Jai Hindley tient son déclic
Le Giro et Hindley, une histoire d’amour italo-australienne. Le jeune coureur de Perth s’était révélé sur les routes transalpines en 2020, année de pandémie, durant une édition particulière du Tour d’Italie, organisée en octobre. De ce calendrier particulier, Hindley avait su tirer son épingle d’un jeu largement décimé de ses plus grands favoris. Les absents ont toujours tort, l’Australien en a profité. À l’époque sous les couleurs de la Sunweb, il avait profité des dernières étapes explosives qui font la fierté du Giro, cette fameuse troisième semaine traître, pour affirmer ses qualités de grimpeur, et même de meilleur grimpeur de cette édition 2020, au côté du plus jeune encore Tao Geoghegan Hart, vainqueur du général sur le seul chrono final vers Milan.
«Je pense que quand je regarde en arrière, je peux être fier de ce que j’ai réussi. Cela a été un incroyable pas en avant dans ma carrière», se réjouissait, optimiste, Hindley au bout de ces trois semaines inédites. Grâce à cette deuxième place, l’Australien offrait déjà à son père un résultat de prestige sur un monument du cyclisme, lui qui a donné toute sa carrière pour le vélo. Ancien coureur amateur et entraîneur de son fils, Gordon Hindley espérait surtout que son fils passe professionnel. Un rêve déjà établi en 2018 chez Sunweb après trois saisons entre le circuit asiatique et les courses espoirs italiennes. Alors, rêver d’un Grand Tour…
Après son exploit du Giro 2020, Jai Hindley a quelque peu disparu des radars, enchaînant les chutes et blessures. La saison 2021, seulement rehaussée par une septième place sur le Tour de Pologne, lui permettra au moins de trouver un nouveau contrat chez Bora-Hansgrohe, dans une équipe désormais tournée vers les courses par étapes. L’Australien de 26 ans était annoncé sur le Giro sans grande certitude sur sa condition après une cinquième place prometteuse sur Tirreno-Adriatico et une treizième place discrète sur le Tour de Catalogne. Mais le trident annoncé avec Wilco Kelderman et Emanuel Buchmann, tout aussi incertains quant à leurs prétentions, pouvait donner des idées à l’équipe Bora-Hansgrohe, souvent portée sur l’offensive.
Discrètement dans les bonnes roues sur l’Etna, Hindley s’est révélé sur l’abrupte montée du Blockhaus, remportée brillamment dans un sprint millimétré face aux meilleurs grimpeurs du moment. Il a ensuite maintenu la pression sur Richard Carapaz en le marquant au cuissard tout au long des deux prochaines semaines. L’équipe Bora-Hansgrohe se permettait même de mener un train en montagne pour montrer son collectif solide sur ce Giro très montagneux. Et comme en 2020, Hindley n’a cessé de montrer de meilleures jambes au fil des étapes. Pour finalement se révéler à son firmament sur les dernières journées en altitude.
L’équipe Bora-Hansgrohe a souvent étonné par ses stratégies : elle a semblé faire le travail de la formation du maillot rose, sans vraiment user les organismes des rivaux. Mais Hindley a pour sa part laissé ses rivaux s’époumoner à attaquer Carapaz. Avant de lancer la seule grande offensive qu’il fallait mener : sur la 20e étape vers le Passo Fedaia, à quatre kilomètres du sommet, le grimpeur de Perth a profité du lancement de son équipier Lennard Kämna pour faire craquer Carapaz et récupérer pour la première fois depuis 2020 le maillot rose de leader. Cette fois avec plus d’une minute d’avance sur son plus proche adversaire au général, le contre-la-montre final se montrait bien moins effrayant que deux ans plus tôt. D’une efficacité chirurgicale, Hindley n’a pas été le plus offensif de ce Giro, il a toutefois su profiter des faiblesses de ses rivaux pour afficher sa grande constance et sa capacité à faire la différence en une attaque ciblée.
À 26 ans, Hindley prend une nouvelle dimension avec cette victoire sur un Grand Tour. Cela ne changera certainement pas son regard sur le cyclisme, comme il l’explique à L’Équipe : «Être payé pour faire du vélo toute la journée, c’est ce que j’ai toujours voulu». Si les résultats peuvent suivre, c’est un plaisir supplémentaire pour Jai Hindley qui ne semblait pas réaliser dans l’arène de Vérone le rêve qu’il venait de réaliser. Pourra-t-il désormais réitérer pareil exploit ? S’il évite la malchance, l’Australien sera un sérieux concurrent pour les prochaines courses par étapes montagneuses. Avec la Vuelta en point de mire, cette fois ?
