Le sommaire
Le moment-clé
Sur Milan-Sanremo et le Tour des Flandres, Wout van Aert n’avait rien pu faire face à l’offensive explosive d’un Mathieu van der Poel en grande forme sur ces deux premiers monuments printaniers. Le duel tant attendu entre les deux stars des labourés devait encore attendre. Toute une foule de supporters attendait donc patiemment Paris-Roubaix pour une revanche entre les deux hommes. Le genou de Van Aert ne devait pas être un obstacle à ce rendez-vous pour l’histoire cycliste. Et le champion belge le confirmait rapidement, prenant ses responsabilités à plus de 100 kilomètres de l’arrivée. Avant d’assurer le travail sans un effort de trop sur les secteurs pavés suivants, et ce malgré son isolement face aux Alpecin-Deceuninck, à trois dans le groupe de tête formé par sa propre offensive. Et pourtant, dans le secteur de Mons-en-Pévèle ou dans le faux-plat qui suivait, Wout van Aert répliquait sans hésiter aux tentatives de Mathieu van der Poel, visiblement prêt à s’isoler si cela doit se jouer avec son éternel rival d’Herentals.
Le Carrefour de l’Arbre, dernier secteur « 5 étoiles » de ce Paris-Roubaix, apparaissait donc comme le dernier théâtre de ce duel tant attendu. Les deux hommes se retrouvaient à l’arrière du groupe pour entamer ce difficile secteur. Histoire de se jauger et d’éviter les mauvaises surprises. Mathieu Van der Poel lançait la première accélération dès l’entame du chemin et remontait un à un le groupe de tête. Wout van Aert le suivait comme son ombre. Mais un moment d’inattention mettait Van der Poel quasiment à terre : alors qu’il souhaitait profiter de l’espace laissé entre son équipier Jasper Philipsen et l’Allemand John Degenkolb (Team DSM), le Néerlandais était surpris par le repositionnement de Philipsen, freinait et poussait sans le vouloir Degenkolb dans les spectateurs. Seul l’Allemand se retrouvait au sol… Mais devant, Wout van Aert en profitait pour accélérer et afficher sa force du jour.
Van der Poel revenait au prix d’un sacré effort, dans la dernière ligne droite de ce faux-plat montant sur des pavés cassants. Puis se décidait même à déborder Van Aert qui, sur les images d’hélicoptère, semblait souffrir dans la roue du Néerlandais avant de lâcher un mètre, deux mètres, cinq mètres… À la sortie du secteur pavé, le trou semblait déjà trop important pour espérer un retour rapide. Et l’image de la moto confirmait finalement l’impression laissée par cet appel radio de Van Aert en plein effort : le Belge a été victime d’une crevaison d’une roue arrière et a donc dû changer de roue en quatrième vitesse à la sortie du secteur. Une énième crevaison pour la Jumbo-Visma après la double fuite de Christophe Laporte, pourtant dans ce groupe de favoris avant sa casse mécanique à la sortie de la Trouée d’Arenberg. Après la double crevaison de Wout van Aert l’an dernier, qui lui a coûté bon nombre d’efforts. Après une autre double crevaison (puis une chute) en 2019. Quand la mécanique ne veut pas suivre…
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Mathieu van der Poel n’avait plus qu’à enclencher le mode contre-la-montre, assurer les virages avec sa technique légendaire et éviter la casse dans les derniers secteurs du jour. Comme le dit Wout van Aert, quand le Néerlandais est lancé, à plus de 20 secondes des premiers poursuivants, rêver d’un retour semble impossible. Van der Poel ne cessait jamais son effort, ne se retournant qu’à l’approche de la flamme rouge. Il pouvait ainsi profiter de ce succès fièrement conquis grâce à une condition impeccable et une équipe solide à ses côtés, avec Jasper Philipsen en deuxième place et Gianni Vermeersch, non loin du Top 10.
