Ses regards vers l’arrière trahissaient la pression appuyée tant par son ambition personnelle que par ses résultats qui l’avaient propulsé comme favorite de ce tracé pour coureuses explosives. Son hochement de tête confirmait ensuite la réalisation du nouvel exploit réalisé dans les rues de Glasgow, moins d’une semaine après avoir brillé dans le vélodrome écossais situé à trois kilomètres à peine. Ses larmes à l’interview dévoilaient toute l’émotion accumulée durant cette année particulière, durant laquelle elle a acquis parmi les plus beaux succès de sa carrière et, dans le même temps, perdu l’un de ses êtres les plus chers (NDLR : elle a perdu son frère de 29 ans, le 12 mars dernier).
Lotte Kopecky avait une pancarte dans le dos, elle était citée dans tous les pronostics du jour. Et on sait comment cela pouvait se finir pour la grande favorite au vu des précédentes courses. Mais sur ce circuit urbain, sous des nuages menaçants mais finalement conciliants pour ces cyclistes restées au sec tout au long de l’après-midi, la Gantoise a rarement paniqué, jouant de sa force pour détruire les assauts tactiques des autres sélections. Tout ce stress se dévoilait dans ses regards noirs posés à celles qui sont habituellement ses équipières durant le reste de l’année, ainsi que dans ses mouvements d’humeur lancés à l’égard de coureuses prudentes face à celle qui pouvait les lâcher en une courte côte écossaise.
« Nous avons dû nous surpasser »
Malgré tous ces échanges, Kopecky a maîtrisé, tout comme le reste de la sélection belge. Sur cette course féminine débutée à tâtons, l’échappée menée par la Sud-Africaine Ashleigh Moolman-Pasio, la Française Juliette Labous ou encore la Britannique Lizzie Deignan n’était pas directement dans le viseur de la sélection belge, grâce à la présence de Sanne Cant à l’avant. Idéal pour laisser l’Allemagne et l’Italie faire le travail de poursuite. Même quand la Suisse envoyait Marlen Reusser et Élise Chabbey à l’avant, avec la Danoise Cecilie Uttrup Ludwig ou l’Italienne Soraya Paladin, la leader belge ne perdait pas son sang-froid et envoyait Sanne Cant, Marthe Truyen et Justine Ghekiere au front pour corriger l’avance des fuyardes. « Ces dernières années, on n’avait pas vraiment d’équipe belge solide chez les femmes. Mais année après année, les jeunes deviennent de plus en plus fortes. Je suis très fière de notre équipe. Sans elles, je ne pense pas que j’aurais été longtemps à l’avant », estime la nouvelle championne du monde au micro d’Eurosport.
« Nous avons toutes dû nous surpasser« , reconnaît Marthe Truyen à Sporza. « Nous avons toutes essayé de faire notre part, mais elle a dû faire le reste elle-même à la fin », ajoute-t-elle. « Je suis revenue plusieurs fois pour aider Lotte et je suis morte plusieurs fois. (…) L’histoire de Lotte nous donne du courage pour continuer à travailler et à s’améliorer », ajoute Justine Ghekiere, confirmant le sentiment que la leader belge pousse bien tout un pays de cyclistes féminines vers les sommets.
« J’étais nerveuse »
Comme l’évoque Justine Ghekiere, encore fallait-il terminer le travail. Car dans les trois derniers tours de ce circuit tortueux, Chabbey était toujours devant, et les Néerlandaises cadenassaient Kopecky. Avec Demi Vollering et Annemiek van Vleuten dans ce groupe de poursuite, difficile de se dégager, pendant que les deux représentantes « oranje » pouvaient enchaîner les offensives pour mettre à mal la rivale belge. « J’étais nerveuse, car il n’y avait pas la cohésion que j’espérais. Je m’attendais à ce qu’on s’entende pour revenir sur la tête de la course, mais cela bloquait à chaque fois. Et tant qu’on ne revenait pas sur Chabbey, on continuait à rouler derrière la première place… », raconte Kopecky à Eurosport. Mais la Gantoise décidait de prendre à revers la tactique néerlandaise en profitant de son explosivité et de sa grande condition du moment. À l’usure, elle enchaînait les courtes offensives. De quoi user les représentantes bataves et leurs adversaires dans les roues.
