Les cyclistes qui visent le classement général du Tour d’Italie, du Tour de France ou du Tour d’Espagne sont de plus en plus maigres. L’affirmation ne semble pas forcément notable pour celles et ceux qui suivent avec attention le cyclisme sur route. Elle n’est même pas surprenante, rien qu’en regardant au format des coureurs qui trustent les podiums sur ces courses de trois semaines, très exigeantes. Mais il y a une différence entre la perception et les données tangibles. Une équipe de chercheurs de l’université de Berne s’est donc posé cette question : est-ce que l’Indice de Masse Corporelle (IMC) des hommes dans le Top 5 des trois Grands Tours (Tour d’Italie, de France et d’Espagne) a évolué ces dernières années. Ils ont analysé les tailles et les poids des cinq meilleurs cyclistes de chaque Grand Tour entre 1992 et 2022. Soit 156 coureurs pour un total de 445 valeurs d’IMC, soit la masse corporelle (en kg) divisée par la taille (en mètres) au carré.
Et selon les auteurs de l’étude, cette évolution est réelle : ces cyclistes sont de plus en plus maigres. En trente ans, l’IMC moyen de ces coureurs est passé de 22,12 à 20,13. Sachant qu’un indice en dessous de 18,5 indique une maigreur, soit un risque pour la santé de la personne concernée. “Il est à noter qu’un IMC de 20,13 n’est pas malsain en soi ou l’indicateur de futurs problèmes de santé. Cependant, cet IMC en baisse peut amener à des préoccupations plus larges dans le contexte des problèmes de gestion du poids dans le sport, comme le démontrent les récits des athlètes ainsi que les études universitaires à ce sujet”, indique dans l’étude Alexander Smith, chercheur à l’université de Berne. “Cela pourrait avoir des conséquences pour les athlètes et les régulateurs, car la pression de la performance peut conduire à des comportements nocifs, avec des effets négatifs potentiels sur la santé des coureurs, sur le court et le long terme”.
L’étude s’appuie également sur de nombreux extraits d’interviews de cyclistes masculins, longtemps aux prises avec les avant-postes des trois Grands Tours. Notamment l’Australien Rohan Dennis qui avait évoqué sa crainte de connaître des troubles de l’alimentation, en raison de sa recherche d’un poids idéal pour viser le classement général d’épreuves exigeantes. Il a pesé jusqu’à 68 kg, avant de reprendre du poids juste avant son titre de champion du monde du contre-la-montre au Yorkshire, pesant alors 70 à 71 kg. “J’en suis arrivé au point où après m’être pesé, j’allais prendre une bière, puis j’allais me sentir coupable et je ne mangeais pas avant l’entraînement, le lendemain. Du coup, je ne pouvais pas m’entraîner normalement, je ne faisais pas une bonne session, je mangeais un minimum et je prenais encore un coup sur la tête”, expliquait-il en 2020 au quotidien australien The Adelaide Advertiser. On vous avait également évoqué le cas d’Aafke Soet, une cycliste néerlandaise qui a décidé cet hiver de prendre sa retraite, tout en adressant un message important sur l’anorexie, un trouble alimentaire malheureusement courant dans le peloton professionnel.
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Les chercheurs de l’université de Berne ont des recommandations similaires à faire concernant ces problèmes de poids face à la recherche de performances toujours plus usantes. Comme Aafke Soet ou Marlen Reusser, ils demandent que l’Union Cycliste Internationale et les fédérations nationales de cyclisme prennent des mesures pour faire face à ce problème qui peut devenir plus grave à terme. “Par exemple, en Formule 1, des changements de règlement ont été promulgués concernant le poids de la voiture et du pilote”, explique Michael Liebrenz, chercheur de l’université de Berne. Les pilotes ne peuvent en effet pas descendre sous un certain poids. “En saut à skis, une règle a été introduite selon laquelle la longueur des skis est basée sur l’IMC des athlètes. En aviron, un règlement autour d’un taux minimum de masse graisseuse a été mis en place”, ajoute le chercheur.
L’université propose notamment que l’UCI mène des campagnes de sensibilisation et de prévention auprès des athlètes, des programmes de suivi ou encore un règlement basé sur l’IMC des cyclistes. On pourrait également ajouter la nécessité de discussions avec les équipes de ces cyclistes et avec les organisations de courses, afin que celles-ci ne proposent pas des parcours trop affolants. Le spectacle ne doit pas passer par des tracés toujours plus difficiles, mais plutôt par des profils différents et un peloton nivelé par le haut grâce à des formations plus professionnelles. Comme le signale l’université de Berne, des efforts sont clairement faits par l’UCI, mais le travail doit encore se poursuivre sur le long terme pour permettre au cyclisme sur route de rester sain pour ses meilleur·e·s représentant·e·s.
► Lire l’étude complète de l’université de Berne