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L’instant tactique
Voir les principaux favoris de Paris-Roubaix s’isoler à plus de 100 kilomètres de l’arrivée, cela reste exceptionnel. Les grands noms n’ont pas attendu les premiers secteurs difficiles de l’Enfer du Nord pour se faire la guerre. Avant même la Trouée d’Arenberg, l’équipe Jumbo-Visma a montré qu’elle avait un plan et ne comptait pas patienter pour éviter qu’un peloton trop important sorte d’Arenberg. Avant le secteur n°20 dit d’Haveluy, tout de même classé « 4 étoiles » sur une échelle de 5, les « abeilles » mettaient une pression dingue sur le peloton. Timo Roosen et Tim van Dijke s’élançaient au sprint à l’approche des pavés pour bien placer Wout van Aert, attentif et même en deuxième position à l’entrée du secteur.
Dès les premiers mètres, Wout van Aert se lançait dans une offensive qui surprenait tout le peloton. L’expérimenté John Degenkolb (Team DSM) sautait directement dans la roue du Belge alors que le Français Christophe Laporte s’occupait de suivre. Le Néerlandais Mathieu van der Poel (Alpecin-Deceuninck) réagissait avec un léger temps de retard, mais gardait bien le contact. Alors que le Suisse Stefan Küng (Groupama-FDJ) devait réaliser un gros effort pour boucher les 20 mètres laissés derrière le favori batave.
La tactique des Jumbo-Visma semblait alors parfaite : à deux parmi les favoris isolés, l’équipe néerlandaise avait toutes les cartes en mains pour les cent derniers kilomètres. Mais la Trouée d’Arenberg, le secteur suivant pointé huit kilomètres plus loin, en a décidé autrement. Après une chute du tenant du titre Dylan van Baarle dans le peloton de poursuivants, Christophe Laporte devait abandonner le groupe de tête sur une crevaison à la sortie du secteur pavé. Le changement de roue tardait trop pour le Français qui se retrouvait alors en chasse-patate. Van Aert devait se débrouiller seul. Et se retrouvait même en position incertaine par rapport à Van der Poel. Le Néerlandais récupérait en effet, quelques kilomètres plus loin, le soutien de ses équipiers belges Jasper Philipsen et Gianni Vermeersch, parfaitement placés dans les roues de Filippo Ganna (INEOS Grenadiers), Max Walscheid (Cofidis) et Laurenz Rex (Intermarché-Wanty-Gobert) dans le secteur d’Arenberg. Ces deux-là s’avèreront déterminants dans le succès de Van der Poel en assurant les relais, mais aussi en contrant les éventuels assauts des autres favoris du groupe de tête.
Les statistiques
4, comme le nombre de coureurs qui ont remporté Milan-Sanremo et Paris-Roubaix la même année. Mathieu van der Poel rejoint la courte liste de ces vainqueurs de monuments, au côté du Belge Cyrille Van Hauwaert, en 1908, de l’Irlandais Sean Kelly, en 1986, et de l’Allemand John Degenkolb, en 2015. C’est dire l’exploit du coureur néerlandais, auteur du plus beau printemps de sa carrière.
46,841 km/h, soit la vitesse moyenne de cette 120e édition de Paris-Roubaix, ce qui en fait l’édition la plus rapide de l’histoire de la classique française. Mathieu van der Poel a couvert les 256,6 kilomètres entre Compiègne et Roubaix en 5h28:41. Le précédent record appartenait à Dylan van Baarle, vainqueur l’an dernier en 45,792 km/h de moyenne. Le vent de dos durant quasiment l’ensemble de la course et les attaques rapides entre favoris ont visiblement permis aux hommes de tête de réaliser une course très rapide et intense.
