Paris-Roubaix Femmes : comment Alison Jackson a parfaitement surpris les favorites

La Canadienne Alison Jackson signe le plus beau succès de sa carrière à 34 ans au bout d’un suspense qui a duré jusqu’au vélodrome de Roubaix, et ce grâce à des circonstances de course, mais aussi et surtout la frilosité de certaines équipes de favorites.
Alison Jackson Vainqueure Paris-Roubaix Femmes 2023 - ASO Thomas Maheux
La Canadienne Alison Jackson (EF Education-TIBCO-SVB) remporte la 3e édition de Paris-Roubaix Femmes, le 8 avril 2023. – Photo : ASO/Thomas Maheux

Le moment-clé

On pourrait évidemment parler de cette échappée de 18 coureuses qui s’est formée, après une vingtaine de kilomètres, sur le nouveau circuit tracé au sud de Denain afin d’ajouter des kilomètres à l’aube des premiers secteurs pavés. Ces kilomètres destinés à allonger le tracé vers un kilométrage plus représentatif d’une classique de prestige. C’est dans cette échappée que la Canadienne Alison Jackson (EF Education-TIBCO-SVB) a confirmé son ambition d’aller le plus loin possible sur cette troisième édition plus surprenante de Paris-Roubaix Femmes. On aurait pu aussi parler de cette première offensive de Lotte Kopecky (SD Worx) dans le secteur de Bersée, à plus de 50 bornes du but. Cette sortie a permis aux favorites de se dévoiler, et de pimenter cette course qui manquait jusque-là d’accélérations explosives.

Mais on retiendra surtout cette chute de l’Italienne Elisa Longo Borghini (Trek-Segafredo) alors qu’elle menait le groupe de favorites dans le secteur de Pont-Thibaut, à moins de 40 kilomètres de l’arrivée. Une glissade sur le pavé encore gras et souillé par la pluie de ces derniers jours, et voilà l’Italienne au sol tout comme toutes les autres candidates annoncées sur papier. Lotte Kopecky, Lucinda Brand (Trek-Segafredo), Pfeiffer Georgi (DSM), Marta Bastianelli (UAE Team ADQ)… Toutes à terre. La Belge Sanne Cant (Fenix-Deceuninck) sera la plus durement touchée, le visage et les mains en sang (lire ci-dessous). C’est cette embardée générale, dont seule l’Allemande Romy Kasper (AG Insurance-Soudal Quick Step) sortira indemne, qui permettra à l’échappée matinale de garder espoir pour la suite.

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Car le groupe de tête avait démarré les soixante derniers kilomètres avec plus de cinq minutes d’avance. Mais au fil des accélérations des Trek-Segafredo puis des SD Worx, l’échappée ne pouvait plus compter que sur deux minutes et demie d’avance à la sortie du secteur n°9. Cela confirmait le retour en verve des favorites, qui seraient certainement revenues très rapidement sur ce groupe de tête sans cette chute de Longo Borghini. Pourtant, l’échappée a tardé à prendre ses responsabilités, et a finalement retrouvé un second souffle dans les dix derniers kilomètres grâce à des relances d’Alison Jackson, Marta Lach (Ceratizit-WNT) ou Katia Ragusa (Liv TeqFind). Le groupe de favorites n’était qu’à dix secondes, mais cet écart allait se maintenir grâce à la détermination de professionnelles prêtes à tout donner pour la beauté du geste. Si on veut gagner, autant sprinter à sept plutôt qu’à vingt, ont dû se dire les dernières rescapées du groupe de tête à l’approche du vélodrome de Roubaix. Jackson avouera d’ailleurs avoir gardé du jus en première partie de course pour donner l’essentiel de ses efforts en fin de course. Une tactique payante, grâce à une chute des favorites, mais aussi une certaine frilosité des grandes formations attendues ce jour.

L’instant tactique

Deux grandes équipes étaient attendues ce samedi pour se disputer la victoire à Roubaix. D’un côté, la SD Worx déjà dominatrice de l’ensemble du printemps flandrien. De l’autre, la Trek-Segafredo qui sort de deux éditions victorieuses de Paris-Roubaix. Et les deux formations semblaient avoir parfaitement réussi leur départ en plaçant chacune une cycliste de leur groupe dans l’échappée matinale. Lisa Klein et Femke Markus n’avaient plus qu’à gérer en tête pendant que les équipières, derrière, ne devaient pas bouger. Du moins quand l’écart n’était pas trop important. Car lorsque les cinq minutes ont été dépassées, tant la SD Worx que la Trek-Segafredo ont commencé à s’inquiéter. La formation américaine a mené la poursuite via Elisa Balsamo et Elisa Longo Borghini elle-même, avant de voir Lorena Wiebes mettre le turbo à 50 kilomètres de l’arrivée. Et ce, pour lancer Lotte Kopecky sur les pavés de Bersée. La Belge se retrouvait alors seule face à Elisa Longo Borghini et Lucinda Brand dans ce groupe de poursuite en bonne voie pour retrouver rapidement la tête de la course.

