mal.
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Pogacar assure, ses rivaux dévissent
L’image est impressionnante et a mené à de nombreux commentaires, notamment de la part du journaliste à l’origine de ces lignes : dans les cols de Romme et de la Colombière, Tadej Pogacar (UAE Team Emirates) sur le gros plateau a mangé un à un les échappés et pris plus de trois minutes sur ses principaux rivaux au classement général pour conquérir son premier maillot jaune de l’été. Déjà annoncé comme le grand favori, le Slovène a «assommé» la course, comme bon nombre de médias l’ont annoncé au soir de cette première étape de haute montagne au Grand-Bornand. L’exploit est impressionnant, le classement général tout autant, avec le dixième largué à plus de six minutes, le plus large écart enregistré depuis plus de vingt ans sur les routes de la Grande Boucle.
Et pourtant, les chiffres le confirment : la performance de Pogacar n’explose pas les records. Le coureur slovène a été presque aussi rapide que Dan Martin ou le groupe Bernal sur le Tour 2018 (certes sous le soleil à l’époque, et non avec un vent de face et sous la pluie comme ce samedi) sur le col de la Colombière. Sur l’ascension précédente, le col de Romme, Pogacar a par contre été plus rapide que les frères Schleck, Contador et Klöden en 2009, avec une trentaine de secondes d’avance sur Richard Carapaz. Un sacré effort de la part du Slovène, en pleine attaque. Avec un braquet de 53×30, assez récent dans le peloton, «Pogi» a mené un gros rythme, mais loin de l’extraterrestre annoncé par certains.
Car derrière, ce sont surtout les adversaires de Pogacar qui ont baissé pavillon. Par rapport au Tour de France 2020, Primoz Roglic a abandonné, Miguel Angel Lopez et Richie Porte ont chuté et lâché leurs espoirs de classement général, alors que seuls Enric Mas et Rigoberto Urán semblent être à leur niveau : celui d’un Top 10, sans plus. Pendant que d’autres grimpeurs qui auraient pu tenter leur chance ont également lâché trop de temps pour croire au maillot jaune, comme Nairo Quintana, Simon Yates ou Michael Woods. Alors que d’autres avaient des objectifs différents comme Egan Bernal ou Romain Bardet. La lutte est bien différente par rapport à ces dernières années. Mais les soupçons restent pour certains. Le cyclisme a tellement vécu qu’il est difficile d’y laisser une insouciance constante.
Alors, Pogacar a pris sa chance. Pendant que ses rivaux pansaient leurs plaies ou tentaient de récupérer de cette première semaine de course infernale, menée tambour battant, le leader d’UAE Team Emirates a frappé en une étape, sous des conditions dantesques. Avant de répéter l’effort sur cinq kilomètres le lendemain, pour récupérer cette fois une demi-minute de plus. Cela crée déjà de larges écarts, mais il reste encore deux semaines de course à enchaîner, sous une météo qui s’annonce encore difficile ces prochains jours. Avec des étapes montagneuses piégeuses, comme celle du Mont Ventoux ou vers Luz Ardiden. Ce Tour n’est pas encore terminé, même si les adversaires de «Pogi» devront se montrer ingénieux et certainement tenter autre chose qu’une attaque dans les cols pour surprendre le Slovène.
Les chutes ont pourri la course
Le président de l’Union Cycliste Internationale David Lappartient a beau affirmer que les chutes en ce début de Tour de France ont été principalement dues suite à «un manque de vigilance» de la part des coureurs, la nervosité du peloton ne peut expliquer seulement l’ensemble des situations dangereuses vécues sur les premières étapes bretonnes. «Ça frotte, tout le monde veut être devant, et il n’y a pas de place pour tout le monde. Mais je ne crois pas qu’on puisse mettre ça sur le dos du parcours», affirme David Lappartient, après les critiques lancées notamment par le patron de Groupama-FDJ Marc Madiot ainsi que d’autres coureurs comme Julien Bernard (Trek-Segafredo) ou Jacopo Guarnieri (Groupama-FDJ).
Philippe Gilbert (Lotto-Soudal) indique pour sa part que les premières chutes de la troisième étape du Tour vers Pontivy peuvent être imputées aux coureurs, mais pointait également les routes techniques et virages peu visibles du final, confirmant que ces routes comportaient bien des dangers. Et ces dangers, au-delà du stress du peloton, ont mené à une véritable hécatombe. Adieu Jack Haig, leader de Bahrain-Victorious. Bye Caleb Ewan, sprinter attitré de Lotto-Soudal. Au revoir Marc Soler, joker de la Movistar. Et à bientôt Primoz Roglic, deuxième du Tour 2020 et contraint au forfait avant la 9e étape. Et on ne parle même pas des coureurs toujours convalescents comme Geraint Thomas, co-leader d’INEOS Grenadiers, Miguel Angel Lopez, N.1 annoncé chez Movistar, etc. Des concurrents qui auraient clairement animé cette Grande Boucle, et doivent désormais panser leurs plaies.
