L’hélicoptère a presque manqué la bonne offensive. Concentré sur la poursuite menée par Matej Mohoric (Bahrain Victorious), le cadreur semblait avoir oublié qu’en tête, il ne restait que 200 mètres avant la célèbre cabine téléphonique signifiant le sommet du Poggio di Sanremo, dernière colline tortueuse avant Sanremo. Elle était pourtant bien planifiée, cette offensive. Une accélération déterminante, le tout pour le tout pendant que les autres favoris sont asphyxiés par les précédentes offensives de l’équipe UAE Team Emirates. Mathieu Van der Poel (Alpecin-Deceuninck) a construit sur ce Poggio ce qui allait être un nouveau sommet de sa carrière. Et pourtant, tout ne s’est pas joué que sur cette seule attaque.
Milan-Sanremo a beau ressembler à une loterie dans l’inconscient collectif, la classique italienne propose ces dernières saisons des scenarii renversants, grâce à des puncheurs plus explosifs et déterminés à faire sauter les éventuels sprinters qui rêveraient encore d’une décision en peloton. Si de nombreux spécialistes de l’emballage massif sont présents en nombre sur la liste des partants, ils savent qu’il leur faudra un troisième poumon pour survivre aux offensives de ceux qui préfèrent arriver en solitaire dans la cité des fleurs. Caleb Ewan (Lotto-Dstny), Mads Pedersen (Trek-Segafredo), Arnaud Démare (Groupama-FDJ), Peter Sagan (TotalÉnergies), Magnus Cort (EF Education-EasyPost)… se sont présentés aux avant-postes dans les cinquante derniers kilomètres en espérant que le rythme n’allait pas subir des pics intenses. Arnaud De Lie (Lotto-Dstny), Mark Cavendish (Astana Qazaqstan Team), Jonathan Milan (Bahrain Victorious) devaient pour leur part déposer les armes dans la Cipressa, faute d’énergie sur ces collines s’enchaînant en bord de mer.
C’est déjà dans cette Cipressa, menée tambour battant pour l’équipe UAE Team Emirates, que Mathieu Van der Poel s’affichait une première fois en tête, sans crier gare. Le Néerlandais semblait sur le point d’attaquer avec son coéquipier danois Søren Kragh Andersen dans la roue. Il prenait même quelques mètres au sommet et au début de la descente de la Cipressa, avec l’Italien Matteo Trentin (UAE Team Emirates) comme équipier attentif de Tadej Pogacar. Mais il n’en était rien : le Néerlandais voulait simplement se replacer, jauger ses rivaux. Il prenait même le temps de discuter tactique en tête de peloton avant que les équipes enchaînent les trains pour se placer au mieux au pied du Poggio.
Comme l’explique le Belge Quinten Hermans (Alpecin-Deceuninck) au quotidien Het Nieuwsblad, le plan était préparé de longue date. L’objectif était d’être bien placé dans les deux dernières ascensions de la journée, mais aussi et surtout de profiter du travail des autres formations, vu le vent favorable, jusqu’aux moments les plus opportuns. “Le vent a rendu la course plus facile que prévu, il était assez facile de rester dans les roues”, confirme Mathieu Van der Poel. Un vent de 3/4 dos à près de 25 km/h a en effet soufflé en fin d’après-midi sur la côte ligurienne. Un avantage pour les puncheurs décidés à mener un train effréné jusqu’à Sanremo.
Après cette montée et descente de la Cipressa, Van der Poel l’a confirmé à ses équipiers : “Les gars, je me sens super bien”. L’ordre était donc donné de placer le champion du monde de cyclo-cross en position parfaite au pied du Poggio, là où la route se réduit. Jasper Philipsen et Quinten Hermans étaient chargés de conduire Van der Poel derrière les UAE Team Emirates, prêts pour une nouvelle accélération de costauds. Et Søren Kragh Andersen devait pour sa part protéger le Néerlandais. Et il l’a parfaitement fait : après l’offensive de Tim Wellens et le décalage de Matteo Trentin qui a permis à un groupe de huit coureurs de se dégager, c’est Kragh Andersen qui était dans la roue de Tadej Pogacar pour le suivre au mieux. Non sans laisser un regard rapide derrière lui pour s’assurer que son leader était bien présent.
