Tel un stade de plusieurs milliers de personnes, le vélodrome de Roubaix se lève comme un seul homme pour saluer les héros d’une course légendaire. Sur cet anneau construit en 1920, le temps n’a plus de prise. Seuls les smartphones et les caméras semblent troubler cette pause dans l’histoire. Alors que sur la piste bétonnée, les leaders se lancent dans une course tactique dont ils n’ont pas l’habitude. C’est cela, Paris-Roubaix.
Au fil du calendrier, certains lieux prennent une autre dimension. Particulièrement dans le monde du cyclisme. La Via Roma à Sanremo, arrivée de la classique qui relie Milan à la cité des fleurs ; les Champs-Elysées à Paris, final traditionnel du Tour de France ; le Mur de Huy, juge de paix de la Flèche Wallonne… Et à Roubaix, il y a ce vélodrome. Gardé dans l’état de ses plus jeunes années, et dont seul le béton est rénové si les fissures se font trop importantes au fil des passages des cyclistes. Cet espace sportif, installé au sud de Roubaix entre trois terrains de football et un autre de rugby, accueille depuis 1943 les arrivées de Paris-Roubaix. Et ses tribunes se remplissent toujours au fil des années.
Frites et VIP
Pendant que certains calculent sur une carte de la région des Hauts-de-France le nombre de fois qu’ils pourront admirer les coureurs sur les secteurs pavés de l’Enfer du Nord, d’autres patientent dans le froid, dès potron-minet, aux portes de ce vélodrome qui peut accueillir près de 1000 personnes. Dans les virages ou dans une partie des tribunes couvertes (l’autre partie est consacrée aux commentateurs TV et radio), les spectateurs peuvent se rassembler et poser leurs drapeaux, pour supporter leurs couleurs du jour. Un écran géant est posé à 200 mètres de l’arrivée pour permettre de suivre l’action, alors qu’une baraque à frites embaume les travées de cette odeur d’huile, si caractéristique des snacks du Nord. Même si les espaces VIP prennent de plus en plus de place sur cet anneau étroit, les fans de la Petite reine se pressent toujours autant pour admirer les derniers hectomètres des forçats du pavé.
À peine les portes du vélodrome ouvertes, vers 13h00, les premiers brouhahas s’échappent, et le public pose ses premiers fanions, entre couleurs nationales et logos d’équipes. Ils sont quelques locaux, mais la plupart des visiteurs du jour viennent des quatre coins de l’Europe. Des Norvégiens, des Irlandais, des Britanniques, des Suisses, des Slovaques et bien évidemment des Belges ont fait le trajet jusqu’à la cité nordiste pour savourer ce bout d’histoire. Pendant que le champagne et les petits fours commencent à faire patienter les quelques invités venus se restaurer, un œil sur la télévision, l’autre sur le vélodrome, dans l’ancien café connu sous le nom « Au pavé ». Désormais transformé en espace VIP, le bar ne dévoile plus son espace musée au public durant ce dimanche festif.
Douches à l’ancienne
Les plus curieux ont tout de même la possibilité de voir, derrière ce café, un autre bâtiment des années 50 qui ne paie pas de mine. Pourtant, il cache l’un des plus beaux trésors de Paris-Roubaix : les douches historiques du vélodrome. Celles-là qui arborent les noms des anciens vainqueurs de la Reine des Classiques. Celles-là qui ont enlevé la boue et la poussière de tant de cyclistes par le passé. « Vous pouvez laisser la porte entrouverte, on a des coureurs qui vont venir se doucher ici. Beaucoup de juniors surtout », nous rappelle un des responsables de l’organisation, venu ouvrir ce bâtiment à une heure et demie de l’arrivée des juniors. Les pros, eux, sont rares à se débarbouiller dans ces sanitaires, aujourd’hui, mais le vainqueur du jour, Philippe Gilbert, a tout de même pris le temps, en début de soirée, après avoir mené toutes ses obligations, de prendre une douche à l’espace où une plaque devrait honorer sa récente victoire.
