Les chemins sacrés de Burgos à Saint-Jacques-de-Compostelle ont mené à une nouvelle démonstration de maîtrise de la part du Slovène Primoz Roglic (Jumbo-Visma), vainqueur de sa troisième Vuelta consécutive, vingt-sept ans après le Suisse Tony Rominger. Jouant d’abord avec les bonifications, le champion olympique du chrono a eu besoin d’un effort héroïque sous la pluie asturienne pour conquérir le maillot rouge face à des équipes décimées ou tout simplement moins fortes sur les profils les plus escarpés de ce Tour d’Espagne. La confirmation d’un état de fatigue avancé pour beaucoup, en cette fin de saison des Grands Tours.
Un triplé sans forcer pour Roglic
Après son abandon sur le Tour de France et son titre olympique largement remporté à Tokyo, comment Primoz Roglic allait-il entamer ce premier Grand Tour après son retour aux affaires ? Le coureur slovène n’a eu besoin que de sept kilomètres pour confirmer son ambition : le maillot rouge, dès le départ. Vainqueur du chrono inaugural, Roglic n’a ensuite jamais quitté le podium du classement général, et malgré les prises de pouvoir de Rein Taaramäe, Kenny Elissonde et Odd Christian Eiking durant ces trois semaines de course. La confirmation d’une régularité exceptionnelle, confortée par des bonifications obtenues ça et là sur les quelques étapes pour puncheurs qui lui vont à ravir.
Jamais sur cette Vuelta, Primoz Roglic n’a semblé en danger. Toujours bien placé dans les roues des offensifs coureurs de la Movistar ou des entreprenants rivaux d’INEOS Grenadiers, le Slovène a toujours pu compter sur les grimpeurs Steven Kruijswijk et Sepp Kuss, mieux en jambes qu’en première moitié de saison ou que sur le Tour de France. Et dès que la pente se faisait plus forte, il faisait montre de toute sa puissance, assis sur sa selle, pour contrôler voire passer à l’attaque. Comme lors de cette offensive avec Egan Bernal (INEOS Grenadiers) à 60 kilomètres de l’arrivée de la 17e étape. L’idée semblait folle, sous la pluie asturienne, avec encore les Lacs de Covadonga à affronter. Et pourtant, seul, le leader en jaune et noir a enchaîné les pourcentages sans se retourner pour sceller sa tunique de leader avec plus d’une minute et demie d’avance sur tous ses adversaires.
Même si Miguel Angel Lopez (Movistar) attaquait dès le lendemain dans la finale du terrible Altu d’El Gamoniteiru, le petit frère de l’Angliru, Roglic semblait serein, tout en contrôle, profitant des derniers hectomètres pour refaire son retard et même reprendre du temps sur ses plus proches concurrents au général. Avant de simplement suivre sur l’avant-dernière étape vers Mos, certainement la plus piégeuse avec ses routes étroites et son enchaînement de côtes, idéales pour les attaques audacieuses. «Je suis content de la manière dont cela s’est terminé», se réjouit sans sourire le Slovène, plutôt décidé à faire parler ses jambes. «Je suis heureux d’être auprès de grands champions dans ce palmarès de la Vuelta. C’est un honneur», lâchait-il tout aussi doucement.
Malgré ce Tour d’Espagne totalement réussi avec une troisième victoire au général, ajouté à quatre victoires d’étape, Primoz Roglic n’est toujours pas le plus expressif pour dévoiler ses sentiments à l’arrivée. Mais le Slovène de 31 ans a confirmé son esprit de revanche, comme l’an dernier. Malgré l’adversité, et surtout quand la malchance ne frappe pas, Roglic est bien le meilleur coureur de Grand Tour du moment, capable de contrôler idéalement tant dans la plaine que dans la montagne. Et comme son compatriote Tadej Pogacar sur le Tour, il a profité d’un exploit en solitaire pour sceller son succès final. Il reste désormais à transposer cette recette dès l’été prochain pour enfin ajouter un premier Tour de France à son palmarès.
INEOS Grenadiers n’avait pas l’armada espérée
Au départ de ce Tour d’Espagne, l’équipe INEOS Grenadiers faisait figure de formation à battre au côté de la Bahrain Victorious ou de Jumbo-Visma. La formation britannique dévoilait une nouvelle fois un effectif impressionnant pour la lutte pour le maillot rouge, avec toutefois des interrogations autour d’Egan Bernal, touché par le Covid en juin et seulement de retour depuis fin juillet dans le peloton après sa victoire sur le Tour d’Italie, ou de Richard Carapaz, sorti du Tour de France et récent vainqueur de la course olympique sur route. Sans oublier Adam Yates, 9e des Jeux Olympiques, ou Pavel Sivakov, 4e du Tour de Burgos.
