Tel Vincenzo Nibali sur Milan-Sanremo 2018, le Slovène Matej Mohoric (Bahrain Victorious) a profité de la descente technique du célèbre Poggio pour filer en solitaire vers la Via Roma. Face à des puncheurs à leur firmament, le fulgurant attaquant a profité de son talent exceptionnel dans les virages et un matériel inédit pour remporter son premier monument.
Ce devait être l’année des attaquants. L’édition qui allait enfin consacrer les plus explosifs. L’audace enfin récompensée, le courage enfin mis à l’honneur. Car malgré les cinq dernières éditions de la Classicissima remportées par des puncheurs, sortis dans le Poggio ou dans le dernier kilomètre, le public en demande toujours plus. C’est le drame de la plus longue classique du calendrier, celle qui se distingue par un dénivelé trop léger et des difficultés qui n’en ont que le nom officieux. « Milan-Sanremo, c’est long, long ! Et, tout d’un coup, on est content d’aborder les difficultés et, là, on bute. Ce n’est pas un hasard, c’est dû au fait d’avoir roulé toute la journée à la même vitesse. On n’a pas l’impression d’être fatigué et pourtant on l’est. 300 bornes sur un vélo, ce n’est pas banal », résume dans Le Soir Philippe Gilbert (Lotto-Soudal), auteur de deux podiums en dix-huit participations, dont la dernière ce samedi à une anonyme 144e place.
La concentration se porte sur ces 50 derniers kilomètres, entre les Capi et le Poggio. Les pourcentages ne dépassent jamais les deux chiffres, mais après plus de six heures de course dans les jambes, l’effort à toute berzingue fait monter les toxines à toute vitesse. Se placer en tête de peloton relève de l’exploit sans équipe pour emmener, tenter l’offensive est encore plus risqué. Certes, depuis une semaine et les succès de Tadej Pogacar (UAE Team Emirates) depuis le début de la saison, bon nombre d’observateurs et de supporters de la Petite Reine rêvaient de voir le Slovène se mêler à l’exercice du contre-la-montre dès l’escalade des Capi ou sur la Cipressa, plus rude, car plus longue. Il n’en a rien été.
UAE et Jumbo font le jeu des attaquants
Les UAE Team Emirates ont certes mené un train d’enfer avec les Jumbo-Visma sur ces dernières difficultés de la journée. Mais sur la côte ligurienne, pas question de poser une mine aussi loin de l’arrivée. Avec un vent favorable, les attaquants peuvent partir vite. Mais le peloton peut rentrer tout aussi rapidement. Alors, tous les favoris (à l’exception des principaux sprinters lâchés dans la Cipressa) ont attendu l’habituel Poggio, dont le pied est pointé à 9 kilomètres de l’arrivée, pour faire grimper les watts. « Avec l’équipe, tout s’est déroulé comme nous l’avions prévu. Quand l’équipe UAE est arrivée pour nous aider dans la poursuite, je savais qu’ils voulaient rendre la course plus difficile », explique le champion de Belgique Wout van Aert (Jumbo-Visma), toujours présent en tête du peloton depuis les Capi jusqu’au sommet du Poggio. « Cette tactique était également à mon avantage, mais les attaques de Pogacar sur le Poggio étaient très puissantes ».
Car le Slovène, grand favori parmi les attaquants, n’essayait pas une, pas deux, mais cinq fois de sortir du peloton ! Les pourcentages trop limités de cette colline ne permettaient toutefois pas à «Pogi» de développer ses qualités explosives. Face à des rouleurs comme Van Aert ou le surprenant Mathieu Van der Poel (Alpecin-Fenix), annoncé en dernière minute sur la liste de départ, l’essai était vain. L’attaque du Danois Søren Kragh Andersen (Team DSM) dans les derniers lacets du Poggio permettait presque à « Pogi » de croire en une offensive heureuse, mais Van Aert et Van der Poel étaient encore une fois à l’affût. Jusqu’à la descente vers Sanremo. Sur ces chemins périlleux, le champion de Slovénie Matej Mohoric (Bahrain Victorious) dépassait un à un ceux qui avaient mené la montée à pleine vitesse, avant de déborder Pogacar pour un récital.
Mohoric : “On avait un plan”
« Je savais que Mohoric voulait tenter quelque chose dans la descente. Je le connais un peu par l’intermédiaire de Primoz (Roglic). Il travaille apparemment sur cette course depuis des années. Quand il est parti, j’ai voulu suivre sa roue, mais j’étais un peu pris entre Mathieu et Pogacar », rapporte Van Aert, en effet bloqué à l’intérieur d’un virage et en retrait d’une vingtaine de mètres quand il s’est saisi de la poursuite. « J’ai vu Matej (Mohoric) attaquer dans la descente, mais Pogacar était dans sa roue. Je ne pensais pas qu’il creuserait un écart aussi important aussi rapidement. Je pensais qu’on pouvait revenir », renchérit Van der Poel, prêt à relayer son rival belge dans cette descente technique, afin de rentrer sur Mohoric.
