Annemiek Van Vleuten intouchable, même malade
Ultra-favorite au départ de cette première édition du Tour Femmes vu ses prestations depuis dix ans sur les courses par étapes montagneuses et sa récente victoire sur le Tour d’Italie féminin, la Néerlandaise Annemiek van Vleuten (Movistar) n’a pas manqué ce rendez-vous historique. Oui, le Tour féminin a déjà eu lieu par le passé. Oui, le maillot jaune a déjà été distribué. Mais le cyclisme féminin prend depuis quelques années un virage professionnel historique, l’attention médiatique grandit, l’égalité avec le cyclisme masculin devient un objectif, et voir la plus grande épreuve cycliste du calendrier prendre le train en marche pour ajouter sa plus franche locomotive, cela donne une tout autre saveur à toutes ces épreuves françaises qui ont tenté par le passé de faire le parallèle avec le Tour masculin. Cette première édition du Tour de France Femmes affichait une nouvelle ambition et Van Vleuten comptait bien en être.
Après avoir remporté les deux titres mondiaux, un titre olympique, les championnats d’Europe, le Giro Donne, Liège-Bastogne-Liège, le Tour des Flandres, il ne manquait quasiment que le maillot jaune pour compléter sa garde-robe déjà débordante. Et pourtant, la route a été longue pour s’offrir cette tunique dorée. Car la Néerlandaise est apparue fébrile sur les étapes piégeuses, comme la deuxième vers Provins, sur laquelle elle a perdu une trentaine de secondes sur d’autres favorites, la troisième vers Épernay, où elle a lâché encore une quinzaine de secondes sur ses principales rivales, ou la quatrième, sur les chemins blancs vers Bar-sur-Aube,sur lesquels elle a dû faire des efforts supplémentaires pour éviter de lâcher prise.
« Lors du deuxième jour de course, je n’arrivais même pas à mettre mes affaires dans ma valise. Mes équipières devaient tout le temps me pousser, j’étais dans une très mauvaise situation », expliquera Annemiek van Vleuten après la septième étape. « Ce Tour, ça a été les montagnes russes pour moi. Je ne parviens pas à croire que j’ai pu faire tout ce que j’ai fait aujourd’hui après avoir été si malade. J’étais si proche de l’abandon. C’est presque un miracle ». Un miracle ou le fait que ses adversaire ont toujours semblé sur la défensive ? Car tant vers Épernay que vers Bar-sur-Aube, les rivales de Van Vleuten, comme Demi Vollering (SD Worx), Kasia Niewiadoma (Canyon//SRAM Racing) ou Elisa Longo Borghini (Trek-Segafredo) étaient en surnombre et auraient pu commencer à travailler pour lâcher la favorite néerlandaise et prendre encore plus de temps. Finalement, personne n’a tenté, Van Vleuten a pu suivre tant qu’elle pouvait. Et par la suite, elle a pu se refaire la cerise pour arriver dans sa meilleure condition sur son terrain de prédilection, la montagne.
Connaissant ses qualités de résistance tant dans la plaine qu’en montagne et sachant qu’elle risquait une lourde sanction face à des équipiers mieux armées collectivement, Van Vleuten décidait de rattraper son retard dès les premiers kilomètres de la septième étape vers Le Markstein, une étape-reine avec trois cols à affronter. À plus de 70 kilomètres de l’arrivée, la Néerlandais n’était déjà plus qu’avec Demi Vollering, qu’elle s’occupait de lâcher à un kilomètre du sommet du Platzerwasel. Soit encore 63 kilomètres à affronter en solitaire… Pas de problème pour la reine du chrono. « C’était tactique. Il y avait une longue vallée en vue et Demi (Vollering) ne voulait pas prendre les relais. Donc je voulais vraiment la lâcher avant d’arrivée dans cette vallée, au risque qu’elle reste juste dans ma roue. Je savais que ça aurait été alors compliqué de la lâcher dans la dernière montée. Ce fut un coup tactique, et en plus je voulais gagner d’une belle manière », explique la n°1 mondiale, qui a creusé des écarts impressionnants : plus de trois minutes sur Vollering, plus de cinq sur Cecilie Uttrup Ludwig (FDJ Suez Futuroscope), Juliette Labous (DSM), Kasia Niewiadoma (Canyon//SRAM Racing), près de sept sur Elisa Longo Borghini et la révélation de ce Tour, Silvia Persico (Valcar-Travel & Service).
À 39 ans, Annemiek van Vleuten, qui prendra sa retraite fin 2023, ne cesse de repousser les limites. Elle est certes arrivée dans le peloton sur le tard, descend très mal et semble piocher sur le plan technique. Mais ses attaques en solitaire et son aptitude à gérer un effort intense sur le long terme lui permettent d’avoir toujours un temps d’avance sur ses rivales. « On me dit souvent que je m’entraîne beaucoup plus que d’autres. Mais ce n’est pas quelque chose qu’on fait soudainement. C’est un processus qui dure depuis des années. Chaque année, je fais 5 à 10% plus. Cela me permet de faire grandir mon moteur, de maintenir ma condition physique à un très haut niveau. Cela ne se fait pas en une saison », répète-t-elle à celles et ceux qui s’interrogent sur ce qu’elle parvient à réaliser. « Je ne suis juste pas encore assez forte. (…) J’ai dit à Annemiek, ce n’est pas normal ce que tu fais, et elle m’a dit qu’elle avait plus d’expérience à l’entraînement et plus d’expérience en général. Et elle m’a dit que mon temps allait venir. Espérons », s’est consolé Demi Vollering, deuxième tant au Markstein que sur la Super Planche des Belles Filles, et deuxième au général, à 25 ans, elle qui représente la future génération néerlandaise.