Richard Carapaz et les INEOS bousculés
Au départ de ce 105e Tour d’Italie, l’équipe INEOS Grenadiers affichait une nouvelle fois l’équipe la plus solide pour la conquête d’une course de trois semaines. Richard Carapaz en leader, Richie Porte en soutien et capitaine de route, Pavel Sivakov, Jonathan Castroviejo et Ben Tulett pour mener en montagne, Ben Swift et Jhonatan Narvaez pour tirer des bouts droits dans la plaine et les vallons. Tout semblait parfaitement établi pour conquérir un quatrième Giro en cinq ans après les succès de Froome (2018), Geoghegan Hart (2020) et Bernal (2021).
Et durant les premières étapes, la formation britannique est apparue en contrôle. Carapaz menait sa barque en altitude et s’offrait le maillot rose après une étape explosive du côté de Turin. Il semblait également assuré sur toutes les étapes alpestres, avant que le doute s’installe au sein de sa formation après l’abandon pour maladie de Richie Porte sur l’antépénultième étape vers Castelmonte. Un coup dur, mais perdre un tel soutien en fin de troisième semaine ne devait pas perturber l’objectif de Carapaz, toujours ancré dans sa tunique rose. Mais avec seulement trois secondes d’avance sur Hindley avant l’ultime joute montagnarde, dans le Tyrol italien.
Et sur la montée de la Marmolada, l’Équatorien, en mano a mano avec son rival australien, a explosé, lâchant plus d’une minute et demie à son dauphin. Le coup dur avant un contre-la-montre de seulement 17,4 kilomètres, trop court pour espérer un changement tardif de hiérarchie. Certes, INEOS Grenadiers a fait l’erreur de laisser Lennard Kämna dans l’échappée, ce même Kämna qui a envoyé Hindley vers le maillot rose dans le dernier col. Mais l’équipe britannique avait jusqu’ici parfaitement contrôlé et géré ses forces. Le leader a toutefois craqué. «C’est frustrant car je pense qu’on avait bien géré ce Giro. On pensait que l’altitude allait aider Richard. Mais je suppose qu’on doit juste accepter le résultat», se désole ainsi Pavel Sivakov, dernier lieutenant de l’Équatorien sur cette dernière journée en montagne.
Carapaz ne remporte donc pas son deuxième Giro, mais peut se féliciter d’une deuxième place largement méritée au vu de ses prestations durant ces trois semaines. S’il ne s’est pas montré aussi offensif qu’il a pu l’être par le passé, il a géré ce Giro en leader, avec l’espoir de conserver sa condition jusqu’au sommet. Il lui a manqué une journée pour conserver cet espoir. Il faudra désormais se remotiver pour viser un meilleur résultat sur la Vuelta, en septembre.
Trop de favoris ont manqué
Si le suspense a été intense durant ces deux derniers jours de Giro, la course au maillot rose n’a pas apporté son lot de satisfactions pour les amateurs de grand spectacle. L’épreuve dévoilait pourtant un parcours haletant, avec notamment deux étapes en circuit qui ont mis le bazar dans le peloton. La 14e étape vers Turin restera d’ailleurs comme l’une des plus belles étapes de Grand Tour de ces dernières années par son scénario, ses offensives… Mais à part cette journée dans les collines piémontaises, le classement général a rarement été bouleversé et en altitude, les coureurs se sont majoritairement suivis, sans grande envolée comme par le passé.
Il faut dire aussi que ce Giro a été marqué par les abandons et défaillances de bon nombre de favoris annoncés au départ de Budapest. Le Britannique Simon Yates (Team BikeExchange-Jayco), vainqueur du premier contre-la-montre à Budapest et attendu comme le plus grand rival de Carapaz en montagne, a dû céder toute ambition après une chute en première semaine. Il s’offrira tout de même l’étape de Turin, en attaquant de la première heure, avant de renoncer à la suite de l’épreuve pour soigner son genou meurtri. Le Français Romain Bardet (Team DSM) était également en bonne voie pour jouer avec les favoris au maillot rose. Quatrième du général au matin de la treizième étape, il a dû abandonner pour cause de maladie intestinale. Comme il le rappelle lui-même, l’Auvergnat signe ainsi son deuxième forfait sur une 13e étape de Grand Tour alors qu’il est en quatrième place provisoire du général (commotion cérébrale sur le Tour de France 2020).
On peut également évoquer les cas du Portugais João Almeida (UAE Team Emirates), lui aussi quatrième provisoire mais au matin de la 18e étape. Un test Covid positif l’a effacé des tablettes alors qu’il semblait en bonne voie pour un nouveau résultat de prestige sur le Giro. Le Néerlandais Tom Dumoulin (Jumbo-Visma) a, pour sa part, renoncé pour cause de méforme : lâché dès l’Etna, il s’est mué en équipier modèle pour Koen Bouwman lors de son premier succès vers Potenza, avant de lâcher prise, incapable de retrouver ses jambes d’antan. Le Colombien Miguel Angel Lopez (Astana Qazaqstan Team) a connu la malchance dès le départ avec un abandon avant l’Etna, sur chute. Autant de leaders qui par leur tempérament offensif aurait pu épicer cette course au maillot rose.