Même si Kopecky pouvait compter sur sa pointe de vitesse, celle qui avait terminé deuxième l’an dernier à Wollongong ne souhaitait pas répéter l’erreur de 2022 et se faire déborder par une contre-offensive. « J’étais confiante de pouvoir éventuellement gagner en cas de sprint. Mais je savais aussi que si on continuait de ralentir, d’autres pouvaient revenir par l’arrière et cela faisait encore plus de concurrence. Je me suis alors dit : j’ai les jambes, je dois essayer et si cela ne casse pas, je reste dans le groupe. Mais ça a réussi finalement ! », se réjouit Kopecky au micro d’Eurosport. Il fallait donc prendre la course en mains et ne pas attendre les autres collectifs pour faire la course. Malgré Chabbey à l’avant, malgré la poursuite menée par Marlen Reusser, malgré l’attaque de Demi Vollering, malgré le contre de Cecilie Uttrup Ludwig, le dernier tour était à la faveur de Kopecky au prix d’une ultime attaque sur la pente la plus raide du circuit, sur Scott Street.
« Je ne sais pas ce qui m’a permis de continuer à pousser »
Il y eut encore ces regards en arrière, cette pression permanente d’Uttrup Ludwig à une dizaine de secondes, ce dernier sprint dans Montrose Street. Mais après avoir descendu sans encombre les derniers dangers du circuit, après la flamme rouge, la Belge de 27 ans pouvait prendre le temps de réaliser l’exploit du jour, cinquante ans après le dernier sacre belge, par Nicole Van den Broeck. « C’était l’objectif que j’avais cette année. Réussir cela, c’est un rêve pour moi. Je sais ce que c’est d’être championne du monde sur la piste, mais l’obtenir sur la route, c’est un tout autre niveau », admettait-elle à Eurosport. Après avoir laissé échapper quelques larmes et lâché toute l’émotion qu’elle réserve habituellement hors des caméras. « Cela a été une année incroyable, et en même temps une année terriblement difficile. Je ne sais pas ce qui m’a permis de continuer à pousser… Cela représente beaucoup pour moi », a-t-elle confié avant de grimper sur le podium pour chanter la Brabançonne, pour la troisième fois cette semaine.
« Après mes titres et ma médaille de bronze sur la piste, je pensais que cela allait être impossible d’encore gagner sur la route. Devenir trois fois championne du monde en sept jours, c’est trop fou à concevoir… », admet-elle encore à Eurosport. « J’avais déjà dit l’an dernier que je ne pensais pas faire mieux. Mais maintenant, je peux vraiment dire que l’année prochaine ne pourra pas être meilleure, c’est certain ». Le Circuit Het Nieuwsblad, le Tour des Flandres, deux titres de championne de Belgique (sur route et contre-la-montre), une étape, le maillot vert et la deuxième place finale du Tour de France Femmes et trois titres mondiaux, en plus d’un titre européen sur la piste, en février : on peut difficilement donner tort à son bilan.
Malgré cette pression qui s’ajoute sur ses épaules au fil des saisons, Lotte Kopecky semble maîtriser les éléments pour compléter sa garde-robe. Désormais à l’aise chez SD Worx malgré de précédentes luttes internes entre leaders, tout aussi confiante dans son rôle de leader d’une sélection belge qui progresse à vue d’œil, la nouvelle championne du monde paraît voler depuis deux saisons. Il lui reste désormais à profiter de cette prochaine année en arc-en-ciel avant de parfaire sa collection de breloques à l’occasion des prochains Jeux Olympiques de Paris, en 2024. Des Jeux sur lesquels elle visera à nouveau les titres tant sur la piste que sur la route. Elle a découvert à Glasgow que l’accumulation des biens était possible malgré l’agenda serré. Si quelqu’un peut enchaîner, c’est bien Lotte Kopecky…
Les résultats de la course en ligne des élites femmes sur les championnats du monde de cyclisme 2023 à Glasgow :
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