Mais le Slovène prenait tous les risques. Dans la gouttière, à deux reprises aux fesses de la moto-caméra, en glissade dans un virage serré : Mohoric a déjà failli perdre quatre fois Milan-Sanremo. Qu’importe, il était toujours debout pour entamer les 2 500 derniers mètres jusqu’à la Via Roma. « On avait un plan : je devais rester sur la défensive sur le Poggio, suivre les meilleurs puis revenir petit à petit d’ici au sommet. Avant de descendre du mieux que je pouvais », résume le leader de Bahrain Victorious. « J’ai poussé jusqu’à la limite, j’ai mis toute la force que je pouvais. Mais j’étais aussi cuit dans les derniers kilomètres », confirme celui qui était en prime victime d’un saut de chaîne dans l’avant-dernier virage du jour. Un nouvel incident qui ne l’empêchait pas de rêver d’un premier succès sur une classique d’envergure.
Une tige de selle spéciale
Et malgré le retour à toute vitesse d’Anthony Turgis (TotalÉnergies) et du reste des favoris dans ce dernier kilomètre, Matej Mohoric pouvait clamer sa joie tout en pointant la machine qui lui a permis de briller sur ce terrain. « C’était à la limite. Mais cela valait la peine finalement ! Durant tout l’hiver, nous avons analysé et testé ce nouveau vélo. Je dois remercier toute l’équipe, les mécaniciens, les fournisseurs pour le travail réalisé », commente le vainqueur de Milan-Sanremo, pointant un élément particulier qui a fait la différence sur ce vélo : « Je savais qu’avec cette tige de selle téléscopique (NDLR : une tige de selle habituellement utilisée en VTT qui permet de baisser la selle dans les virages et passages plus techniques pour baisser son centre de gravité), j’avais un avantage certain sur les autres. Je me suis entraîné avec, j’ai fait des repérages avec, je savais comment l’utiliser. Je savais que cela allait être difficile de suivre le rythme derrière moi. Cette tige me permet de mieux gérer mon centre de gravité, d’avoir une meilleure prise en mains du vélo. Ce n’était physiquement pas possible d’aller aussi vite sans cette option. »
Cette innovation permet finalement à celui qui se remettait encore de sa chute sur le Strade Bianche, deux semaines plus tôt, de réussir un exploit encore plus impressionnant que son ex-éqiipier Vincenzo Nibali, quatre ans plus tôt. Cette fois, Mohoric a attendu la descente pour attaquer et lâcher tous ses rivaux, isolés. « C’est la plus grande victoire de ma carrière. Le Tour de France est le Tour. Mais ici, on avait un plan, on l’a suivi et cela a réussi. Cela arrive si rarement dans le cyclisme moderne », se réjouit Mohoric.
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Van Aert : “J’ai couru pour gagner”
Derrière, la déception s’affichait sur tous les visages. Car les puncheurs ont tous fait ce qu’il fallait pour s’isoler. « Il y a de la déception. Je pense que j’ai gaspillé trop d’énergie avec les attaques de Pogacar. Dans la descente, quand j’ai vu Mohoric passer, j’ai su très vite qu’il fallait faire attention à lui. Quand il prend 10 mètres, vous savez que c’est dangereux. Puis cela s’est joué comme toujours… », réagit Wout van Aert, neuvième, surtout déçu par le comportement du reste du groupe de poursuivants. « J’ai couru pour gagner, Mathieu (Van der Poel) aussi. Mais d’autres ont rapidement commencé à rouler pour le podium. C’est leur droit, mais je préfère me battre pour la victoire ». Même son de cloche chez Mathieu Van der Poel, troisième pour ses débuts sur route, cette saison : « Il n’y avait pas assez de collaboration à l’arrière, plus personne n’avait d’équipier pour aider. Seuls Mads (Pedersen) et Wout (Van Aert) roulaient, les autres ne relayaient pas. C’est vraiment dommage ».
Et comme d’habitude, on se refait le fil de la course, et on se dit que Milan-Sanremo n’est pas qu’une loterie. « Si j’avais su ce qui se passait après, j’aurais mieux fait de rester un peu plus longtemps en retrait. Mais on ne sait jamais quand arrive la bonne attaque. Je n’ai pas de regrets, juste un peu de déception », conclut Van Aert au micro de la VRT. « C’est vraiment une occasion manquée. Je gagne le sprint pour la troisième place, avec les favoris, donc c’est dommage que cela n’était pas pour la victoire. (…) Mais je suis heureux avec ce que j’ai pu montrer aujourd’hui. Je n’ai pas ressenti de douleur dans le dos. Cela reste le point positif de la journée », ajoute Van der Poel, bien de retour aux avant-postes et prêt à en découdre sur les prochaines classiques flandriennes, qui démarrent dès mercredi avec la classique de Bruges-La Panne avant, vendredi, le GP E3.
Résultats de la 113e édition de Milan-Sanremo (Milan > Sanremo, 293 km) :