L’organisation de l’Amstel Gold Race a encore une fois joué avec les sentiments des coureurs ce dimanche. Au bout d’un nouveau sprint au millimètre, les commissaires présents ont cru bon d’annoncer Benoît Cosnefroy (Ag2r Citroën Team) comme vainqueur, avant de vérifier la photo-finish qui confirmait bien la victoire de son adversaire, Michal Kwiatkowski (INEOS Grenadiers). Un succès acquis à la force du collectif.
Avec le changement de date de l’Amstel Gold Race, disputé une semaine plus tôt, et de Paris-Roubaix, l’épreuve néerlandaise ouvrait cette année sur une question fondamentale : les favoris des Flandriennes vont-ils prendre le pas sur les spécialistes des Ardennaises ? Les uns sortent tout juste d’un pic de forme sur le Tour des Flandres, les autres doivent à peine perfectionner leur condition en vue des classiques prévues au moins dix jours plus tard. Finalement, ce sont bien deux concurrents des prochaines courses ardennaises qui ont brillé dans le final d’une course toujours aussi surprenante au fil des saisons.
Le parcours proposé par Leo van Vliet et son équipe change chaque année, proposant moult virages, changements de direction et versants de côtes jusqu’ici inexplorés. Ces bouleversements rendent la course bien plus usante et inattendue, avec des puncheurs audacieux bien plus favorisés. L’équipe INEOS Grenadiers en a profité pour afficher à l’approche du final sa maîtrise de ces routes sinueuses. Pas question de laisser les autres favoris dicter la course : les hommes en bleu et rouge mettaient la pression à près de 60 kilomètres du but, sur l’enchaînement le plus rude du jour, avec le Kruisberg, l’Eyserbosweg, le Fromberg et le Keutenberg.
Deux INEOS face au reste
Jusqu’à l’offensive de Tiesj Benoot (Jumbo-Visma) qui plaçait onze hommes en tête, parmi lesquels deux représentants d’INEOS Grenadiers, le favori annoncé Tom Pidcock (certes annoncé comme malade durant la semaine) et l’ancien vainqueur Michal Kwiatkowski. « Je savais que ça allait être dangereux avec les deux INEOS devant », confirme par après Mathieu Van der Poel (Alpecin-Fenix) au micro d’Eurosport. Et le Néerlandais n’était pas le seul à s’en inquiéter. L’entente ne semblait pas des meilleures en tête, mais le groupe avait un avantage : il était composé des hommes les plus forts du jour, sans contestation possible. Et dans chaque côte, l’avantage croissait en faveur de ces puncheurs.
Et parmi ces favoris, l’équipe INEOS profitait de sa supériorité pour faire la différence. Après une offensive de Pidcock au sommet du Cauberg, Kwiatkowski surgissait pour une attaque en solitaire. Benoît Cosnefroy (Ag2r Citroën Team) rejoignait le Polonais dans l’ascension suivante, le Geulhemmeberg. Personne ne réagissait face à cette double offensive : la neutralisation l’emportait. « C’était tactique. Et je n’avais pas les jambes pour contrer toutes les attaques. J’ai un peu joué, mais je n’ai pas bien misé finalement », analyse Van der Poel, auteur de relances explosives dans les derniers kilomètres, insuffisantes pour rentrer sur le duo de tête. « Je m’attendais à ce que Van der Poel soit mieux. (…) Et au pied du Geulhemmeberg, j’ai ramené Cosnefroy en tête du groupe, puis il a démarré et j’ai eu du mal à suivre », se désole pour sa part Tiesj Benoot, initiateur de l’échappée décisive et finalement troisième.
Cosnefroy : « Un ascenseur émotionnel »
Devant, aucun doute : Kwiatkowski et Cosnefroy ont enchaîné les relais avec l’espoir d’éviter un retour dans le dernier kilomètre. Jusqu’à un sprint final à deux, sur l’une des lignes droites les plus longues de la saison. Bloqué en tête dans les 800 derniers mètres, le Français décidait de lancer aux 250 mètres pour un effort intense que Kwiatkowski parvenait à déborder. Et d’un lancer de vélo bien orchestré, le Polonais s’offrait d’un boyau une deuxième victoire sur l’Amstel Gold Race ! Mais cela, les coureurs et téléspectateurs ne le découvraient que trois minutes après la course, lorsque la photo-finish était enfin développée pour annoncer officiellement la victoire de Kwiatkowski. Alors que Cosnefroy avait entendu de la part d’un commissaire qu’il avait bien gagné ce dimanche…
« C’était un véritable ascenseur émotionnel », commente sobrement Cosnefroy au micro d’Eurosport. « On m’annonce vainqueur après la ligne. J’ai eu la joie qui va avec… Après, quand on m’annonce que je suis deuxième, il y a évidemment une part de déception. Mais je prends du recul et je me dis que je dois être content d’être sur la boîte sur l’Amstel. Je peux être fier de ma course », se réjouit le puncheur de 26 ans. « Kwiatkowski n’a pas volé sa victoire. Je ne comprends juste pas pourquoi on m’a annoncé si vite vainqueur ». Une erreur humaine, selon Wielerflits, qui a interrogé l’un des commissaires de la fédération néerlandaise de cyclisme. Deux ans d’affilée, cela commence à faire beaucoup pour une classique du WorldTour…
Kwiatkowski : « Je dois être patient »
D’abord hébété par la première annoncée, Michal Kwiatkowski exultait trois minutes plus tard, célébrant sa deuxième victoire sur l’Amstel avec ses équipiers. La consécration d’un travail collectif pour mener un « super-équipier » à sa première victoire depuis la 19e étape du Tour de France 2020. « J’étais très déçu, car pour moi, seule la victoire compte. Et avec Tom Pidcock derrière, on comptait sur moi dans l’équipe. (…) J’ai appris de la situation de l’an dernier avec Tom (Pidcock) (NDLR : la photo-finish a départagé Wout van Aert et Tom Pidcock au bout de longues minutes de débat), il faut vraiment attendre avant de célébrer », commente après coup le coureur polonais. « C’est pourquoi je n’arrive toujours pas à croire en ce succès. Peut-être que le jury va revenir en disant que je n’ai pas gagné après tout », ajoute-t-il en riant.
« Kwiato », qui enrichit son palmarès après un championnat du monde, Milan-Sanremo, deux Strade Bianche et une Clasica San Sebastian, retrouve ainsi les joies de la victoire, lui le coureur tout-terrain qui s’est mué depuis son arrivée à la Sky (devenue INEOS) en équipier de luxe pour les leaders des courses par étapes. « C’est agréable de gagner ici, car j’aime cette course », se réjouit le coureur de 31 ans. « J’ai connu beaucoup de mauvais moments en ce début d’année, avec le Covid-19, la grippe… Pendant longtemps, je n’ai pas pu suivre le programme prévu. Et maintenant, je gagne l’Amstel. Je me suis prouvé à moi-même que je dois être patient, car tôt ou tard, la victoire arrive. Mon début de saison a été difficile parce que ma famille est tombée malade et je n’ai pas pu m’entraîner suite à cela. Cela a été une période compliquée, mais désormais, je suis de retour ». Une véritable déclaration à l’aube des classiques ardennaises, durant lesquels l’équipe INEOS Grenadiers devrait encore se placer comme la formation à battre.
Résultats de la 56e édition masculine de l’Amstel Gold Race (Maastricht > Berg en Terblijt, 254.1 km) :