Une journée sur le Tour des Flandres cyclo : sous la pluie, une expérience de Flandrien

Un jour avant les pros, près de 16 000 cyclistes amateurs et amatrices ont pris leur vélo pour affronter les terribles « bergs » et pavés, théâtres des éditions professionnelles du Tour des Flandres le lendemain. Une expérience marquante.
Grégory Ienco - Tour des Flandres Cyclo 2023 - Stationsberg
Photo : Sportograf

Alerte jaune à la pluie. L’Institut Royal de Météorologie ne peut pas être plus clair. De vendredi 11h00 à samedi 23h00. Pas moyen d’échapper aux averses, elles arrosent la Belgique du nord au sud, de l’est à l’ouest. Avec en prime des rafales pouvant atteindre les 40 km/h à l’intérieur du pays. Comme à Audenarde, finalement. Il va falloir sortir le cuissard long, le maillot long mais aussi faire un choix : simple veste de pluie ou veste d’hiver et k-way en prime ? Ce sera la veste d’hiver vu le thermomètre annoncé sous les 8 degrés. Avec la pluie, le ressenti sera même encore plus faible… Autant prévoir trop chaud que trop froid dans de telles conditions.

Ce n’est pas la première fois que je m’essaye à l’exercice de la course pour cyclotouristes sur les traces des professionnels. Mais jusqu’ici, je m’étais adapté à mon niveau relativement léger (3 000 à 4 000 km par an depuis le Covid-19). Un premier essai sur les 75 kilomètres de Liège-Bastogne-Liège, sur des côtes pourtant moins adaptées à mon poids (71 kg pour 1m73). Mais c’était passé, et même bien passé. Le soleil de septembre m’avait permis de profiter de cette course d’introduction, malgré l’enchaînement incessant de collines. Sans oublier ce final via la Roche-aux-Faucons et la côte de Cortil. L’expérience n’était toutefois pas traumatisante, au point de lancer une autre réservation, sur Paris-Roubaix cette fois. Toujours la plus courte distance (75 km), toujours la sécurité. Les pavés sont robustes, le vent se fait plus rude. Heureusement, le soleil est là tout au long de la journée, encore une fois, pour rendre la balade dans l’Enfer du Nord plus agréable. Je prends du plaisir, je parviens à enchaîner les secteurs sans grande difficulté… C’est bien le minimum pour un cyclotouriste à la découverte de terres inexplorées. Ces pavés sont d’une autre pierre que ce qu’on trouve en Belgique, l’expérience marque les mains et les cuisses. Heureusement qu’il y a ce gravel et ces roues plus larges pour faire face à ces chemins d’antan.

Alors, un an plus tard, la question se pose : maintenant que la campagne des classiques s’annonce, n’y a-t-il pas une nouvelle course à découvrir ? Après deux premiers monuments, le regard se pose logiquement sur le troisième d’avril : le Tour des Flandres. L’événement est tel que la VRT déploie même un direct pour rendre hommage à celles et ceux qui se lancent dans ce défi. Sur 77, 144, 177 ou 242 kilomètres. Qu’ils soient partis d’Audenarde ou de Bruges. Après deux premières expériences en-dessous des 100 kilomètres, l’heure est à l’ambition. Et pourquoi pas tenter le 144 kilomètres ? Avec une préparation idéale, cela peut se tenter. L’optimisme est une forme de courage, paraît-il.

Entre l’intention et la réalité, le fossé est parfois large. Les entraînements sont finalement plus éparses. Les soucis personnels s’enchaînent, un lourd voyage de dix jours à deux semaines du départ… Autant d’éléments qui invitent au doute. Tenir 144 kilomètres ? Ce serait la plus longue sortie jamais réalisée de ma vie. Affronter plus de 1 900 mètres de dénivelé ? C’est encore pire que l’ascension du Mont Ventoux tentée l’an dernier. Rester plus de six heures de la selle ? Le corps va détester… Heureusement, un ami me conforte dans mon choix, confirme au dernier moment qu’il va m’accompagner. Et puis, il y a ces trois ravitaillements sur le parcours qui permettent de souffler et de s’alimenter. Et les courtes côtes pavées, ça me connaît : vivant près d’Overijse, les ascensions de la Flèche Brabançonne et de la Course des Raisins n’ont plus aucun secret, avec également des murs à 20%. Certes, le Paterberg et le Koppenberg sont plus longs, mais il faut bien trouver des points d’appui pour se lancer dans le grand bain.