Au fil des premières étapes de montagne, Bernal et Yates se dévoilaient comme les meilleurs grimpeurs du moment, tandis que Carapaz jouait les éclaireurs et Sivakov se plaçait comme équipier. Face à Roglic, intouchable, la formation a coché l’option offensive, enchaînant les tentatives lointaines pour perturber les plans du Slovène. Mais même cet esprit audacieux ne réussissait pas à une équipe qui ne pouvait présenter les coureurs les plus forts de cette Vuelta. Et c’est cela qui faisait cette année défaut à cette équipe INEOS Grenadiers. Même Bernal ne pouvait rien faire malgré une belle épopée de soixante bornes vers les Lacs de Covadonga, avec Roglic dans la roue. Même Yates suivait le maillot rouge lors de l’avant-dernière étape pour espérer une place sur le podium, pendant que Bernal devait céder son maillot blanc de meilleur jeune, piégé dans les collines de Galice.
«Nous avons roulé très fort car nous n’avions pas grand-chose à perdre, nous voulions faire le spectacle et tout donner dans ce final», raconte Bernal à propos de cette dernière étape en ligne. «Puis à un moment, Adam est parti et a essayé d’aller chercher une place sur le podium contre Jack Haig. Je n’étais pas présent mais je suis heureux qu’il ait pu se battre pour ça». Le Colombien confirme que la philosophie de l’équipe commence doucement à changer. L’équipe britannique a bien plus fait le spectacle que par le passé, a rendu la course encore plus agréable, et c’est ce qui peut permettre à la formation de connaître des succès prestigieux à l’avenir, du moins avec une telle équipe de pépites pour le classement général. Mais en cette fin de saison, ces pépites sont apparues cramées, et cela se termine par une Vuelta manquée, du moins vu l’effectif annoncé et les résultats obtenus (aucune victoire d’étape, aucun maillot…).
Mas sauve la Movistar
Sur les premières étapes montagneuses de cette Vuelta, l’équipe Movistar amorçait une belle œuvre collective, avec Enric Mas, Miguel Angel Lopez et Alejandro Valverde dans les vingt premiers du général, avec l’espoir de faire flancher l’imperturbable Roglic sur les cols ardus qui s’annonçaient durant ces trois semaines. La tactique collective a toutefois été malmenée par l’abandon sur chute de Valverde, au cours d’une attaque du quadragénaire sur la 7e étape. Mas et Lopez ont tout de même poursuivi leur course aux avant-postes, quasiment en duo, sur la suite du parcours. Le Colombien du groupe s’est même permis de s’offrir un succès prestigieux sur l’inédit Altu d’El Gamoniteiru, avant le drame.
Sur la 20e étape, alors que Mas suivait le maillot rouge dans le final difficile vers Mos, Lopez était coincé dans un groupe de poursuivants, et décidait à trente kilomètres du but d’arrêter tout simplement son vélo. Un ras-le-bol et un abandon malgré les paroles de son directeur sportif et de son équipier Imanol Erviti pour reprendre le vélo. Surprise alors que Lopez était en course pour le podium. «Les jambes sont si fatiguées, le niveau est si haut. (…) Je m’excuse auprès de mes équipiers. Nous sommes une équipe réduite, avec seulement cinq coureurs, dont trois concentrés sur un rôle d’équipier, et ils ont roulé avec le cœur pour nous, ils se sont donnés à 100%. Cela a été une situation difficile, mais cela s’est terminé comme ça. J’ai décidé d’arrêter de me battre pour une bataille déjà perdue. Maintenant, je veux juste dire à mes supporters, les sponsors, les organisateurs de la Vuelta : je suis désolé pour ce qui s’est passé et comment les choses se sont passées», a indiqué «Superman» Lopez sur les réseaux sociaux le soir de cette étape.
Selon l’entraîneur et beau-père de Lopez, un clash avec le manager de la Movistar Eusebio Unzué serait à l’origine de la décision du Colombien. Ce dernier n’aurait pas accepté que le patron de l’équipe espagnole lui demande de ne pas faire la poursuite derrière le groupe où se trouvait Mas. Bref, une sale journée pour l’équipe Movistar, qui se serait bien passé d’un tel drame, pendant que le leader annoncé, Enric Mas, s’offre une nouvelle deuxième place sur la Vuelta.
Bahrain Victorious surprend encore
Parmi les grandes armadas de cette Vuelta, l’équipe Bahrain Victorious dévoilait de sacrées ambitions avec le vainqueur du Tour de Burgos Mikel Landa comme leader, et Jack Haig, Wout Poels et Damiano Caruso comme aidants en montagne. La formation a finalement dû encore changer ses plans. Si Landa rassurait sur le Picon Blanco, premier sommet de cette Vuelta, en suivant de peu le groupe Roglic, le Basque lâchait totalement prise sur le Balcon de Alicante puis sur l’Alto de Velefique, les deux autres sommets de la première semaine de course. Alors que dans le même temps, Damiano Caruso réalisait un incroyable solo de 50 kilomètres pour gagner sur l’Alto de Velefique, où Jack Haig se replaçait en quatrième place au général ! Une journée contrastée pour la Bahrain Victorious.