SD Worx Trek Segafredo ensemble - Paris-Roubaix Femmes 2023 - Capture Eurosport
Lorena Wiebes (SD Worx) devant Elynor Backstedt (Trek-Segafredo) dans le secteur n°12 de Paris-Roubaix Femmes, le 8 avril 2023. – Photo : capture Eurosport

Mais la chute d’Elisa Longo Borghini a perturbé les plans des deux équipes favorites. Que faire quand les deux leaders annoncées sont à l’arrière ? Qui doit mener la course ? Malgré le retard accumulé par Kopecky, la SD Worx, bien aidée par les Jumbo-Visma de la malchanceuse Marianne Vos (qui a chassé seule durant trente bornes pour rentrer sur le peloton) a rapidement assuré la poursuite pour rentrer au plus vite sur le premier groupe de poursuivantes. Alors que la Trek-Segafredo attendait patiemment dans les roues : Lucinda Brand, dans le premier groupe de poursuivantes, ne bougeait pas d’un poil, et Elisa Longo Borghini suivait le coup des SD Worx à l’arrière.

Quand les deux groupes de poursuite se rejoignaient à la sortie du Carrefour de l’Arbre, Kopecky se retrouvait isolée, mais avait encore sa collègue Femke Markus à l’avant. Alors que les Trek-Segafredo ou UAE Team ADQ n’avaient plus personne devant et pouvaient alors tenter de rouler ou d’attaquer pour mettre à mal la championne belge durant les quinze kilomètres à suivre. Rien de tout ça finalement… Lucinda Brand et Elisa Longo Borghini tentaient de timides attaques à cinq kilomètres de l’arrivée, sur le seul faux-plat montant difficile de la fin de course. Mais rien d’autre.

UAE Team ADQ Trek Segafredo - Paris-Roubaix Femmes 2023 - Capture Eurosport
Les UAE Team ADQ et Trek-Segafredo étaient à deux mais n’ont démarré le travail de poursuite qu’à trois kilomètres de l’arrivée. – Photo : capture Eurosport

Kopecky, elle, décidait de suivre les offensives, puis laissait le soin aux autres membres du groupe de poursuivantes d’assurer leur travail. Les Trek-Segafredo et UAE Team ADQ, à deux et avec de bonnes chances au sprint ou dans des attaques tardives, n’ont démarré les relais qu’à trois kilomètres de l’arrivée, quand le groupe de tête avait retrouvé sa complicité pour terminer la course en tête jusqu’au vélodrome. Un manque de justesse tactique qui a finalement mené ces formations favorites à des places d’honneur : suite à une malheureuse chute de Markus dans le vélodrome, Kopecky termine première membre de son équipe à la septième place, alors que Brand conclut en douzième place…

La statistique

1, Alison Jackson est, à 34 ans, la première Canadienne à remporter une grande classique du calendrier féminin. L’ex-championne du Canada sur route et du contre-la-montre n’avait jusqu’ici jamais remporté de course d’un jour en Europe. Elle est la première cycliste du Canada à s’offrir un monument, ce qu’aucun compatriote n’avait encore réussi jusqu’ici dans le peloton masculin.

Les déclarations

Alison Jackson 🇨🇦 (EF Education-EasyPost), vainqueure : Quand nous avons fait la reconnaissance et que nous sommes arrivées sur ce vélodrome, j’ai dit à mes équipières que je rêvais de gagner ici. Mais des milliers de rêves restent juste des rêves. C’est irréel de réaliser ce rêve dans la réalité… J’ai si peu de mots. (…) Je voulais être dans l’échappée matinale, je ne souhaitais pas attendre. J’avais en tête d’être à l’avant pour les premiers secteurs pavés. Nous savions que ça allait être glissant en raison de la pluie de ces derniers jours, et nous savions qu’il fallait donc être devant, et éviter la malchance. Il faut aussi une bonne dose de chance pour jouer la victoire ici. Quand l’échappée est partie, j’ai attendu quand même le bon moment pour faire de gros efforts. Et à la fin, quand le groupe de favorites est revenu sur nous, quand il n’y avait plus que quatre des sept filles du groupe qui prenait encore des relais, je me suis dit qu’il fallait continuer de rouler pour jouer la victoire. J’avais peut-être une chance… Je me suis fait confiance, avec tout le cœur et la passion qui m’animent dans ce sport. Et cela s’est transformé en victoire ! J’ai vu la victoire arriver, j’avais l’espace autour de moi. Passer l’arrivée en première, c’est toujours un moment spécial. Mais là, c’était en plus un rêve qui se concrétisait. C’est une course si difficile… Mais je pense que j’ai encore assez d’énergie pour soulever ce pavé au plus haut et célébrer cette victoire !

