Le sommaire
Le moment-clé
L’attaque était attendue, presque annoncée. Elle était d’autant plus prévisible que les conditions de course forçaient Remco Evenepoel à passer à l’action. Avec le seul Ivan Van Wilder pour le protéger en tête de peloton (après le travail important de Pieter Serry, sorti sur Stockeu, Julian Alaphilippe, out dans le Rosier, et Louis Vervaeke, étouffé dans la côte de Desnié), le champion du monde se savait acculé face à une concurrence en surnombre. Alors, l’offensive sur la côte de la Redoute s’annonçait comme la seule opportunité logique pour le coureur belge. La meilleure défense reste l’attaque. Et sur un tel profil, à plus de 15%, Remco Evenepoel savait que son explosivité et sa capacité d’endurance sur un effort intense devaient lui permettre de faire la différence. Le profil qui suivait le sommet de la Redoute était toutefois une inconnue. Evenepoel avait profité du plateau au sommet pour placer son accélération en 2022. Il devait donc cette fois anticiper dans les plus forts pourcentages de la Redoute avant de basculer dans une descente rapide vers la nouvelle ascension de Cornemont.
L’attaque allait finalement se faire en deux fois. Quelques secondes après la fin du travail réalisé par Van Wilder, à 150 mètres du sommet, Evenepoel accélérait une première fois pour mettre à mal le reste de la concurrence. Seul le Britannique Tom Pidcock (INEOS Grenadiers) parvenait à suivre l’assaut belge, et franchissait le sommet avec une petite seconde de retard sur le champion du monde. Les deux puncheurs auraient pu collaborer, réaliser un bout de chemin ensemble. Mais le refus de Pidcock de prendre un relais a permis à Evenepoel de lancer la deuxième phase de son offensive : une nouvelle attaque puissante sur cette montée inédite de Cornemont. Les 4,4% de moyenne semblaient insuffisants à première vue pour faire la différence face à ce Pidcock en verve. Mais Evenepoel avait encore du jus et n’a pas perdu de temps dans une éventuelle explication tactique : il avait prévu de partir en solo sur la Redoute, autant finir le travail dès la colline suivante.
L’écart n’était pas important, l’exercice en solitaire semblait encore périlleux vu les routes inondées par une averse plus vivace depuis une heure. Mais Pidcock semblait avoir encore usé ses dernières cartouches dans cet effort derrière le coureur de Schepdaal. Et derrière, l’entente parmi les poursuivants n’était pas meilleure, et ce malgré la belle tentative de Matias Skjelmose et Giulio Ciccone, le duo de Trek-Segafredo, pour rentrer sur le dauphin britannique. Autant de conditions qui permettaient à Evenepoel d’augmenter son avantage. Propre dans ses trajectoires malgré la pluie, toujours souple dans son coup de pédale lors des dernières ascensions du jour, le leader de Soudal Quick Step connaissait désormais les derniers kilomètres par cœur et répétait une partition jusqu’au quai des Ardennes, à Liège. Devant une foule compacte et heureuse, Remco Evenepoel avait encore le temps de demander au public d’être encore plus bruyant pour célébrer ce deuxième succès consécutif sur la Doyenne des classiques. Tout en maîtrise, comme l’ultra-favori qu’il est devenu depuis sa première victoire sur un monument, douze mois plus tôt.
Pidcock, déchu dans Cornemont, parvenait tout de même à suivre les assauts de Ben Healy (EF Education-EasyPost) et de Santiago Buitrago (Bahrain Victorious) dans la côte de la Roche-aux-Faucons. Suffisant pour accrocher au sprint la deuxième place devant Buitrago, au terme d’un sprint qui animait le dernier suspense de la journée.
L’instant tactique
L’abandon précoce de Tadej Pogacar (UAE Team Emirates) a évidemment bouleversé les tactiques sur cette classique annoncée comme un duel entre le Slovène et Remco Evenepoel. L’équipe Soudal Quick Step a alors pris seule les commandes du peloton, face à une formation des EAU sans joker pour palier cette absence impromptue de Pogacar. Qui allait donc essayer de bouleverser le collectif de Soudal Quick Step ? Personne ne semblait en effet prêt à mettre toute son énergie dans une anticipation, surtout sur un profil à plus de 4 000 mètres de dénivelé. Les Bahrain Victorious tentaient discrètement au pied de la Haute-Levée, mais le Wolfpack restait solidement ancré en tête de peloton à la sortie de Stavelot et de Spa. Et ce même si Pieter Serry lâchait prise dans la côte de Stockeu puis Julian Alaphilippe dans le Rosier.
Il fallait attendre la côte de Desnié, avant le feu d’artifices attendu dans la Redoute, pour voir une équipe prendre de nouvelles responsabilités. La Trek-Segafredo lançait la première banderille qui surprenait la Soudal Quick Step. Louis Vervaeke était contraint de céder sa place suite à l’offensive de Bauke Mollema. Le Néerlandais n’est pas le plus explosif, mais il permettait de faire bouger les lignes. Du moins c’est ce qu’espérait certainement l’équipe américaine en voyant Vervaeke sauter suite à cette offensive.