Les chutes font partie de la course, évidemment, et il ne s’agit pas du premier Tour don le cours est perturbé par des abandons de favoris et/ou outsiders. Le ratio de favoris touchés par des embardées est toutefois important cet été. Comme en 2014 lors de la victoire de Vincenzo Nibali, auteur d’une excellente course face à des grimpeurs bousculés par les premières étapes en ligne et les routes trop étroites du Nord.
Ces événements bousculent de manière plus importante que prévu le classement général, et confirment l’importance pour les organisateurs de doser au mieux les routes d’un Grand Tour. Il ne suffit pas d’emmener le peloton sur des routes étroites ou montagneuses pour creuser les écarts. Il faut également envisager la sécurité des coureurs, la nervosité inhérente à la pression ressentie sur le Tour, le nombre de coureurs au départ… Une étape du Tour de France, même avec des airs de classique, ne peut être égale à une course d’un jour qui offre différents objectifs à d’autres types de coureurs. Et en Bretagne, les grimpeurs ont payé le prix fort. Cela n’a évidemment pas empêché le spectacle en ces premiers jours de course. Mais sur trois semaines, et même pour le reste de la saison, cela risque de peser.
Van Aert et Van der Poel au panache
Annoncés comme les stars de ce début de Tour de France avec le champion du monde Julian Alaphilippe (Deceuninck-Quick Step), le champion de Belgique Wout van Aert (Jumbo-Visma) et le Néerlandais Mathieu Van der Poel (Alpecin-Fenix) ont décidé de marquer le Tour de France de leur empreinte dès les premiers jours de course. Le maillot noir-jaune-rouge a mis du temps à se montrer aux avant-postes, pendant que son rival batave menait une course offensive dès la deuxième étape vers Mûr-de-Bretagne, pour décrocher le maillot jaune, 37 ans après son père Adrie. Émouvant et costaud.
Les deux hommes se retrouvaient dès la 7e étape, la plus longue de ce Tour (249,1 kilomètres) pour animer une journée folle en tête du peloton. Le maillot jaune en personne partait en puissance avec une trentaine de coureurs, dont le troisième du général, Van Aert, décidé à aller chercher le maillot jaune. Van der Poel était malgré tout trop fort, et se dépensait sans compter pour suivre la roue du champion de Belgique et assurer une journée de plus en jaune. Le lendemain, il suivait encore Van Aert dans les premières attaques de l’étape alpestre vers Le Grand-Bornand. Avant de lâcher prise dans le col de Romme et d’abandonner ce maillot qu’il a si bien porter.
Les deux hommes n’avaient même pas besoin de côtes à plus de 10% ou de pavés pour écrire le chapitre offensif de ce début de Tour. Déterminés à mener une course à l’avant pour accrocher une étape ou avancer au classement général, le Belge et le Néerlandais n’ont pas compté leurs efforts, sans s’inquiéter d’équipes préférant attendre l’altitude. Ce qui a permis au Tour de connaître une première semaine bien plus vivante que par le passé. Quitte à faire sortir les UAE Team Emirates de leur réserve pour éviter à Van Aert et Van der Poel de prendre un avantage dangereux au général.
Bien entendu, Van der Poel savait très bien qu’il n’allait pas enchaîner 21 étapes et rejoindre Paris, malgré les quelques déclarations du leader d’Alpecin-Fenix. D’ailleurs, après avoir lâché le maillot jaune, le Néerlandais a déclaré son forfait avant la 9e étape, à moins de trois semaines de la course de VTT des Jeux Olympiques de Tokyo. Alors que Wout van Aert, annoncé un temps comme un leader potentiel pour la Jumbo-Visma après les blessures de Roglic, a dû abandonner ses espoirs de maillot jaune sur l’attaque puissante de Pogacar dans le col de Romme. L’objectif avait alors changé : adieu le général, place à la chasse aux étapes et à la préparation pour les prochains J.O. Heureusement que Van der Poel et Van Aert, mais aussi Alaphilippe, sont là pour bouleverser les scenarii tracés d’avance. Pour le bien du Tour.
Cavendish voit vert
Un coureur qui n’était même pas prévu sur le Tour de France une semaine après son départ est actuellement en tête du classement par points du Tour de France. Personne ne s’attendait à voir le Britannique Mark Cavendish (Deceuninck-Quick Step) au départ de la Grande Boucle en juin dernier. Puis une blessure au genou du sprinter attitré du «Wolfpack» Sam Bennett a donné de l’espoir au coureur de l’île de Man, vainqueur autoritaire du sprint de la dernière étape du Tour de Belgique. Cavendish est arrivé en dernière minute sur le Tour, et y a confirmé que l’expérience et la vélocité font clairement la différence sur de telles routes. «Je pensais qu’il pouvait revenir, mais sans savoir à quel niveau exactement», expliquait jeudi Patrick Lefevere, manager de Deceuninck-Quick Step. Cavendish lui a répondu de la meilleure des manières.