Les déclarations
Mathieu van der Poel 🇳🇱 (Alpecin-Deceuninck), vainqueur, via ASO : « C’est incroyable la manière dont nous avons roulé en équipe aujourd’hui. Puis Jasper (Philipsen) qui termine deuxième. C’est impossible de faire mieux que ce qu’on a réalisé aujourd’hui. J’ai connu l’un de mes meilleurs jours sur le vélo. Je me sentais très fort. J’ai essayé de lancer plusieurs attaques plus tôt dans la course, mais c’était très difficile de lâcher les autres favoris. Dans le secteur du Carrefour de l’Arbre, c’était en plus difficile, j’ai dû refaire un effort avec la chute (de John Degenkolb, NDLR) pour combler l’écart avec Wout (van Aert). Je me suis ensuite retrouvé seul à l’avant. J’ai juste tout donné alors. Je n’avais pas remarqué dans un premier temps la crevaison de Wout van Aert. Quand je l’ai dépassé, j’ai vu que la pression de son pneu arrière était basse. Je sentais qu’il avait un problème, mais je ne savais pas que c’était une crevaison. Bien sûr, c’est un coup de malchance pour lui, sinon je pense qu’on serait arrivé ensemble sur le vélodrome. Mais la malchance fait parfois partie de la course. Il faut un peu de chance et des bonnes jambes pour assurer la victoire. Arriver seul sur ce vélodrome, c’est un sentiment incroyable. C’est difficile à décrire… Je pense que je réalise ma meilleure saison de classiques. Finir cette campagne ainsi, c’est un rêve. Évidemment, j’adore Paris-Roubaix aujourd’hui, mais c’est une course si difficile. Je pense qu’on a encore réalisé l’édition la plus rapide de l’histoire, encore. C’était fou à quel point c’était rapide. Mais encore une fois, je me sentais très fort et je salue encore une fois le travail de l’équipe. Désormais, on va devoir profiter ce soir, car je ne pense pas que cela pourra se répéter.«
Jasper Philipsen 🇧🇪 (Alpecin-Deceuninck), 2e à 0:46 du vainqueur, via Eurosport : « C’est incroyable de finir un et deux. C’est quelque chose dont je vais me souvenir toute ma vie. C’était très bien d’avoir trois coureurs de l’équipe dans le groupe de tête. En tant qu’équipe, on pouvait jouer nos cartes à notre avantage. On devait aussi avoir de la chance évidemment. Mais c’était le cas aujourd’hui. On peut être fier de nous. Je savais qu’à la fin, je ne devais contrer qu’un coureur, le plus fort du groupe, Wout (van Aert). J’ai juste essayé de suivre sa roue. (…) Je ne sais pas si je pourrai un jour gagner Paris-Roubaix. Il y a encore quelques années à venir. Mais c’est une performance dont je suis fier et dont je vais me rappeler.«
Wout van Aert 🇧🇪 (Jumbo-Visma), 3e à 0:46 du vainqueur, via Sporza : « Une crevaison à un tel moment, c’est particulièrement amer. Paris-Roubaix reste maudit pour moi… J’ai tout de suite su que c’était fini avec ce changement de vélo. J’ai perdu 20 à 25 secondes, ça ne se rattrape face à un Mathieu (van der Poel) en pleine forme. (…) J’ai réussi à mordre sur ma chique par rapport à ma douleur. Heureusement, je n’ai pas trop souffert pendant la course. Maintenant, cela recommence à faire mal, mais je suis content d’avoir pu terminer mon printemps avec une belle performance. Je suis fier de ce que j’ai accompli durant cette campagne. Nous avons réalisé une belle série avec l’équipe. Seule la grande victoire nous a manqué… La vie n’est pas faite que de victoires. J’espère que les fans ont tout de même pu en profiter.«
John Degenkolb 🇩🇪 (Team DSM), 7e à 2:35 du vainqueur, via Eurosport : « Je suis évidemment très déçu. Il n’y a pas grand-chose d’autre à dire… Je suis extrêmement déçu de comment la course se finit pour moi. Je pense qu’être dans les premières positions dans un groupe si sélectif, sur mes propres pavés, cela voulait dire tellement pour moi. C’était un moment incroyable, dont je vais me souvenir pour le reste de ma vie. J’ai encore des douleurs à l’épaule gauche après cette chute…«
