Dans la poussière du Nord, le Néerlandais Dylan van Baarle (INEOS Grenadiers) a bousculé les favoris sur des pavés qui ne lui avaient jusqu’ici valu que des places hors du Top 10. Une journée passée sur le haut du pavé, une parfaite maîtrise de la tactique prévue avec l’équipe et voilà le vice-champion du monde en solitaire sur le vélodrome de Roubaix, incrédule face à son exploit du jour, sur l’édition la plus rapide de l’histoire de la reine des classiques.
La chance sourit aux audacieux. L’adage pourrait prêter à sourire sur les chemins de campagne de Paris-Roubaix. Car la chance n’est pas la seule donnée à prendre en compte sur cette journée infernale. Si au moins cette donnée pouvait être mesurée et modulée au fil des courses… Sur Paris-Roubaix, il faut de la chance, de l’audace, de la maîtrise, de la puissance, de l’endurance. Et le tout en six heures de course s’il vous plaît. Et quand le vent se fait allié pour mener grand train dès les premiers kilomètres dans la campagne picarde, il faut réunir toutes ces qualités de bon matin au risque de finir au vélodrome dans un état liquide.
« C’était une course étrange. Quand le peloton a cassé, je n’avais pas l’impression que le premier groupe était à fond pour créer une bordure. Cela s’est juste cassé d’un coup et la course était alors lancée pour toute la journée… « , résume Mathieu Van der Poel (Alpecin-Fenix), bloqué dans le deuxième peloton après cette bordure surprise qui a malmené les coureurs dès la première heure de course, enchaînée à 49 km/h de moyenne. Les pulsations dans le rouge avant même que les pavés se portent à l’horizon, voilà qui est rare sur l’Enfer du Nord. Le vent était bien du côté des INEOS Grenadiers qui menaient le front en tête du premier peloton, afin de repousser Van der Poel mais aussi Wout van Aert (Jumbo-Visma), Stefan Küng (Groupama-FDJ) ou encore Mads Pedersen (Trek-Segafredo) dans un second groupe. “La bordure ne m’a pas mis dans une bonne position. Mais au final, l’écart n’était pas grand, et l’équipe n’a pas dû travailler vu qu’on avait des coureurs dans les deux groupes”, se rassure Van Aert.
Aucune échappée matinale, deux pelotons de favoris s’arrachant à près de 50 km/h… : cette cassure annonçait la couleur de cette épreuve disputée sous un soleil presque estival et sur des pavés secs et poussiéreux. L’idéal pour une course rapide. Très rapide. “Avec la bordure, cela a été une course très nerveuse. Cela n’a jamais ralenti”, relance Stefan Küng. “Les pavés étaient en prime secs : c’étaient des conditions parfaites pour rouler. Aussi, les vélos sont totalement différents qu’il y a dix ans. Désormais on a des pneus tubeless, des sections spécifiques, des freins à disque… Avec ce nouveau matériel, on parvient à rouler aussi bien sur les pavés que sur le tarmac. L’aérodynamisme est totalement différent, aussi. Les mécanos font un superbe travail à ce niveau-là”, analyse le Suisse, qui a bénéficié du travail de ses équipiers pour permettre au deuxième peloton de rentrer sur le premier à l’aube de la Trouée d’Arenberg. Les cartes étaient rebattues à 90 bornes de l’arrivée.
« Revenir du chaos »
Ce secteur mythique bousculait une nouvelle fois la course : “À Arenberg, cela a été une autre histoire. J’ai crevé à l’arrière, cela a été directement plat, ma roue s’est cassée… J’ai dû changer de vélo avec celui d’un équipier. Ensuite, l’objectif, c’était revenir du chaos”, résume Wout van Aert, contraint à un effort important pour retrouver les avant-postes, pendant que les INEOS Grenadiers et Quick Step-Alpha Vinyl tentaient d’attiser ce chaos en tête de course. “On voulait ensuite rendre la course plus dure avant la deuxième partie des secteurs pavés. Je me suis rendu compte que j’étais super fort et Ben (Turner) m’a bien lancé par la suite. Il a fait un super travail”, confirme Dylan van Baarle. Car après un regroupement dans le peloton qui tentait de rentrer sur un groupe de tête représenté comme un danger par la présence de Matej Mohoric (Bahrain Victorious), les principaux favoris se retrouvaient dans un bon coup après Mons-en-Pévèle, avec Van Baarle, Turner mais aussi Van der Poel, Van Aert, Küng, Yves Lampaert, Florian Sénéchal (Quick Step-Alpha Vinyl), Adrien Petit (Intermarché-Wanty-Gobert) ou encore Jasper Stuyven (Trek-Segafredo). « On avait beaucoup de favoris dans le groupe parti à 60 kilomètres de l’arrivée, tout le monde se regardait quelque peu… », résume Küng.
Mais aucun mouvement net se dégageait de cette course éreintante, aux scenarii multiples. Mohoric lâchait la tête de course sur crevaison et laissait Tom Devriendt (Intermarché-Wanty-Gobert) seul en tête… puis revenait sur le Belge, avec Yves Lampaert (Quick Step-Alpha Vinyl) à moins de 30 kilomètres de l’arrivée. Un coup que Dylan van Baarle suivait en retard, pendant que les autres favoris continuaient de se regarder en chiens de faïence. Mais le Néerlandais rentrait tout de même, à la faveur d’un sacré effort : “Ben Turner m’a dit qu’il était vide, je lui ai dit de prendre un gel et d’essayer de me lancer. Je sentais que les autres étaient fatigués. Il m’a lancé pour une attaque. C’était rude de revenir sur Lampaert et Mohoric, j’ai repris un peu d’énergie et j’ai pu sentir que j’étais l’un des plus forts”, analyse-t-il. Et sur le secteur pavé de Camphin-en-Pévèle, alors que Küng et Van Aert étaient partis derrière en poursuite, Van Baarle décidait de faire le trou, en rouleur. “Attendre les gros moments, atteindre la top puissance, ce n’est pas mon truc. Je suis plutôt capable de pousser plus fort après 250 kilomètres, c’est ce que je préfère”, résume-t-il.