Van der Poel, Girmay… : merci aux chasseurs d’étapes
Le classement général n’a donc pas animé les foules, mais grâce à son tracé, cette 105e édition a permis de découvrir chaque jour des luttes intéressantes pour les victoires d’étape. Chacun voulait sa part du gâteau et durant les deux dernières semaines de course, il n’était pas rare de voir plus d’une heure d’attaques depuis le kilomètre zéro pour obtenir sa place dans l’échappée. Avec des groupes de cinq, dix, vingt coureurs se formant au gré des accélérations. Et au plus grand bonheur des téléspectateurs attentifs dès la première minute de course.
C’est simple : sur les dix-neuf étapes en ligne disputées, un coureur issu d’une échappée matinale s’est imposé à dix reprises ! Et on peut ajouter à ces statistiques cinq sprints massifs seulement… Les attaquants ont donc eu la belle vie durant ces trois semaines de course. Grâce à un parcours bien dessiné et favorisant le spectacle, et en raison d’équipes de sprinters rapidement décimées ou usées par ces enchaînements de côtes. sur les cinq sprints massifs, trois se sont d’ailleurs joués sur les six premiers jours de course.
Mathieu Van der Poel a notamment fait le spectacle sur tous les terrains, concluant son premier Grand Tour entièrement disputé avec un succès dès la première étape et une troisième place sur le contre-la-montre final, comme pour confirmer sa grande fraîcheur malgré les efforts consentis. L’Érythréen Biniam Girmay a également offert de belles séquences offensives avant de remporter son premier succès sur un Grand Tour, un exploit pour l’Érythrée. Même si le monde retiendra son forfait le lendemain en raison d’un bouchon de Prosecco dans l’œil… Et puis, il y a eu Koen Bouwman et ses deux succès d’étape en plus du maillot bleu de la montagne, Giulio Ciccone et son retour aux affaires, Jan Hirt et sa remontée au général ou encore Lennard Kämna et son envolée sur l’Etna.
De Gendt et De Bondt : les attaquants belges à la fête
Malgré un contingent limité et plutôt disposé à jouer les équipiers qu’à mener la lutte pour le maillot rose, le peloton belge a connu un Tour d’Italie particulièrement réussi. Il a fallu batailler, à l’image de Sylvain Moniquet (Lotto-Soudal) et Mauri Vansevenant (Quick-Step Alpha Vinyl), souvent en tête dans les étapes de montagne sans toutefois trouver de terrain favorable pour leurs qualités. Loïc Vliegen (Intermarché-Wanty-Gobert) a pour sa part joué les protecteurs pour Biniam Girmay alors qu’Edward Theuns (Trek-Segafredo) et Lawrence Naesen (Ag2r Citroën Team) ont également joué l’offensive, alors qu’Otto Vergaerde (Trek-Segafredo), Bert Van Lerberghe, Pieter Serry (Quick-Step Alpha Vinyl), Jenthe Biermans (Israel Premeir Tech), Aimé De Gendt (Intermarché-Wanty-Gobert) ou Senne Leysen (Alpecin-Fenix) ont été plus discrets.
Deux attaquants ont connu un plus grand bonheur. Sur l’étape vallonnée de Naples, taillée comme un critérium, Thomas De Gendt (Lotto-Soudal) a profité du gros travail de Harm Vanhoucke (finalement contraint à l’abandon sur blessure en deuxième semaine) pour l’emmener vers un deuxième succès d’étape sur le Giro, dix ans après son premier bouquet italien. Et Dries De Bondt (Alpecin-Fenix) a géré l’échappée de la dix-huitième étape pour s’imposer dans un sprint à quatre, et soulever ainsi son premier trophée sur un Grand Tour. Deux victoires d’étape : on ne pouvait pas demander mieux à ce groupe belge sans leader annoncé.
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Le classement général final du Tour d’Italie 2022 :
Les vainqueurs des différents classements du Tour d’Italie 2022 :
Classement général (maillot rose) : Jai Hindley (Aus, Bora-Hansgrohe)
Classement par points (maillot cyclamen) : Arnaud Démare (Fra, Groupama-FDJ)
Classement de la montagne (maillot bleu) : Koen Bouwman (P-B, Jumbo-Visma)
Classement des jeunes (maillot blanc) : Juan Pedro López (Esp, Trek-Segafredo)
Classement par équipes : Bahrain Victorious (Bhr)
Classement des sprints intermédiaires : Filippo Tagliani (Ita, Drone Hopper-Androni Giocattoli)
Classement des échappées : Mattia Bais (Ita, Drone Hopper-Androni Giocattoli)
Classement du fair-play : Bahrain Victorious (Bhr), Cofidis (Fra) et Team DSM (P-B)