Mais l’équipe Soudal Quick Step avait finalement la chance de voir INEOS Grenadiers prendre en main la poursuite de Mollema. Le coup tactique de Trek Segafredo semblait idéal pour isoler Evenepoel, mais il a été annihilé par cette envie des INEOS Grenadiers, via Pavel Sivakov, d’éviter la construction d’un nouveau contre et de se replacer en bonne position sur la Redoute. La Trek-Segafredo a encore essayé de poursuivre ce coup collectif avec Matias Skjelmose et Giulio Ciccone derrière Pidcock dans la Redoute, mais le duo n’a pu compter sur des autres poursuivants très coopératifs. Un coup dans l’eau seulement récompense d’une neuvième place pour Skjelmose et d’une treizième pour Ciccone.
La statistique
23 ans et 88 jours, soit l’âge exact de Remco Evenepoel, ce dimanche, à l’occasion de sa deuxième victoire consécutive sur Liège-Bastogne-Liège. Il devient ainsi le plus jeune double vainqueur de la Doyenne, devant Moreno Argentin qui avait 25 ans et 124 jours après son deuxième succès, en 1986. Il est également le deuxième coureur à s’offrir Liège-Bastogne-Liège dès ses deux premières participations, depuis Ferdi Kübler en 1951 et 1952. Evenepoel est également le cinquième champion du monde en titre à remporter Liège-Bastogne-Liège, après Ferdi Kübler, Rik Van Looy, Eddy Merckx et Moreno Argentin.
Les déclarations
Remco Evenepoel 🇧🇪 (Soudal Quick Step), vainqueur, sur la RTBF : « C’était une course difficile. Il ne faisait pas trop chaud, et puis la pluie dans les deux dernières heures, ce n’était pas très chouette. Les routes étaient assez glissantes. Quand j’ai voulu attaquer sur la Redoute, ma roue arrière glissait un peu… Surtout, quel travail de mon équipe ! Ce n’était pas facile, surtout avec les attaques de Jumbo-Visma, assez tôt. Nous sommes restés assez calme, et nous nous en sommes tenus à notre plan, à savoir attaquer dans la deuxième partie de la Redoute. Et puis, dans la nouvelle côte après la Redoute, je savais que je devais pousser à fond pour lâcher tout le monde. C’est là où j’ai fait le plus de différence. C’est magique de réussir deux victoires en deux participations. J’ai ressenti beaucoup de fierté de gagner cette belle course dans ce beau maillot. C’est magique ! Je voulais la photo pour mettre dans ma chambre, la voilà. (…) J’ai entendu un bruit horrible (lors de la chute de Pogacar). On ne veut jamais que quelqu’un chute gravement. Je lui envoie toutes mes forces, j’espère qu’il va bien. C’est malheureux et dommage qu’il n’a pas pu terminer la course. Mais c’est la compétition, tout le monde peut connaître une chute, j’en ai moi-même été victime. (…) L’année dernière, j’ai eu beaucoup de temps pour profiter de ma première victoire. Maintenant, j’ai moins de temps. Mais ce soir, j’ai demandé à la diététicienne si je pouvais manger des frites si je gagnais, elle a dit oui, donc ce sera des frites ce soir ! (sourire)«
Tom Pidcock 🇬🇧 (INEOS Grenadiers), 2e à 1:06 du vainqueur, via l’organisation : « Au moment où Remco (Evenepoel) est parti, c’était une attaque annoncée, c’est comme s’il nous l’avait dit. Je me suis accroché derrière lui, mais les jambes ne suivaient pas totalement, j’ai dû faire un choix. Soit j’essayais de me pousser jusqu’à mes limites pour essayer de le rattraper, au risque de m’effondrer, soit je levais un peu le pied pour essayer de faire deuxième, c’est ce que j’ai fait. Remco était très fort, ce n’était pas facile de le suivre. (…) Si je dois faire le bilan de mon printemps, il y a eu une chute qui m’a fait rater Milan-Sanremo, mais j’ai quand même fait deux podiums sur des classiques, dont un sur un monument, c’est positif« .
Santiago Buitrago 🇨🇴 (Bahrain Victorious), 3e à 1:06 du vainqueur, via l’organisation : « Je suis surpris d’être sur le podium, mais je suis surtout très content. Je savais que dans le groupe de trois que nous étions dans le final, Pidcock était le plus rapide. Je m’étais dis que ce serait difficile de le battre, surtout après 250 km de course. (…) C’est un honneur de devenir le premier Colombien sur le podium de Liège, je l’apprends. Finir avec Pidcock et Remco c’est génial aussi. Mais maintenant il faut continuer, mon objectif dans le futur proche, c’est le Giro. »
Ben Healy 🇮🇪 (EF Education-EasyPost), 4e à 1:08 du vainqueur, sur Eurosport : « Si on m’avait dit il y a quelques semaines que j’allais être déçu avec une quatrième place à Liège-Bastogne-Liège, je vous aurais dit que c’est fou. (…) Soudal Quick Step a mis en route dès le départ, c’était encore une course très rapide, très dure. (…) Dans un sprint, j’ai peut-être trop anticipé, j’espérais que mes concurrents allaient plus se regarder. J’ai tenté mais ça n’a pas marché. C’est chouette de me dire quand même que je pourrais rouler pour la victoire sur ce type de courses à l’avenir ».