« Dylan était le plus fort »
Au fil des kilomètres, malgré les pavés de Camphin-en-Pévèle et du Carrefour de l’Arbre à avaler, Dylan van Baarle ne cessait de gagner du temps. Et ce malgré les efforts de deux puissants rouleurs comme Van Aert et Küng. “On ne savait pas que Dylan était le plus fort à ce moment-là. On se dit aussi que Van der Poel ou Lampaert sont forts… Sans les crevaisons et sans le changement de vélo, j’aurais pu avoir plus d’énergie dans le final. Mais c’est toujours difficile de choisir le bon moment pour attaquer”, confie le champion de Belgique. “Van Baarle nous a pris plus d’une minute, il était quand même le plus fort”.
L’homme de tête n’a en effet pas voulu croire trop vite en une telle victoire en solitaire. Jusqu’à 1 500 mètres de l’arrivée : “C’était un moment très spécial, surtout quand la voiture de mes directeurs sportifs est venue pour me dire que c’était dans la poche. J’ai commencé à y croire… Car avec la radio, on connaît un peu les écarts mais on n’a pas trop d’informations non plus. On ne veut pas célébrer trop vite”, raconte Van Baarle. » Quand je suis rentré dans le vélodrome, c’était dingue. J’ai vérifié derrière que j’étais bien seul ». Avec plus d’une minute d’avance, le Néerlandais a eu droit à un véritable tour d’honneur sous une ovation rarement entendue dans ce vélodrome André Pétrieux qui sait reconnaître les exploits.
« Je hais rouler sur les pavés »
Vice-champion du monde et récent deuxième du Tour des Flandres, le rouleur batave s’offre ainsi la plus belle victoire de sa carrière. Après l’avoir célébré en premier lieu avec le patron d’INEOS Grenadiers, Dave Brailsford, après la ligne d’arrivée, Van Baarle n’a jamais quitté son sourire, tout en avouant : “Je hais rouler sur les pavés en fait. Tout le monde préférerait rouler sur du macadam tout lisse au Danemark. Mais c’est amusant de faire mal aux autres sur les pavés, ça c’est vrai”, rigole-t-il. Avant de confier ce qui a changé durant ces deux dernières saisons, plus prolifiques pour celui qui se muait jusque-là en équipier-modèle : “Je pense que l’an dernier, après le Mondial, cela a été un moment important durant lequel j’ai eu le déclic. Le sélectionneur national, Koos Moerenhout, m’a donné confiance et a continué à me soutenir. Il m’a dit de croire en moi, plus que ce que je faisais jusque-là. J’ai cru en ses mots et vous voyez ce qu’il se passe. Après m’être battu pour le titre de champion du monde, cela a permis de déclencher quelque chose. Et au Tour des Flandres, j’ai eu la confirmation que j’étais sur le bon chemin”.
Si la déception dominait au moment de laisser son vélo sur le gazon du vélodrome pour reprendre son souffle, le champion de Belgique Wout van Aert, deuxième, jugeait bien différemment sa prestation à froid : “Je pense que j’ai perdu un peu à cause du Covid et un peu à cause des problèmes mécaniques. Je ne dois pas être déçu non plus. Je suis heureux et fier de terminer deuxième. Au final, moi et Stefan avons pu lâcher les autres favoris, on a roulé ensemble jusqu’à l’arrivée sans que les autres, derrière, puissent reprendre du temps. Le plus fort était devant”, raconte-t-il, après avoir confirmé sa prochaine participation, dimanche prochain, sur Liège-Bastogne-Liège, une épreuve bien différente…
« L’an dernier, j’étais hors-délai »
Même satisfaction pour le troisième du jour, Stefan Küng : “J’ai fait un pas en avant sur les classiques, tant physiquement que mentalement”, analyse-t-il. “J’aurais préféré gagner une telle course mais c’est une réussite de terminer 3e. C’était l’une de mes courses favorites dès ma première participation. J’ai déjà connu des crevaisons, des chutes… Mais j’ai toujours dit que c’était ma favorite. Et aujourd’hui, j’ai pu montrer ce que j’étais capable de réaliser. Il faut de l’expérience pour pouvoir la gagner. Et tout le monde n’est pas Cancellara ou Boonen. Je vais mettre ce petit pavé de Roubaix dans ma chambre et le regarder en espérant obtenir un plus grand bientôt”, confirme le Suisse. Et qu’il se rassure, même Van Baarle n’a pas brillé tout de suite : “Je n’ai jamais eu cette expérience de terminer premier sur le vélodrome. L’an dernier, j’étais hors-délai par exemple. (…) J’ai du mal à décrire ce que ça fait… On m’a juste dit d’essayer d’en profiter au maximum et c’est ce que j’ai essayé de faire”. Un moment unique au bout d’une course unique.
Résultats de la 119e édition de Paris-Roubaix (Compiègne > Roubaix, 257.5 km) :