À quelques mètres de là, un bâtiment bien plus récent a pris place sur l’esplanade de l’avenue Roger Salengro. Le vélodrome Stab, au nom de Jean Stablinski, le héros local également vainqueur de Paris-Roubaix. Dans ce vélodrome couvert flambant neuf dévoilé en 2012, les journalistes préparent déjà leurs papiers, et scrutent les attaquants sur les premiers secteurs pavés. Cela s’agite au moindre incident mécanique. Pendant que d’autres préfèrent discuter et débattre du futur vainqueur en attendant les premiers secteurs décisifs de cet Enfer du Nord.
Vers 14h20, les vivats de la foule se font plus pressants. Au milieu du vélodrome, entre les barrières installées depuis deux ans sur la pelouse pour cadrer les médias, les invités et les officiels en vue des cérémonies protocolaires, quelques journalistes et photographes se rassemblent pour suivre le dernier tour d’anneau des juniors, arrivés après 111 kilomètres de course grâce au soutien de John Degenkolb, ancien vainqueur de l’édition pro qui a offert 10.000 euros pour assurer l’organisation de cette épreuve pour les moins de 19 ans. Cette année, c’est le Néerlandais Hidde van Veenendaal qui a crié toute sa joie sur la ligne d’arrivée après avoir battu au sprint le Français Hugo Toumire. Dans le public, on applaudit les deux premiers, ainsi que le peloton arrivé ensuite. Et même tous les retardataires, qui arrivent au compte-gouttes, sur ce vélodrome qui transpire l’histoire du vélo.
Les frissons
Trois heures plus tard, les journalistes regardent à la télévision le passage des premiers de la course professionnelle sur le carrefour de l’Arbre, avant de courir jusqu’au vélodrome pour suivre les tous derniers kilomètres au milieu du vélodrome, dans une foule bien plus compacte que sur la course juniors. Entre proches de coureurs, soigneurs, cameramen, photographes, journalistes, organisateurs… Difficile de s’y retrouver. Seul l’écran géant attire tous les regards, avant le grand frisson : l’arrivée des premiers coureurs de ce Paris-Roubaix sur le vélodrome. Les cris sont plus intenses, tout un stade résonne, on ne s’entend plus parler. Et cela dure durant deux minutes, le temps pour les leaders d’atteindre la ligne d’arrivée. Au bout d’un demi-tour pour clamer sa joie, Philippe Gilbert lâche son vélo au milieu des photographes et cameramen, sur la pelouse devenue noire de monde, et célèbre son succès avec Patrick Lefevere, son manager, puis Yves Lampaert, son équipier. Pendant que Nils Politt est un peu moins assailli mais reçoit autant de sollicitations de la part des médias allemands, surpris de sa deuxième place. Derrière, les coureurs arrivent un à un. Les Deceuninck-Quick Step tentent d’atteindre Gilbert pour le féliciter tandis que les autres essaient de s’écarter des médias pour reprendre leur souffle après six heures dans l’Enfer.
Et puis, parmi toute cette joie sportive, il y a également de la tristesse. Comme Sep Vanmarcke, pour qui l’incident mécanique à huit kilomètres de l’arrivée a été la tuile de trop, alors qu’il espérait encore atteindre le podium voire mieux. Il termine finalement quatrième, et passe de longues minutes affalé sur une barrière, avec ses seuls proches autour. En pleurs, le coureur belge préfère rester dans sa bulle avant de répondre aux sollicitations de la presse. Derrière, Wout van Aert est également assailli à son arrivée. Mais visiblement usé par les efforts produits sur 257 kilomètres, le coureur belge prend d’abord de longues minutes à reprendre son souffle. Il est allé jusqu’au bout de lui-même pour terminer au mieux ce Paris-Roubaix. Comme les derniers qui ont traversé le vélodrome, malheureusement hors des délais : le Rwandais Joseph Areruya à plus de 40 minutes, et le Français Alan Riou à plus de 47 minutes. Avec juste quelques supporters et les commentateurs en train de ranger leur matériel. Le vélodrome peut désormais fermer ses portes, au moins pour deux mois, avant l’arrivée de Paris-Roubaix espoirs le 2 juin prochain. Pour les pros, il faudra attendre avril 2020.
Photos : ASO/Pauline Ballet – CyclismeRevue/Grégory Ienco
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