Tiesj Benoot 🇧🇪 (Jumbo-Visma), 7e à 1:37 du vainqueur, sur Het Nieuwsblad : « Cela devait être sympa à la télévision, mais c’était très dur sur le vélo. J’ai cru que Jan (Tratnik) pouvait faire quelque hose. S’il passe la Redoute et que Remco revient seul, ses chances de podium augmentaient. Mais la descente vers la Redoute a joué en sa défaveur. Il a surtout montré qu’il était prêt pour le Giro. (…) Si vous pouvez vous échapper avec une minute et demie d’avance, vous montrez qui est vraiment le meilleur : Remco a vraiment été remarquable. »
Ilan Van Wilder 🇧🇪 (Soudal Quick Step), 22e à 2:21 du vainqueur, sur Sporza : « Je suis complètement vidé. C’était une coruse difficile durant laquelle nous avons été mis sous pression très tôt. Nous avions vraiment besoin de tout le monde, et tout le monde a fait son travail. Le fait que Remco remporte à nouveau l’épreuve, de la même manière que l’an dernier, c’est fantastique. Je pense que tout le monde peut être fier. (…) Il y a déjà eu des attaques dès la côte de Wanne, donc nous devions rapidement contrôler la course et imposer un rythme élevé pour empêcher d’autres attaques. Nous devions également réagir lors que Pavel Sivakov et Ben Healy ont attaqué, pour éviter qu’ils s’échappent. Nous aurions alors dû courir en poursuite ».
Patrick Lefevere, manager de Soudal Quick Step, sur la RTBF : « Il a attaqué où on avait prévu d’attaquer, c’est phénoménal ce que Remco a réussi. Toute l’équipe a fait un super travail. Mauro Schmid était malade mais voulait vraiment courir. Andrea Bagioli avait un jour sans. Mais vous avez vu à la télé que l’équipe était bien là. (…) C’est dommage pour Pogacar. Je ne souhaite à personne de chuter. Il a déjà gagné de belles courses. Mais j’espère qu’il n’a rien de cassé ».
Les déçus du jour
Le principal déçu se nomme logiquement Tadej Pogacar (UAE Team Emirates). Le Slovène arborait une condition exceptionnelle depuis le début du printemps, comblé par ses succès sur le Tour des Flandres, l’Amstel Gold Race et la Flèche Wallonne. Son duel face au champion du monde Remco Evenepoel s’annonçait comme le summum de ce programme ardennais. Et puis, patatras, une chute après 80 kilomètres de course et l’abandon précoce. Toute l’équipe s’est arrêtée pour attendre le leader slovène, mais le retrait de la course était bien confirmé. Comme un symbole, alors qu’Evenepoel passait à l’offensive sur la Redoute, le médecin de l’équipe, Dr Adrian Rotunno, informait la presse du bilan médical de cette embardée : une fracture au scaphoïde gauche et une fracture de l’os semi-lunaire de la main gauche. Avec une opération du scaphoïde prévue dès ce dimanche après-midi à Genk, pour éviter tout problème au long cours. Cela annonce une pause dans la préparation de « Pogi » en vue du prochain Tour de France : s’il ne devait reprendre la compétition qu’au Tour de Slovénie, à la mi-juin, il allait enchaîner les stages entre l’Espagne et la France après cette édition de Liège-Bastogne-Liège. Le sort en a finalement décidé autrement.
L’équipe Trek-Segafredo peut également nourrir des regrets ce dimanche vu la tactique proposée tout au long de la journée. Les hommes de l’équipe américaine avaient décidé de la jouer offensive, en proposant une attaque de Bauke Mollema dès la côte de Desnié, avant le premier juge de paix de la Redoute. Puis en permettant à Matias Skjelmose et Giulio Ciccone, les deux leaders annoncés, de poursuivre leur course ensemble dans la Redoute, en poursuite derrière Evenepoel. Mais les deux hommes ont finalement payé la mésentente dans le groupe de poursuivants, qui s’est reformé avec bien d’autres éléments avant la Roche-aux-Faucons. Puis ont payé leurs efforts dans ce final pour coureurs plus explosifs. Cela se termine par une neuvième et une treizième places, un bilan bien peu glorieux par rapport aux efforts consentis.
Deuxième l’an dernier, le Belge Quinten Hermans (Alpecin-Deceuninck) bénéficiait une nouvelle fois d’un statut de leader dans sa nouvelle formation. Mais la chance n’était cette fois pas du côté du spécialiste du cyclo-cross. Victime d’un problème mécanique avant l’ascension de la Redoute, Hermans n’a jamais pu rentrer sur le peloton des favoris, malgré les regards entre outsiders. Il termine finalement à près de sept minutes, tout juste dans le Top 50.
Le résumé en vidéo
Les résultats
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