Tant à Fougères (où il s’était imposé en 2015) qu’à Châteauroux (où il avait remporté sa 1re étape sur le Tour en 2008 avant de répéter en 2011), Cavendish a fait parler sa puissance, en partant à chaque fois dans une position et une distance idéales. S’offrant même le maillot vert, avec les honneurs. Et évidemment, tout le monde a en tête le fait que le Britannique n’est plus qu’à deux victoires du record d’étapes d’Eddy Merckx (34 contre 32 pour Cavendish). Mais il refuse d’en entendre parler, à raison au vu de son lâcher-prise sur ce Tour : «Si je peux en remporter cinquante de plus, j’irai les chercher ! Je ne pensais pas que je pourrais regagner un jour sur le Tour, mais je l’ai fait», confirme-t-il. Le reste n’est désormais que du bonus. Et avec les étapes de plaine qui s’annoncent à Nîmes, Carcassonne, Libourne et Paris, Cavendish ne va certainement pas s’arrêter là.
Car derrière, les sprinters capables de le devancer sont rares. Son principal rival annoncé Caleb Ewan (Lotto-Soudal) a dû abandonner sur une chute dès le premier sprint massif de ce Tour de France. Arnaud Démare (Groupama-FDJ) subit les chutes depuis le début du Tour mais s’est quelque peu relancé après le sprint de Châteauroux, conclu à la quatrième place. Nacer Bouhanni (Arkéa-Samsic) se rapproche du succès mais a encore besoin de confiance dans ses trajectoires. Il reste alors le train des Alpecin-Fenix qui ont jusqu’ici compté sur Jasper Philipsen pour tenter de devancer le sprinter de l’île de Man, mais ce dernier manque d’expérience. Alors oui, Cavendish sera encore favori sur les prochaines étapes de plaine de ce Tour.
Merlier et Teuns : la Belgique à la fête
Vu sa victoire dès la première étape au sprint du Tour d’Italie puis sur le Tour du Limbourg et l’Elfstedenronde, il ne faisait aucun doute que le sprinter flandrien Tim Merlier allait faire parler sa pointe de vitesse pour sa première participation au Tour de France. L’épreuve française apporte son lot de pression, avec un peloton plus compétitif encore que sur le Giro. L’équipe Alpecin-Fenix a toutefois confirmé son professionnalisme au fil de la saison, et amenait ce qu’il compte de mieux comme coureurs rapides, avec Jasper Philipsen, Jonas Rickaert et Mathieu Van der Poel. Et cela a payé. Sur une étape une nouvelle fois marquée par les chutes, comme lors du premier sprint massif du Giro, avec Tim Merlier en dernier étage d’une fusée lancée par Jasper Philipsen. Un et deux à Pontivy : ce doublé belge dans un sprint était tout simplement le premier depuis Tom Boonen et Gert Steegmans sur la 2e étape du Tour de France 2007.
Cette victoire a été accompagnée de son lot de polémiques parmi la presse flamande. Merlier est en effet considéré comme le Belge le plus rapide du peloton, mais désormais vainqueur, il tente d’également faire connaître le succès à son équipier Jasper Philipsen, avec qui l’entente ne serait pas de plus évidentes. Et à Fougères et Châteauroux, le jeune Philipsen, qui disputé seulement son deuxième Tour de France à 23 ans (!), a dû admettre sa défaite face à Mark Cavendish. Certains s’étonnent donc dans le nord du pays qu’Alpecin-Fenix ne tente pas d’accumuler les victoires avec Merlier. Pourtant, comme le dit Patrick Lefevere, manager de Deceuninck-Quick Step, l’équipe belge des frères Roodhooft a déjà réussi son Tour avec le maillot jaune de Van der Poel, sa victoire d’étape ainsi que celle de Merlier. Désormais, la suite n’est que du bonus. Et faire gagner Philipsen offrirait bien plus de mérite à cette formation qui veut faire briller le collectif. Avec un réel bénéfice pour le jeune sprinter de Mol, qui connaîtrait ainsi sa deuxième victoire sur un Grand Tour. Cela devra toutefois se faire sans Tim Merlier, éjecté du gruppetto et contraint à l’abandon dès la deuxième étape alpestre. Il reste désormais à trouver la bonne tactique face à Cavendish, clairement le plus véloce dans les tout derniers kilomètres.
La deuxième victoire belge de la semaine aurait pu venir de Jasper Stuyven (Trek-Segafredo), vaincu par un incroyable Matej Mohoric (Bahrain Victorious) vers Le Creusot. Elle a finalement été enregistrée le lendemain par Dylan Teuns (Bahrain Victorious), auteur d’une montée exceptionnelle du col de la Colombière sur la 8e étape vers Le Grand-Bornand. Le coureur belge était lâché suite à l’offensive de Michael Woods (Israel Start-up Nation), mais a géré ses montées du col de Romme puis de la Colombière pour filer en solitaire et remporter la deuxième victoire d’étape du Tour de sa carrière malgré le retour express de Tadej Pogacar (UAE Team Emirates). Avec en prime un hommage à son grand-père décédé juste avant le Tour. Et certainement la revanche d’un coureur souvent discret et clairement oublié à l’aube de la prochaine course olympique à Tokyo, sur un tracé idéal pour ses qualités de puncheur-grimpeur.
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Photos : ASO/Pauline Ballet et Charly Lopez
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