Entre l’enthousiasme et la peur

Le jour J arrive. Sous la pluie déjà intense, il est l’heure d’installer le vélo dans la voiture. Une heure de route jusqu’à Audenarde. À peine le pied sur la pédale que l’eau a déjà envahi la tenue hivernale proposée pour faire face à ce temps de Flandrien. Aller chercher son dossard dans le hall omnisports déjà noir de monde. Et puis, prendre son courage à deux mains pour affronter ces 144 kilomètres, 18 côtes et 3 secteurs pavés répertoriés. Et le reste de difficultés non-indiquées sur le petit autocollant proposé par l’organisation. Posé sur le cadre, ce mémo pratique pour la suite du parcours n’a pas tenu plus de deux heures face à la météo déplorable du jour. Autour du départ, les mêmes visages entre l’enthousiasme et la peur. Affronter un tel temps relève du masochisme pour beaucoup. Il s’agit plutôt d’une future victoire contre soi, la confirmation qu’on peut se révéler plus fort que les éléments sur une machine seulement poussée par son corps.

Les premières minutes, le rythme se veut doux. Pas question de se brûler les ailes après quelques kilomètres. Surtout au vu du vent particulièrement traître. Heureusement qu’il sera plus porteur par la suite. Et après à peine une dizaine de kilomètres, la première difficulté se dresse : le Wolvenberg, comme un apéritif. « Oh, mais ça va en fait ». Oh, que mon cerveau peut être taquin. La difficulté paraît moindre, car il s’agit bien de l’un des « bergs » les moins rudes de la journée. Le plus dur arrive ensuite. Un coup d’œil sur le mémo de l’organisation et je m’en rends compte : après le deuxième ravitaillement, après la mi-course, il y aura le Koppenberg, le Steenbeekdries, le Taaienberg, le Berg Ten Houte et le Kanarieberg qui vont s’enchaîner en une vingtaine de kilomètres à peine. Cela trotte déjà dans l’esprit…

Grégory Ienco - Tour des Flandres Cyclo 2023 - Descente
Photo : Sportograf

Mais une chose à la fois. La première crainte concerne le Molenberg. À la télévision, on voit toujours ce mont comme le premier juge de paix vu son entame très compliquée, après un virage très serré à 90 degrés. Sauf que cette fois, nous ne sommes pas dans un peloton à jouer les positions. Arriver en solitaire sur ce Molenberg permet de dégager toute la puissance nécessaire sur ces pavés cassants, sans s’inquiéter d’un coup de frein. Il y a bien quelques glissades qui obligent à rouler sur le côté. Mais l’ascension se veut plus rassurante que prévu. Le premier écueil est passé. Et l’optimisme se veut plus important encore au premier ravitaillement, après seulement une trentaine de kilomètres de course. Et dire qu’il en reste encore plus d’une centaine…

La pluie semble se calmer. Mais sur les routes de campagne, l’eau abreuve encore les pavés. La boue prend le pas sur la route, les glissades s’enchaînent. Je salue ma décision de baisser la pression de mes pneus à seulement 3 bars. Nous ne sommes pas sur un cyclo-cross, mais l’adhérence est comme telle. Dans le toboggan du Haaghoek, habituellement très rapide, tous les participants sont sur les freins, avec l’espoir d’éviter l’embardée au bas de la cuvette. Sur ces pavés cassants, il faut jouer la prudence. Il y a pourtant de grands monts pavés qui s’annoncent. Avant cela, le Leberg, le Berendries, le Valkenberg font déjà brûler les cuisses. Mais il faut au moins conserver un peu d’énergie pour la deuxième partie. Voici seulement la moitié du parcours…

Une attente interminable avant le Koppenberg

Après le deuxième ravitaillement, au bout de 79 kilomètres, le juge de paix est encore à l’horizon. Le fameux Koppenberg, cette terrible ascension pavée à 20%, sur un chemin encore plus cassant que tout ce qui a été affronté jusqu’ici. En remontant l’autoroute cycliste qui mène à ce mont d’importance, on remarque de nombreux cyclistes rebrousser chemin alors que le pied de la côte n’est qu’à quelques centaines de mètres. Ce n’était pas pour rien… Devant nous, une file de centaines de personnes qui attendent patiemment de grimper cette terrible colline. La patience est reine. Mais sous la pluie, sous une température ressentie de 5 degrés, l’impatience est bien plus forte. Au bout de quelques dizaines de minutes, la délivrance : arrêt sur la ligne de départ du cyclo-cross qui démarre annuellement sur cette même route, puis démarrage une dizaine de secondes après les précédents participants. Et dès les premières pentes, la roue arrière patine. Il faut rester bien cabré, les mains fermes sur le guidon, le coup de pédale puissant. Toujours rouler sur la même ligne, éviter les coups de guidon trop violents, mais aussi éviter les nombreux cyclistes qui ne peuvent poursuivre sur les pédales. L’ascension paraît simple à première vue, elle semble interminable sur son passage le plus corsé, à plus de 20%. Les trous sont de plus en plus larges, l’écart entre les pavés me fait craindre la chute à chaque instant. Il faut crier “attention” toutes les cinq secondes pour ne pas freiner, et éviter les concurrents à pied. L’adrénaline grimpe au fur et à mesure que les mètres s’égrainent. La pente se fait plus douce, un soulagement quand on a cru cinq fois tomber en raison des pavés boueux à souhait. L’enfer est passé. Ou presque.

