Avec 25 victoires et sept (semi-)classiques du Nord en poche, la Quick Step semblait imbattable à l’aube de cette 116e édition de Paris-Roubaix. Et pourtant, dans des conditions plus favorables qu’annoncé, les hommes de Patrick Lefevere ont coincé, s’échinant à lancer des offensives bien trop loin du vélodrome. Incapables de pousser sur les pédales au moment de l’accélération de Peter Sagan (Bora-Hansgrohe). Le champion du monde ne s’est donc pas fait prier et a pris son envol à 55 kilomètres de l’arrivée pour ne voir que le champion de Suisse Silvan Dillier (Ag2r-La Mondiale) dans sa roue. Le sprint était joué d’avance : le Slovaque n’a pas manqué cette nouvelle chance de remporter Paris-Roubaix, pour un sacre d’anthologie sous le maillot arc-en-ciel.
La pluie de la nuit avait quelque peu humidifié les premiers pavés de cet Enfer du Nord, mais au vu du large soleil s’installant dans le Nord au fil de la journée, le peloton ne s’inquiétait pas forcément des éventuelles conditions climatiques délétères. Il fallait plutôt faire preuve de concentration et de vigilance à l’aube de ces secteurs pavés toujours délicats. La preuve avec les chutes de Geraint Thomas (Sky), Sebastian Langeveld (EF Education First-Drapac) et surtout Michael Goolaerts (Vérandas Willems-Crelan), sur les premiers pavés de la journée. Ce dernier devait d’ailleurs être emmené à l’hôpital en hélicoptère après voir été ranimé d’un arrêt cardiaque par le service médical sur place. Comme d’habitude sur l’Enfer du Nord, les routes minières sont truffées de pièges que même le coureur le plus vigilant ne peut éviter.
Pour manquer ces embûches, la Quick Step décidait, comme sur les précédentes classiques du Nord, de mener des attaques de front. Dans la Trouée d’Arenberg, premier juge de paix de la journée, Philippe Gilbert (Quick Step) sortait du secteur avec quelques mètres d’avance sur le peloton, au côté de Mike Teunissen (Sunweb). Il tenait bon pendant une quinzaine de kilomètres avant de voir les autres favoris revenir sur lui. Zdenek Stybar (Quick Step) s’essayait au même exercice en solitaire, toujours pendant une quinzaine de kilomètres, mais le champion tchèque était également contraint d’abandonner son effort vu le retour du peloton des favoris. La stratégie habituelle des hommes en bleu et blanc ne semblait pas fonctionner à merveille, malgré la bonne condition affichée par le vainqueur du Tour des Flandres Niki Terpstra.
Quand les favoris ne s’entendent pas…
Pendant ce temps, à l’avant, le champion de Suisse Silvan Dillier (Ag2r-La Mondiale), le Norvégien Sven Erik Bystrom (UAE Team Emirates) et le Belge Jelle Wallays (Lotto-Soudal) survivaient aux secteurs pavés après avoir pris leur envol dans une échappée matinale de dix coureurs à près de 195 kilomètres de l’arrivée. Même si les favoris revenaient à une demi-minute, les offensives multiples des Quick Step ne provoquaient pas d’entente particulière, et aucun groupe ne trouvait vraiment l’équilibre nécessaire à la constitution de la bonne échappée. Du coup, les attaques s’enchaînaient : Wout Van Aert (Vérandas Willems-Crelan) et Greg Van Avermaet (BMC) tentaient leur chance avant un contre du champion du monde Peter Sagan (Bora-Hansgrohe), à 55 kilomètres de l’arrivée. Et là… Tout le monde se regardait.
« Ce n’était pas à moi de réagir, je venais de faire un effort important », expliquait à l’arrivée Greg Van Avermaet. « Je pensais que Peter (Sagan) n’allait pas tenir si loin de l’arrivée », confiait pour sa part Sep Vanmarcke (EF Education First-Drapac). « Lors de l’attaque de Sagan, on n’était pas au premier rang, mais ce n’est pas toujours à Quick Step de faire le travail », relançait encore Niki Terpstra (Quick Step). « La coopération était bonne derrière Peter Sagan. Évidemment, les autres équipes rechignaient à travailler. Mais finalement, on a bien travaillé ensemble », ajoutait Terpstra. Pourtant, Sagan prenait rapidement une demi-minute d’avance puis reprenait Dillier et Wallays, pour poursuivre l’échappée matinale.