Van Vleuten, elle, ne s’est pas arrêtée à ce solo de 63 kilomètres. Le lendemain, malgré une frayeur à cause d’un problème technique et trois changements de vélo à 50 bornes du but, la leader de la Movistar a attaqué à six kilomètres du sommet de la Super Planche des Belles Filles pour s’imposer en solitaire, et en jaune. Deux succès consécutifs et le général en prime : un Tour parfait pour Van Vleuten et un premier doublé historique avec le Giro, disputé quinze jours auparavant. « Honnêtement, c’est un rêve qui devient réalité. Gagner en jaune, c’est… wow. Ce n’était pas une étape facile, ce n’était pas une semaine facile. Cela a été une course très compliquée. Je suis si heureuse d’être la première vainqueure du Tour de France Femmes. (…) Maintenant, je vais enfin pouvoir apprécier et profiter ces moments. Je vais pouvoir célébrer, je vais pouvoir manger des glaces, des pizzas… On n’a parfois pas le temps de profiter, désormais je ne veux pas penser au lendemain », se réjouit celle qui a fait tant de sacrifices et est passée par tant de rééducations (fractures à la colonne vertébrale aux Jeux 2016 à Rio, opération au genou après les Mondiaux 2018, fracture du poignet droit fin avril dernier…) pour arriver à cette place méritée de n°1 mondial.
Marianne Vos méritait bien le vert
Elle a passée cinq jours en jaune et fait chavirer le cœur de nombreux supporters de la Petite reine durant cette semaine française. Déjà vainqueure à deux reprises de La Course by le Tour par le passé, la Néerlandaise Marianne Vos (Jumbo-Visma) a prouvé qu’elle n’avait rien perdu de sa pointe de vitesse déjà affichée sur le Giro Donne. C’est simple : sur les six premières étapes, elle n’a jamais quitté le Top 5 ! Et ce malgré des arrivées en échappée ou en peloton. Deuxième sur les Champs-Élysées derrière l’intouchable (en vitesse pure) Lorena Wiebes (DSM), elle a remporté dès le lendemain l’étape des bordures vers Provins après avoir suivi la bonne échappée dans le final. Deuxième encore sur le mur final d’Épernay puis cinquième et première du peloton sur l’étape des chemins blancs vers Bar-sur-Aube, Vos a enchaîné avec une troisième place au sprint à Saint-Dié-des-Vosges avant une deuxième victoire sur la 6e étape vers Rosheim.
À 35 ans, Vos ne dévoile plus un profil aussi complet que par le passé et se concentre désormais sur des courses taillées pour les sprinteuses. Et cela lui permet d’engranger un palmarès toujours plus impressionnant, composé de plus de 240 victoires professionnelles. « Le Tour, c’est plus grand que le sport, c’est un événement mondial tout autour du monde », se réjouissait-elle avant de prendre le départ de ce premier Tour de France Femmes, elle qui avait été une des principales signataires d’une pétition en 2013 pour enfin obtenir une première édition du Tour. La voir remporter la première édition de la Course, cet ersatz de Tour féminin, puis prendre le maillot jaune et gagner deux étapes sur le Tour de France Femmes inaugural, cela semblait donc naturel.
« Cela a été une incroyable et belle semaine », confirme Marianne Vos, finalement vainqueure du maillot vert du classement par points au bout de ces huit étapes. « Cela a été extraordinaire de rouler en jaune durant cinq jours, mais je suis aussi ravie d’avoir pu rouler un jour en vert aussi. On visait ce classement par points, mais il fallait mettre de l’énergie dans ce combat aux bons moments, sans trop en faire ». Une gestion parfaite pour celle qui continue d’afficher un esprit offensif et bâtir pour la nouvelle génération.
Une semaine usante pour les Belges
Troisième sur les Champs-Élysées et à Rosheim (malgré une chute à 35 km de l’arrivée), deuxième du classement par points : malgré ces résultats honorables, Lotte Kopecky (SD Worx) s’attendait certainement à mieux sur cette première édition du Tour Femmes qui semblait pourtant dévoiler des étapes idéales pour ses qualités de coureuse résistante et rapide. Mais comme sur le Giro Donne, l’ex-championne de Belgique a semblé manqué de puissance et de chance dans le placement sur les quelques sprints disputés. Face à Wiebes et Vos, Kopecky visait plutôt les sprints intermédiaires et une bonne place dans le final pour ajouter des points au classement du maillot vert. Mais il lui a manqué ce petit quelque chose pour la gloire.
