Des supporters par milliers, des drapeaux bariolés, des casquettes Cochonou, des maillots oranges, des fumigènes, de la bière par hectolitres… Les pentes de l’Alpe d’Huez ont retrouvé leur ferveur durant un 14 juillet adéquat à la fête et au grand spectacle. Cela faisait bien longtemps qu’une course cycliste n’avait pas montré des images d’une telle ampleur. Ces coureurs traversant une foule compacte, seulement coupée par le passage des motos et voitures des suiveurs. Cette masse formant une seule voix d’encouragement pour les forçats de la route contraints d’enfiler plus de 4000 mètres de dénivelé sur la journée. Une fête du vélo comme on en a rarement vu ces trois dernières années. La faute à une pandémie qui empêchait contacts sociaux, rassemblements et fêtes populaires.
On utilise le passé, et pourtant, la pandémie est encore bien présente. L’Organisation Mondiale de la Santé s’inquiète de la montée de plusieurs variants d’Omicron à travers le monde, plus contagieux, capables de réinfecter des personnes déjà touchées par le Covid-19 par le passé, et dont les conséquences restent encore méconnues. Les contaminations remontent dans bon nombre de pays d’Europe, notamment en France et en Belgique, où la situation reste surveillée, sans plus. Tout juste s’active-t-on pour une prochaine campagne vaccinale, notamment pour faire face au variant BA.5, dont un vaccin est annoncé à l’automne. Mais aucune nouvelle restriction sanitaire n’est prévue. Et les rassemblements, comme ceux du Tour de France, peuvent donc se poursuivre.
L’organisation du Tour de France profite de cette liberté pour accepter le public sur ces routes ouvertes et même l’encenser. Les clips demandant aux spectateurs de respecter la sécurité du peloton se limitent à des gestes comme la course à pied à côté des coureurs ou le jet de projectiles. Mais pas question de proposer le port du masque ou la distanciation sociale pour éviter le risque d’infection au Covid-19, toujours bien présent, toujours bien contagieux. Et le peloton le sent : sept cas positifs ont déjà mené à des abandons depuis le début du Tour. Et ce alors que l’Union Cycliste Internationale (UCI) venait, avant le départ, de modifier son protocole pour permettre à une équipe de poursuivre la course, même en cas de multiples cas positifs dans l’effectif. Tant que ces membres positifs sont écartés.
Déjà sept coureurs positifs
Le protocole se veut souple, beaucoup plus souple qu’auparavant : une équipe pouvait être exclue dès que deux cas positifs étaient enregistrés après tests PCR. Cela aurait pu signifier, sur ce Tour, l’élimination de l’UAE Team Emirates, qui a déjà perdu deux coureurs pour Covid-19 (Laengen et Bennett) et dont un troisième a été contrôlé positif mais a pu continuer sa course en raison d’une charge virale très basse, selon un médecin de l’UCI (Majka). Le sportif doit primer : l’UCI et ASO se sont accordés là-dessus. Alors, le spectacle continue, les étapes s’enchaînent. Même si les contrôles positifs s’enchaînent également. Même si de nombreux coureurs se plaignent des effets au long terme d’une contamination au Covid-19 ou d’autres maux respiratoires dont l’origine reste encore difficile à préciser. Le virus circule, mais la caravane passe.
Et pourtant, dans le même temps, l’organisation prend des mesures pour éviter la propagation du Covid-19. Dès la 8e étape, il est devenu interdit à la presse et au public de rejoindre le paddock des équipes avant le départ de chaque étape. Et ce malgré le fait que toutes les personnes accréditées devaient déjà porter un masque et respecter les règles de distanciation. Dans les équipes, le port du masque FFP2 est devenu indispensable. Alors que d’autres s’en tiennent seulement au masque chirurgical et profitent encore de la présence du public pour prendre photos, autographes… La critique n’est pas là, évidemment. Il s’agit plutôt d’observer les disparités d’un protocole qui n’est plus uniforme et mène à ces différences entre équipes et même entre catégories de suiveurs dans une même course. L’interview à 1m50 de distance ? Avec masque. Le supporter qui prend une photo ? Pas besoin. C’est selon votre bonne volonté et celle du coureur.
Là est tout le paradoxe de ce Tour de France. Poursuivre le spectacle car la vie continue et dans le même temps, proposer un protocole sanitaire qui confirme que le Covid-19 n’est pas considéré comme une simple maladie, entraînant une exclusion en cas de charge virale importante. Accueillir des milliers de spectateurs sur les sites de départ et d’arrivée, dans les cols, sur les sprints intermédiaires, tout en restreignant des accès sur ces mêmes sites. ASO tente de gérer comme elle peut cette crise sanitaire. L’entreprise avait déjà réussi un Tour de force avec son édition 2020 organisée en septembre. Désormais, elle tente de reprendre la voie de la normalité. Mais cette voie ne semble plus accessible, malgré tous les efforts d’ASO et de l’UCI. Vivre avec le Covid-19 ? Oui mais…, semble être la réponse actuelle de ces organisations. Et elle reste trop vague pour la santé des coureurs.