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Katia Ragusa 🇮🇹 (Liv TeqFind), 2e à 0:00 de la vainqueure :C’est un sentiment incroyable ! Au départ, je ne pensais pas arriver deuxième… Ma tactique était d’être dans l’échappée matinale pour être sur les premiers secteurs pavés sans stress. On allait ensuite voir ce qui allait se passer. Mais quelle course incroyable, finalement ! On a failli se faire reprendre par le groupe de poursuivantes, mais la seule chose que je pouvais faire, c’était de tout donner pour entrer dans le vélodrome et ensuite, jouer la victoire. Je voulais rester un peu haut dans le vélodrome, je pensais que c’était la bonne tactique. Puis j’avais juste à pousser et tout donner jusqu’à la ligne. C’était un scénario surprenant. Mais on était 18 dans l’échappée et à 30 km de l’arrivée, dans la voiture, on m’a dit peut-être d’essayer d’attaquer pour relancer l’attaque. Finalement, nous n’étions que sept à l’arrivée, ce qui était bien pour moi.”

Marthe Truyen 🇧🇪 (Fenix-Deceuninck), 3e à 0:00 de la vainqueure :Je suis très heureuse, je ne sais pas quoi dire. C’est fou. C’est un rêve. Nous avons obtenu cinq minutes d’avance sur le peloton. Déjà là, j’ai dit à Jesse Vandenbulcke (Human Powered Health, également dans l’échappée, NDLR) : j’espère que je ne suis pas en train de rêver. L’objectif était d’être dans la bonne échappée, mais je ne m’attendais pas à recevoir autant d’écart. C’est un incroyable résultat pour moi. C’est même une surprise à mes yeux, mais j’en suis très heureuse”.

Lotte Kopecky 🇧🇪 (SD Worx), 7e à 0:12 de la vainqueure :Nous étions dans une position idéale avec Femke (Markus) dans l’échappée matinale. On sait qu’elle a un gros moteur, donc c’était idéal de l’avoir à l’avant. Mais après, il y a eu cette chute… C’est arrivé à un mauvais moment. Je pensais même que je n’allais pas pouvoir continuer. Quelqu’un a roulé sur mon pied et je pensais que ma cheville était cassée. Cela faisait très, très mal. Mais sur Paris-Roubaix, on ne peut jamais abandonner. Dès que j’ai senti que je pouvais me remettre debout, j’ai essayé de me relancer. Mais finalement, nous ne sommes pas revenues sur le groupe de tête. (…) Cela faisait très mal durant les cinq premières minutes, mais après, la douleur est partie. Je suis heureuse d’être debout et d’avoir pu continuer. La malchance arrive, c’est ça Paris-Roubaix. (…) Pour nous, ce n’était pas à SD Worx de faire le travail pour revenir sur le groupe de tête, il y a d’autres équipes qui n’avaient personne devant qui pouvaient le faire. Peut-être que c’était une faute tactique de notre part, je reverrai les images à tête reposée plus tard.

Les déçues du jour

Alors qu’elle pouvait être la première femme à réaliser le doublé Tour des Flandres/Paris-Roubaix au vu de sa condition actuelle, Lotte Kopecky doit se contenter sur le vélodrome André Pétrieux d’une septième place. Elle ne cachait pas sa déception à l’arrivée, et semblait peinée au moment d’accorder quelques mots aux journalistes sur la pelouse du vélodrome. Elle semblait clairement parmi les plus fortes du jour, mais une chute et la tactique d’équipe ont finalement eu raison de cette condition physique.

Parmi les grandes victimes de ctete chute collective à près de 40 kilomètres de l’arrivée, la championne de Belgique de cyclo-cross Sanne Cant (Fenix-Deceuninck) était la plus gravement touchée. Pourtant présente avec les favorites, elle a dû abandonner sur civière en raison d’une blessure profonde au niveau de la tête, rapporte son équipe. Elle devait subir quelques points de suture avant de pouvoir repenser au vélo.

Autre malheureuse, ce samedi, la Néerlandaise Marianne Vos (Jumbo-Visma). Victime d’une crevaison à plus de 90 kilomètres de l’arrivée, elle a dû rentrer quasiment seule, puis avec le soutien de Marie Le Net (FDJ Suez) durant une bonne demi-heure. Avant de “profiter” de la chute d’Elisa Longo Borghini et de plusieurs favorites pour rentrer dans le peloton des leaders. Malgré ces efforts réalisés précédemment, elle parvient tout de même à accrocher une dixième place. Un nouveau coup de la malchance pour celle qui avait dû renoncer l’an dernier pour un cas de Covid-19.

Le résumé en vidéo

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