Christophe Laporte 🇫🇷 (Jumbo-Visma), 10e à 4:11 du vainqueur, via Eurosport : « La Trouée d’Arenberg, c’est vraiment un secteur difficile. Il y a de grandes chances qu’on connaisse des problèmes mécaniques, et pas de chance, j’ai crevé sur la fin du secteur. J’ai essayé de revenir, mais j’ai perdu trop de temps. Cela a changé le fil de la course. Après, j’ai essayé de sortir avec Nathan (Van Hooydonck) pour mettre un peu de pression sur l’arrière et pour que Wout (van Aert) n’ait pas trop de travail à faire à l’avant. Mais voilà, ça a changé la course. Après, avec le deuxième coup de malchance pour Wout dans le Carrefour de l’Arbre, ce n’était pas notre journée… Je ressens de la déception. On n’est pas venu pour finir 3e et 10e. Je me sentais bien, c’est d’autant plus frustrant. Mais c’est Paris-Roubaix malheureusement.«
Yves Lampaert 🇧🇪 (Soudal Quick Step), 24e à 5:36 du vainqueur, via Het Nieuwsblad : « Nous n’avions traversé que deux secteurs pavés quand Ballerini et Van Lerberghe sont tombés, Asgreen a cassé son vélo, Sénéchal a crevé et Declercq a eu des problèmes avec sa chaîne. Il ne restait plus que Tim Merlier et moi-même. Dans l’un des secteurs suivants, j’ai moi-même été victime d’une crevaison à l’avant et à l’arrière. C’est une saison difficile pour nous. On s’attend à mieux. J’aurais pu terminer 20e ou quelque chose comme ça, mais c’est déjà dix places de trop… »
Les déçus du jour
S’il se dit heureux de sa campagne printanière et de son podium sur une nouvelle édition difficile de Paris-Roubaix, Wout van Aert avait du mal à cacher sa déception sur la ligne d’arrivée du vélodrome André Pétrieux. En grande forme malgré un genou bandé, le coureur belge apparaissait comme le plus fort du groupe de favori avec Mathieu van der Poel. Le monde cycliste attendait ce duel jusqu’au bout du Carrefour de l’Arbre puis sur l’anneau roubaisien. Van Aert n’aurait peut-être pas gagné, mais le duel aurait été complet. Il faudra désormais patienter un an de plus pour retrouver un tel duel. À moins que les deux refassent le spectacle aux prochains championnats du monde sur route, à Glasgow… Pour Van Aert, ce printemps sera en tout cas amer. Malgré sa victoire sur l’E3 Saxo Classic, il termine cette séquence avec une 3e place à Milan-Sanremo, une 4e place au Tour des Flandres et une 3e place à Paris-Roubaix.
L’Allemand John Degenkolb avait également la tête des mauvais jours sur le site d’arrivée. Vainqueur de Paris-Roubaix 2015, le leader de l’équipe DSM n’était pas apparu aussi fort depuis sa neuvième place sur son printemps 2017 (7e de Milan-Sanremo et du Tour des Flandres, 10e de Paris-Roubaix). Parfaitement dans les roues à chaque attaque de Wout van Aert ou Mathieu Van der Poel, il a finalement été poussé en raison d’une manoeuvre de Philipsen et de Van der Poel. Le drame des secteurs pavés où la place est réduite… On espère que les Alpecin-Deceuninck auront un mot pour celui qui adore l’Enfer du Nord, au point d’avoir enchaîné sa course avec une visite auprès de l’association Les Amis de Paris-Roubaix, qui s’occupent chaque année de prendre soin des pavés qui font la légende de cette course. Respect malgré la déception.
Le dernier printemps sur route de Peter Sagan (TotalÉnergies) aura été un enfer pour le Slovaque. Le coureur de 33 ans espérait un dernier baroud d’honneur, il a finalement enchaîné les déconvenues. 104e du Strade Bianche, 44e de Milan-Sanremo avant d’abandonner dans la lourde chute collective du Tour des Flandres. Puis de renoncer sur chute également dans l’un des premiers secteurs pavés de Paris-Roubaix. Il souffre d’une commotion cérébrale et de plusieurs plaies. Il reste désormais à savoir quelle suite il donnera à sa carrière sur route.
Le résumé en vidéo
Les résultats
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