L’équipe, connue depuis le début de la saison pour sa résilience (demandez à Matej Mohoric sur le Tour de France ou Mark Padun sur le Dauphiné…), mettait alors toutes ses billes sur Haig, avec un esprit aussi offensif qu’attendu. Et l’Australien remplissait bien ce rôle, un mois et demi après son abandon sur chute sur le Tour de France. Haig se montrait même de mieux en mieux au fil des cols, et se permettait de coller aux basques de Roglic dans le final. Le grimpeur australien a même parfaitement géré le chrono final de Saint-Jacques-de-Compostelle pour s’offrir une troisième place, signant sa meilleure performance sur un Grand Tour.
Dans le même temps, le Suisse Gino Mäder se montrait tout aussi impressionnant au fil de la course, enchaînant les Top 10 en montagne. Sa deuxième place sur la Covatilla sur la Vuelta 2020 n’était pas un coup de chance : le coureur de 24 ans progresse sur les courses de trois semaines, et cela lui permet d’obtenir un premier Top 10 sur un Grand Tour, avec en prime le maillot de meilleur jeune, devant un certain Bernal ! «Personnellement, je voulais surtout que Jack soit sur le podium. Et finalement, j’ai eu un petit extra», se réjouit Mäder, qui s’annonce d’un coup comme un nouveau joker pour cette équipe Bahrain toujours plus surprenante.
La révélation Intermarché-Wanty-Gobert
L’équipe Intermarché-Wanty-Gobert Matériaux ne pouvait rêver meilleur début de Vuelta qu’à l’occasion de cette attaque de Rein Taaramäe dans le Picón Blanco, arrivée de la troisième étape. Sur cette première arrivée en altitude, l’Estonien est allé chercher la victoire d’étape, la deuxième de l’histoire de la formation belge sur un Grand Tour, ainsi que le maillot rouge de leader, qu’il conservera deux jours. Une semaine plus tard, le Norvégien Odd Christian Eiking suivait une nouvelle fois la bonne échappée, et glanait un nouveau maillot rouge pour le petit Poucet du WorldTour. Cette fois, la première place au général tiendra une semaine, avant qu’Eiking se décide à se mettre au service de Louis Meintjes, leader de l’équipe dans le Top 10.
Durant cette troisième semaine, les coureurs en bleu et blanc se montraient toujours plus nombreux en tête de peloton, avec Jan Hirt et Rein Taaramäe qui tenaient le bon rythme au côté de Meintjes. Avant que le Sud-Africain cède sa dixième place… sur chute. Lors de la 19e étape, il touchait lourdement le bitume, le laissant sans force pour poursuivre cette Vuelta. La seule ombre au tableau d’une équipe qui a confirmé sur cette Vuelta sa montée en puissance dans le WorldTour.
Le triplé inespéré de Cort
Arrivé sur la Vuelta comme soutien à son leader Hugh Carthy, le Danois Magnus Cort (EF Education-Nippo) a rapidement pris sa chance dans son style de puncheur habituel. Le coureur puissant, connu pour sa pointe de vitesse sur les arrivées difficiles, a surpris tous les observateurs en maintenant une avance d’une vingtaine de secondes sur Primoz Roglic dans le terrible mur final de Cullera, sur la 6e étape. «Un seul coureur est capable de pousser autant, et c’est Magnus. Il a une incroyable capacité à aller très loin dans ses réserves, même s’il est totalement fatigué», estime le patron d’EF Education-Nippo, Jonathan Vaughters. Et cela ne s’est pas confirmé qu’une fois…
Sur la 12e étape vers Cordoue, au bout d’une étape usante de moyenne montagne, Cort a fait parler sa pointe de vitesse face à Andrea Bagioli (Deceuninck-Quick Step) et Michael Matthews (Team BikeExchange). Et sur la 19e étape, il a profité du superbe travail de son équipier Lawson Craddock pour conquérir un triplé dans un sprint à six. Et deux jours plus tard, le Danois se permettait encore de s’approcher d’un quatrième succès, sur le contre-la-montre final de Saint-Jacques-de-Compostelle. Finalement, Roglic le débordait en début de soirée, mais Cort pouvait se consoler avec le prix de la combativité de cette Vuelta : «Je suis très heureux, car j’aime courir de manière agressive. J’en suis fier».