« Sagan : ange et démon »
Wallays perdait pied à près de vingt kilomètres de l’arrivée, laissant Dillier et Sagan ensemble jusqu’au vélodrome. Le champion de Suisse semblait vaciller et tenait pourtant jusqu’au bout ! « Peter, c’est un peu « ange » et « démon », il a été un ange durant nos relais, puis un démon sur le vélodrome », souriait Dillier près d’une heure après avoir franchi la ligne. « J’étais content qu’on travaille bien ensemble, on s’est vraiment respecté durant la course. Dans le sprint, il était juste le plus fort, c’était impossible de le battre. »
Sagan réalisait en effet le dernier jump parfait, après avoir lancé l’emballage final dans la roue de son rival suisse. Sur la ligne, il pouvait crier toute sa rage après cette belle attaque de 55 kilomètres, enfin maîtrisée, enfin réussie. « J’ai eu de la chance, pas de chute, pas de crevaison, j’ai attaqué au bon moment et pu tenir jusque l’arrivée. C’est sans doute l’une des plus grandes victoires de ma carrière. Merci à mon équipe, c’est le paradis », lançait encore le Slovaque, juste après ce premier sacre d’un champion du monde à Roubaix depuis 1981 et le succès de Bernard Hinault dans son tricot irisé. « Il se battait beaucoup entre eux, ils usaient beaucoup d’énergie. C’est alors que j’ai décidé de partir. J’avais des bonnes jambes en prime », continuait encore le vainqueur. Derrière, Niki Terpstra lâchait tous les autres favoris pour au moins rapporter la troisième place aux Quick Step. Un dernier cadeau au goût amer.
Les réactions complètes de Peter Sagan et Silvan Dillier après Paris-Roubaix :
Peter Sagan : « C’est incroyable, je suis tellement fatigué. J’ai eu de la chance, pas de chute, pas de crevaison, j’ai attaqué au bon moment et pu tenir jusque l’arrivée. Je suis très heureux et merci à mon équipe, à Oss, à mon frère, c’est un groupe qui a gagné aujourd’hui. Je suis vraiment très heureux. C’est vraiment génial pour moi, c’était un rêve de gosse, j’ai fait de mon mieux. C’est une grande victoire pour moi. Avec Dillier, nous avons eu une bonne collaboration, il a très bien travaillé avec moi, et je l’en remercie. J’ai attaqué aussi tôt car je me sentais capable d’aller au bout, il fallait être constant et costaud dans l’effort. Je suis vraiment content d’avoir remporté mon premier Paris-Roubaix. Toutes les courses sont différentes, et même si la Quick Step fut dominante dans les classiques, on ne peut comparer. Aujourd’hui j’avais de bonnes jambes, et donc tout était possible. Je savais aussi que certains allaient se marquer, et qu’il était possible de les contrer en attaquant. Personne n’a pu ou voulu me suivre à 50 bornes de l’arrivée, et c’était très bien pour moi. J’ai entendu pour l’accident du coureur de Verandas Willems après la course, car pendant je ne savais rien, on doit être très concentré. Je suis vraiment triste pour lui et espère qu’il va aller mieux très vite. »
Silvan Dillier : « L’hiver dernier, j’ai travaillé à Gran Canaria, assez intensément, pour être en forme pour les classiques, mais comme je me suis cassé le doigt (NDLR : sur le Strade Bianche), je ne pensais pas revenir sur les pavés. Je suis très content de cette seconde place. Avec Peter (Sagan) c’est un peu ange et démon, mais aujourd’hui il a beaucoup collaboré avec moi, et je suis ravi d’avoir été avec lui à l’avant. Je suis rentré en tête dans le vélodrome, mais Peter a lancé son sprint, il était trop fort pour moi. Les moments les plus difficiles étaient la longue échappée, mais aussi le final avec Sagan. Je suis très content car j’aurais pu gagner. Certes il y a une petite déception, mais aussi une fierté d’avoir été là aux côtés de Sagan, l’un des plus grands coureurs de cette époque. À propos du crash d’un coureur de Verandas Willems, je viens seulement d’entendre ce qui s’était passé, mais ma priorité était de tenir et de terminer la course. C’est triste d’entendre qu’il se passe encore des accidents comme cela en course”.
Résultats de la 116e édition de Paris-Roubaix (256.5 km) :
Par Grégory Ienco et Robert Genicot, à Roubaix – Photos : ASO/Pauline Bellet et Robert Genicot