« Nous avons fait un très beau Tour avec l’équipe, mais j’espérais mieux que mes places d’honneur. Je voulais rentrer à la maison avec une victoire d’étape, mais ça n’a pas marché », confirme la coureuse belge au micro de Sporza. « Je suis dure avec moi-même et je peux dire honnêtement que je ne suis pas satisfait de mon Tour. De toute façon, il y avait beaucoup de femmes au départ et gagner une étape n’était certainement pas un objectif facile. Je ne sais pas encore pourquoi je ne me sentais pas bien ici. Je vais faire une prise de sang la semaine prochaine pour remettre tout cela en ordre », annonce encore la Gantoise.
Concernant les autres Belges présentes, notons le maillot blanc porté par la benjamine de ce Tour de France Femmes, Julie De Wilde (Plantur-Pura), septième de l’étape de Provins. Elle a mené le classement de la meilleure jeune de la 3e à la 6e étape et termine finalement sixième de ce classement des moins de 23 ans. Notons également la lourde chute de la seule Wallonne engagée, la Cominoise Alana Castrique (Cofidis), victime d’une fracture du sacrum et contrainte à une rééducation de plusieurs semaines voire mois avant de retrouver la compétition.
Une différence de niveau : oui mais…
Sur cette première édition du Tour de France Femmes, la liste des partantes annonçait tant des équipes du WorldTour, habituées des grandes épreuves du calendrier, et des équipes françaises et étrangères de développement, avec des coureuses qui ne bénéficient pas forcément d’un salaire minimum et d’une structure aussi professionnelle qu’au plus haut niveau. Alors, les critiques sont rapidement arrivées dès que quelques chutes s’enchaînaient ou lorsque les écarts se faisaient plus importants entre l’avant et l’arrière de la course. « C’est une grande course, elles sont toutes là prêtes avec de l’ambition les grosses structures. Elles n’ont pas le droit de se rater donc elles ne laissent pas la place et ça crée des chutes », comme l’explique à L’Équipe Séverine Éraud, membre de l’équipe du Stade Rochelais Charente Maritime, dont elle était la seule représentante au départ de la dernière étape.
Comme sur les classiques, la différence de niveau entre les toutes meilleures et les moins habituées du peloton se constate au fil des kilomètres. Le développement du cyclisme féminin passe pourtant par ces courses qui permettront aux moins expérimentées de prendre de la caisse, d’enchaîner les kilomètres sur des routes plus rudes et avec un peloton plus exigeant. Bien entendu, l’Union Cycliste Internationale doit réfléchir à la création d’une catégorie destinée aux moins de 23 ans pour éviter un fossé trop important entre les plus jeunes et les professionnelles plus expérimentées. Mais ce Tour a été l’occasion de mettre en avant tous les visages du peloton féminin, qui n’est pas seulement composé des habituelles stars qui trustent les podiums. Cette médiatisation est aussi l’occasion pour certaines de se mettre en avant, à l’attaque, dans un relais, dans une côte… Finalement, seules dix concurrentes ont quitté le Tour, à défaut d’être arrivées hors des délais. La différence de niveau n’était donc pas si grande au vu des commentaires lus sur les réseaux.
Une première largement réussie
ASO, organisateur du Tour de France, avait une sacrée pression à l’aube de cette première édition du Tour Femmes. L’épreuve était scrutée tant par les amoureux du cyclisme féminin que par les moins adeptes, la médiatisation annonçait une couverture décuplée par rapport aux autres courses du calendrier : Marion Rousse, directrice de course, savait que cette édition inaugurale ne pouvait manquer à ses obligations et ses engagements. Et au regard des commentaires venus du public et du peloton, ASO peut être rassuré : ce Tour de France Femmes, premier du nom, est une grande réussite. » Je ne m’attendais pas à voir tant de monde. Que ce soit aux arrivées, mais aussi sur les routes que nous traversions, dans le moindre village, dans la moindre ville, c’était fou ! « , explique Cecilie Uttrup Ludwig (FDJ Suez Futuroscope), dans son style toujours enthousiaste, au micro d’Eurosport.
Le public était en effet présent en masse pour applaudir ces premières concurrentes du Tour nouveau. Et devant la télévision, les premiers chiffres d’audience donnent confiance en l’intérêt du public pour le peloton féminin, même durant les vacances d’été. La 7e étape et le solo de Van Vleuten ont été suivis par plus de 30% du public français devant sa télévision, samedi après-midi. Et les parts d’audience étaient souvent à plus de 20% tout au long de la semaine, selon France Télévisions, qui a régulièrement communiqué sur ces chiffres encourageants. « Je pense que nous ne sommes pas encore conscientes de ce que cela représente. Ce que nous avons vécu était incroyablement beau. Il y avait de plus en plus de foule chaque jour. Je pense qu’il y aura une belle suite à venir », se réjouit Marianne Vos au micro de la télévision publique néerlandaise NOS en guise de conclusion d’une première édition réussie en tous points.
► Revoir tous les résumés et résultats des 8 étapes du Tour de France Femmes
Les résultats du classement général du 1er Tour de France Femmes :
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