Le cyclisme est un sport particulier, dans lequel tous types de sportif.ve.s enchaînent des performances sur des terrains variés. Le « petit » Remco Evenepoel et sa puissance délivrée dans sa position dite de l’oeuf ont pu rivaliser face aux grandes jambes de Filippo Ganna et Stefan Küng sur le récent championnat d’Europe du contre-la-montre. Les sprinters que sont Sonny Colbrelli ou Wout van Aert démontrent qu’ils ont également les qualités pour grimper et faire exploser un peloton sur les hauts pourcentages.
Dans le peloton, un refrain revient pourtant à chaque fois qu’un grand objectif approche : pour briller, il faut éliminer la graisse au maximum, afin d’être le plus léger possible tout en conservant la puissance accumulée à l’entraînement. En début de saison, les remarques sur l’embonpoint de certain.e.s coureur.se.s fusent, que ce soit entre les coureurs ou parmi les commentaires en télévision. Les cyclistes n’hésitent pas à dire s’ils ont « quelques kilos » en trop à l’aube d’un objectif.
Bien entendu, ces données sont à prendre en considération dans une lutte toujours plus serrée entre les leaders du peloton. Mais s’intéresser particulièrement au poids et à la graisse peut avoir ses effets néfastes, alors que les problèmes de trouble alimentaire sont légion dans la population. Voir ces cyclistes éviter parfois certains repas pour ne pas prendre trop de poids, c’est montrer un exemple qui n’est pas adapté à tous les profils. Et qui peut même s’avérer dangereux.
Cette question des troubles alimentaires dans le peloton est revenue sur la table cette semaine à l’occasion d’une publication sur Instagram de la Néerlandaise Senne Knaven, une cycliste de 18 ans active chez les juniors et fille de l’ancien professionnel Servais Knaven. La cycliste batave a évoqué sur Instagram son indignation par rapport aux normes qui continuent d’être en place dans le peloton.
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Voici ce qu’elle indique dans une longue publication sur Instagram : « Ces derniers mois, je ne me suis pas sentie heureuse à propos de moi-même, même si cela venait par vagues. Il semble qu’il faille être mince pour être cycliste. J’ai connu des problèmes moi-même avec mon poids et l’alimentation. Je trouve que c’est insensé pour des filles de mon âge ou plus jeunes de penser au fait de perdre du poids ou de commencer un régime. Je sais qu’on ne devrait pas manger des produits gras ou du fast food, mais ce n’est même pas le problème. Le problème concerne plutôt la norme que les personnes mettent sur les cyclistes, selon laquelle ils doivent être minces ou maigres. Cette norme pousse beaucoup de filles à avoir des problèmes de trouble alimentaire. Je ne pense pas que les filles de mon âge ou plus jeunes devraient gérer ces pensées selon lesquelles elles ne devraient pas manger certains aliments ou elles seraient trop grosses. J’ai connu ces problèmes moi-même, même si cela va mieux maintenant. Mais il m’arrivait de manger énormément parce que je ne mangeais pas assez avant. Après cela, je me sentais mal. Cela venait par vagues, mais c’est quelque chose qui m’a rendu malheureuse et je ne pense pas qu’on devrait se sentir comme ça à 17-18 ans quand le cyclisme est juste un passe-temps. Ce que j’ai remarqué, surtout cette année, c’est que tu dois être mince pour être sélectionnée pour l’Euro ou les Mondiaux avec les Pays-Bas. C’est si bien que les gens disent aux jeunes filles qu’elles doivent perdre du poids, sinon elles ne seront pas sélectionnées… (ironie) »
Ce message est encore trop rare dans le monde cycliste actuel. Et il a eu un premier impact, notamment auprès de la championne du monde Anna van der Breggen, également néerlandaise. « Le poids ne devrait pas être un facteur déterminant pour les juniores. Elles roulent probablement tous les jours et c’est déjà beaucoup pour ces jeunes filles », dit-elle dans un entretien à Cyclingnews. « Elles devraient apprendre les aliments sains dont leur corps a besoin, ce qui est utile à leur corps. Le corps humain dit naturellement quand il a faim ou non, et les jeunes filles ne devraient pas avoir la pression d’aller sur leur pèse-personne chaque matin et penser : ‘je ne peux pas manger’. Peut-être quand elles seront plus âgées, elles décideront de travailler avec un nutritionniste, mais à leur âge, elles ne devraient pas subir la pression d’être mince. »
Anna van der Breggen demande donc que les directeur.rice.s sportif.ve.s et patron.ne.s d’équipes de jeunes cyclistes évitent ce type de pression et s’intéressent avant tout aux performances, et non au poids des cyclistes. « Si une mauvaise chose est dite, cela peut avoir un énorme impact sur les filles« , rappelle la championne du monde. Un rappel nécessaire dans un monde d’hyper-concurrence, dans lequel seuls les résultats ne comptent plus forcément. Le drame d’une professionnalisation du cyclisme, avec ses travers. Car la formation des jeunes cyclistes est nécessaire, mais elle ne doit pas se faire au détriment de la santé, et surtout de la passion, qui risque de rapidement s’évaporer si la pression devient plus importante que ce qu’elle devrait être pour des jeunes qui souhaitent avant tout se former pour toucher leur rêve de devenir professionnel. Il reste désormais à ce que ces paroles soient entendues, et que l’Union Cycliste Internationale n’hésite pas à punir si un.e cycliste se plaint de pressions psychologiques de la part de leur employeur. Pour que la pression change de camp.
Photo : ASO/Gomez Sport/Luis Àngel Gòmez
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