Philipsen et Jakobsen : duel au sprint
Alors que les bookmakers annonçaient des probables succès pour Arnaud Démare (Groupama-FDJ) ou Michael Matthews (Team BikeExchange) dans les sprints massifs de ce Tour d’Espagne, les équipes belges ont une nouvelle fois dominé les emballages finaux des étapes de plaine. Comme sur le Giro et le Tour de France, Alpecin-Fenix a dominé le premier sprint de cette Vuelta grâce à la pointe de vitesse du jeune Jasper Philipsen, heureux de prendre sa revanche en Espagne après un enchaînement de places d’honneur sur le Tour. Deux jours plus tard, son dauphin néerlandais Fabio Jakobsen exultait pour sa première victoire dans un Grand Tour depuis sa lourde chute sur le Tour de Pologne. Une véritable renaissance pour le coureur batave, costaud sur une étape pourtant plus vallonnée.
Philipsen enchaînait avec une deuxième victoire le lendemain, avant que Jakobsen triple sur la 8e et sur la 16 étapes. Le coureur belge renonçait, usé par la haute montagne, son point faible, alors que le Néerlandais tenait jusqu’au bout grâce à un sacré soutien de la Deceuninck-Quick Step, ensemble autour de son sprinter sur la 20e étape. Un soutien nécessaire pour remporter le classement par points de cette Vuelta, soit le premier classement obtenu pour Jakobsen sur un Grand Tour. «Les jambes sont vides. (…) J’ai salué la foule et j’ai célébré comme si c’était une victoire, car pour moi, terminer le contre-la-montre final à Santiago est, je pense, la plus grande victoire à ce jour. C’est un sentiment particulier. Mes coéquipiers représentent tout pour moi. Ils restent avec moi dans les montées, ils roulent dans la vallée, ils m’emmènent dans les descentes, et ils m’amènent à l’arrivée. Ce maillot est aussi le leur. Je suis heureux de pouvoir le ramener à la maison et d’avoir atteint Saint-Jacques», commente le Néerlandais, heureux comme un enfant sur le podium final, tout de vert vêtu.
Les classements finaux de la 76e édition du Tour d’Espagne :
Classement général :
- Primoz Roglic (Slo, Team Jumbo-Visma) en 83h55:29
- Enric Mas (Esp, Movistar Team) à 4:42
- Jack Haig (Aus, Bahrain Victorious) à 7:40
- Adam Yates (G-B, INEOS Grenadiers) à 9:06
- Gino Mäder (Sui, Bahrain Victorious) à 11:33
- Egan Bernal (Col, INEOS Grenadiers) à 13:27
- David De La Cruz (Esp, UAE Team Emirates) à 18:33
- Sepp Kuss (USA, Team Jumbo-Visma) à 18:55
- Guillaume Martin (Fra, Cofidis Solutions Crédits) à 20:27
- Felix Grossschartner (Aut, Bora-Hansgrohe) à 22:22
… - Steff Cras (BEL, Lotto-Soudal) à 1h22:06
- Floris De Tier (BEL, Alpecin-Fenix) à 2h37:18
- Jens Keukeleire (BEL, EF Education-Nippo) à 2h48:20
- Stan De Wulf (BEL, Ag2r Citroën Team) à 3h21:21
- Nathan Van Hooydonck (BEL, Team Jumbo-Visma) à 3h50:19
- Sylvain Moniquet (BEL, Lotto-Soudal) à 3h52:10
- Maxim Van Gils (BEL, Lotto-Soudal) à 3h53:55
- Mauri Vansevenant (BEL, Deceuninck-Quick Step) à 4h21:19
- Dimitri Claeys (BEL, Team Qhubeka-Next Hash) à 4h27:40
- Harm Vanhoucke (BEL, Lotto-Soudal) à 4h42:31
- Florian Vermeersch (BEL, Lotto-Soudal) à 4h57:09
- Edward Planckaert (BEL, Alpecin-Fenix) à 5h03:10
- Piet Allegaert (BEL, Cofidis, Solutions Crédits) à 5h03:48
- Kevin Van Melsen (BEL, Intermarché-Wanty-Gobert Matériaux) à 5h10:04
- Bert Van Lerberghe (BEL, Deceuninck-Quick Step) à 5h48:13
- Jordi Meeus (BEL, Bora-Hansgrohe) à 5h53:36
Classement par points : Fabio Jakobsen (P-B, Deceuninck-Quick Step)
Classement de la montagne : Michael Storer (Aus, Team DSM)
Classement du meilleur jeune : Gino Mäder (Sui, Bahrain Victorious)
Classement par équipes : Bahrain Victorious
► Les résumés en vidéo des 21 étapes
► Les classements complets du 76e Tour d’Espagne
Photos : ASO/GomezSport/Luis Angel Gomez
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