“Søren m’a bien gardé à l’avant. C’est ce qui m’a permis de répondre en douceur à l’accélération de Pogacar et de me glisser sans trop d’effort dans le groupe de tête de quatre coureurs”, confirme Mathieu Van der Poel lors de la conférence de presse suivant sa victoire. En plus du travail de Kragh Andersen, le Néerlandais a aussi profité du travail de… Wout van Aert (Jumbo-Visma). Bloqué par le fait que Matej Mohoric (Bahrain Victorious) ne parvient pas à suivre l’offensive de Pogacar, le Belge a alors mis les chevaux pour ne pas louper le train de Pogacar et Filippo Ganna (INEOS Grenadiers), également impressionnant dans ce Poggio. Van der Poel, lui, prenait juste la roue de Van Aert et se faisait oublier en quatrième et dernière position du groupe.
L’attaque de Pogacar est intervenue à un peu plus d’un kilomètre du sommet du Poggio. Van der Poel a attendu les 200 derniers mètres pour lancer son offensive, qu’aucun de ses rivaux ne pouvait contrer. Tout le monde était dans le rouge, mais le leader d’Alpecin-Deceuninck avait encore assez d’énergie pour creuser cinq secondes d’écart au sommet de la côte décisive de la Classicissima. “Je voulais partir un peu plus tôt. Mais je n’ai pas trouvé le bon trou pour le faire. J’ai donc dû attendre un peu plus longtemps. Sinon, l’écart au sommet aurait été plus grand encore”, dit-il en toute confiance après coup. Cette offensive, avec le vent dans le dos, après les accélérations d’UAE Team Emirates, a même permis d’exploser le record de la montée du Poggio en 5:40, soit six secondes de mieux que l’ancien record de Laurent Jalabert et Maurizio Fondriest en 1995.
Fãs flagraram o momento que @mathieuvdpoel venceu a @Milano_Sanremo #milanosanremo #ciclismonoDSports pic.twitter.com/qta6dRZtaX
— País do Ciclismo (@opaisdociclismo) March 19, 2023
Il fallait ensuite descendre à fond, sans non plus prendre trop de risque, et essayer de garder un peu de jus pour les deux derniers kilomètres sur le plat. Van der Poel ne se retournait jamais, alors que Van Aert prenait en charge la poursuite. Mais le Belge n’était pas relayé aussi vigoureusement à 2,5 kilomètres du but. Ce qui permettait au leader de prendre encore quelques secondes suffisantes pour rêver d’une victoire en solitaire. “La façon dont je gagne aujourd’hui dépasse tous mes espoirs, j’en suis très heureux”, confirme le Néerlandais, jamais inquiété dans ce final malgré le vent moins favorable. Sur la Via Roma, il prenait le temps de savourer ce succès conquis 62 ans après après son grand-père Raymond Poulidor. “C’est mon quatrième Milan-Sanremo, et avant, je spéculais trop sur mon sprint. Désormais, je veux plus prendre le contrôle”, ajoute celui qui compte déjà trois Monuments dans son palmarès (deux Tours des Flandres et un Milan-Sanremo).
Pourtant moins en verve sur Tirreno-Adriatico, plutôt transformé en équipier modèle pour Jasper Philipsen, Mathieu Van der Poel a de nouveau répondu qu’il peut se préparer spécifiquement pour les grands rendez-vous. Qu’il peut gérer la pression et le statut de favori sans grande difficulté. Bien épaulé par une équipe qui s’est parfaitement renforcée cet hiver, le coureur de 28 ans a encore un printemps intéressant qui l’attend. Les prochaines bagarres avec Wout van Aert, Tadej Pogacar, Tom Pidcock, Filippo Ganna et les autres s’annoncent encore plus intéressantes. Car tous sont également décidés à faire tomber le talentueux néerlandais.
“Mathieu a prouvé à tout le monde qu’il est le plus fort, qu’il a porté la bonne attaque au bon moment”, confirme Van Aert. “Je n’ai pas de regret quant à ma course. J’avais un objectif aujourd’hui, c’était d’attaquer dans la roue de Wellens. Tim a fait le job parfait aujourd’hui. Mais je n’étais pas assez fort pour aller en solo. Et quand Van der Poel a attaqué, je n’ai pas pu suivre. Il était trop fort. À l’arrivée, j’étais mort”, ajoute Pogacar. Tous donnent déjà rendez-vous à Van der Poel, vendredi prochain, sur l’E3 Saxo Bank Classic, pour la première répétition générale du Tour des Flandres.
Les résultats de la 114e édition de Milan-Sanremo (Abbiategrasso > Sanremo, 293.8 km) :
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