Grégory Ienco - Tour des Flandres Cyclo 2023 - Koppenberg
Photo : Sportograf

Car l’enchaînement qui suit n’est pas des plus doux. La Mariaborrestraat et le Steenbeekdries pour goûter encore un peu plus aux pavés, avant le Taaienberg, une autre pente à près de 15% qui a failli mener à l’une ou l’autre glissade. Heureusement, les pneus tiennent bons dans la mélasse qui bouscule la physique de cette côte déjà ardue en temps normal. Il y a encore le Berg Ten Houte et le Kaperij pour fatiguer un peu plus avant la dernière boucle, qui démarre du dernier point de ravitaillement à Renaix. L’averse se fait alors encore plus puissante, le vent frappe le visage. Une banane, une gaufre et un sandwich au jambon suffiront pour terminer cette longue balade à travers les Ardennes flamandes.

Cette dernière partie explose directement les jambes : dès la sortie de Renaix, la route grimpe pour mener au Kruisberg et ses pavés jusqu’à 13%. Là encore, il faut zigzaguer entre les divers protagonistes du jour pour éviter la chute. Au sommet, le cœur bat à plus de 170 battements par minute. Et il y a encore ce faux-plat montant jusqu’à Hotond, qui fait encore grimper ce chiffre. Demandez à Wout van Aert ce qu’il en pense. Et si ça ne suffisait pas, l’organisation a décidé de faire encore plus mal en envoyant le peloton amateur jusqu’au “col de l’E3”, la Karnemelbeekstraat, une ascension évitée sur le Tour des Flandres. La crampe n’est pas loin, alors il faut mettre une dent en moins, grimper aussi doucement que les DSM dans le Kanarieberg. Le courage de poursuivre consiste à comptabiliser les dernières côtes à franchir : plus que deux…

Survivre sur le Paterberg

Après une longue descente sous une pluie toujours plus intense, il n’y a plus que le Vieux Quaremont et le Paterberg en vue. La première montée semble déjà insurmontable. Les premiers hectomètres font chauffer les cuisses et semblent indiquer la fin des opérations. Heureusement, le passage devant le village de Quaremont et l’arrivée aux tentes VIP permettent de se redonner du courage. Je parviens à dépasser de nombreuses personnes, cela galvanise, même si aucune compétition n’est en jeu. Juste franchir ce faux-plat montant infernal me permet de croire en une finale plus douce pour mes jambes. La descente vers le Paterberg me soulage tout autant. Mais il reste cette ligne droite pavée, l’ultime colline à franchir.

Dès le pied, la plus petite vitesse, 42-11, et on espère survivre. Les mollets se raidissent, les cuisses donnent l’énergie du désespoir. Les crampes, déjà connues au sommet de la Karnemelkbeekstraat, sont encore plus présentes, je ne sais pas comment tenir jusqu’au sommet. Et pourtant, malgré la roue arrière qui chasse à nouveau, le léger replat avant les 50 derniers mètres permet de retrouver un peu de jus pour atteindre le “top” et rêver de l’arrivée. Heureux et fier. Je salue mon ami qui a également tenu le Paterberg sur la selle. Il est déjà temps de filer jusqu’à Audenarde. Les derniers kilomètres seront heureusement avec le vent de 3/4 dos. Mais l’énergie lâchée sur le Paterberg me pousse à juste suivre les groupes encore présents. 27 km/h de moyenne jusqu’à la ligne d’arrivée, dans la bonne roue, cela fait du bien pour clôturer en beauté cette journée dans le froid. Et dans le dernier kilomètre, toute l’adrénaline remonte, tout le corps se réveille pour célébrer ce passage sur la ligne, là où Tadej Pogacar et Lotte Kopecky vont briller 24 heures plus tard. L’expérience est traumatisante, mais quelle expérience ! L’année prochaine, je ferai attention à la météo…

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