Alors que le Tour de France commence à fasciner aux quatre coins du pays, dans un frémissement sportif qui impose le respect à ces forçats de la route, comme Albert Londres les nommera vingt ans plus tard, un jeune militaire venu de la vallée de l’Esponne, au cœur des Pyrénées, découvre au détour d’une lecture de L’Auto, cette aventure sportive folle : couvrir plus de 4 000 kilomètres sur une bicyclette lourde comme les colis qu’il traînait au sommet du pic du Midi, sur des chemins cabossés par le temps et la nature, voilà un défi qui anime Amédée Fario. Dès 1907, il se met en quête d’argent destiné à financer son premier vélo de compétition et son enregistrement en tant qu’isolé parmi les grands noms du Tour. Épaulé par un mécène, scientifique sur le Pic du Midi, Amédée va enchaîner les années de galère pour toucher son rêve de gloire. Une nuit dans la neige va ainsi le contraindre à l’amputation de tous ses orteils… Deux ans plus tard, il vaincra pourtant l’adversité pour s’offrir une première participation au Tour de France, le rendez-vous qui fait rêver tout l’Hexagone.
Amédée n’a jamais existé. Il est possible qu’un coureur sans orteil ait un jour disputé le Tour de France, au nez et à la barbe de commissaires pourtant prêts à toutes les vérifications avant le départ de la Grande Boucle. Les livres d’histoire cycliste n’en font en tout cas aucune mention. Christian Lax a simplement voulu retranscrire par ce récit la rude vie de ces forçats de la route, ces gamins de la terre qui ont tenté par tous les moyens d’accéder à la gloire sportive, malgré un coût exorbitant pour qui donc ne pouvait obtenir le soutien des grands fabricants de cycles de l’époque. Les isolés devaient se débrouiller de A à Z, depuis leurs entraînements jusqu’à leur logement entre les étapes de cette éreintante course. Alors, imaginez avec un handicap…
Loin du confort moderne
Christian Lax revient dans cette épopée sur les origines souvent méconnues du Tour de France, loin des contrôles, du cérémoniel, du confort, de l’accompagnement, de la caravane contemporains. Les coureurs livrés à eux-mêmes dans la nuit noire sur des routes sauvages. Les douleurs réveillées à chaque nid-de-poule. Le ravitaillement aléatoire au gré des auberges rencontrées sur le chemin. Et l’organisation a en prime eu l’audace dès 1910 d’envoyer ces furieux dans la haute montagne. Avec le matériel de l’époque, un vélo d’une vingtaine de kilos sans frein, sans dérailleur, avec un pignon fixe, des cale-pieds en acier sans serrage et un guidon aux poignées en bois. On n’ose imaginer le danger d’une telle machine sur les routes de terre pré-14-18.
Le dessin se veut brut, parfois brouillon, il dévoile toutefois la grande sensibilité de l’auteur pour ce personnage attachant, grand parmi les brisés. On se prend à rêver d’une victoire pour ce miraculé parmi les héros du Tour, tant son histoire fascine. Celle-ci met du temps à se construire, on s’interroge même sur le prologue qui ne dévoile pas un seul vélo durant de nombreuses pages. La construction est pourtant importante pour mener à l’aboutissement d’un rêve. Le Tour de France n’est d’ailleurs pas aussi longuement dessiné que les longs barouds d’Amédée dans la montagne pyrénéenne. Ces décors façonnent le personnage et son caractère de dur au mal. Touchant, Amédée inquiète et rend admiratif par sa résilience. Jusqu’à s’envoler sur les sommets de son enfance.
- « L’aigle sans orteils » par Christian Lax, une bande dessinée sortie en 2005 aux éditions Aire Libre et Dupuis, 140 pages.
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