On aurait pu vous écrire une infolettre quotidienne sur ce Tour de France, tant il recèle de belles histoires, de surprises, de coups spectaculaires chaque jour. Cette première semaine est aussi intense que celle du Tour de France 2022, les écarts entre les favoris restent toujours aussi serrés et les étapes s’enchaînent sans certitude. Les esprits chagrins se désoleront de voir un Tadej Pogacar, annoncé comme grand favori, déjà en jaune depuis moins d’une semaine. D’autres évoqueront le manque d’attaque sur les étapes de pure plaine, laissant le champ libre aux sprinters. Et pourtant, le bilan au bout de neuf étapes est que le spectateur neutre a tous les ingrédients devant lui pour profiter d’un Tour de France de grande qualité. Et dire qu’il reste encore douze journées de course en vue de Nice…
Tadej Pogacar est prêt, et son équipe ?
En tête du classement général avec plus de 30 secondes d’avance sur son dauphin Remco Evenepoel et plus d’une minute sur Jonas Vingegaard, Tadej Pogacar a confirmé d’emblée son statut de favori en vue d’un troisième Tour de France. Toujours en place en tête du peloton, le coureur slovène a profité de la première opportunité notée à Bologne, sur la montée de San Luca, pour tester son explosivité et celle de ses adversaires. Exercice réussi, même si Jonas Vingegaard et Remco Evenepoel étaient dans la roue (d’emblée ou à rebours). Sur la première étape de montagne, dans le Galibier, l’équipe UAE Team Emirates a renforcé ce rôle de favori par un rythme infernal, parfaitement géré par les équipiers de “Pogi”. Ce dernier n’avait plus qu’à faire parler son punch sur les pentes à deux chiffres du sommet du Galibier, avant d’afficher sa technique exceptionnelle dans la descente vers Valloire. C’est d’ailleurs dans cette descente que le Slovène a creusé le plus large écart sur ses adversaires, Vingegaard et Evenepoel en tête, avec Primoz Roglic à distance raisonnable.
Seul face au chrono, Pogacar a encore mis la plupart de ses rivaux en retard sur le contre-la-montre des vignes de Bourgogne. Seul Remco Evenepoel a réussi à reprendre du temps sur le maillot jaune sur un tel chrono complet, offrant des possibilités pour les puissants, les puncheurs et les techniciens. Enfin, sur l’étape tant crainte des “chemins blancs” de Troyes, le leader en général a encore affiché sa force en essayant à deux reprises de mettre ses rivaux dans le rouge, sans toutefois parvenir à creuser les écarts espérés. Sur cette première semaine, en attaquant à trois reprises, Pogacar n’a finalement récupéré du temps sur ses adversaires les plus proches que dans la haute montagne, grâce à une descente à tombeau ouvert. Cela ne signifie toutefois pas une domination sans partage.
Sur la sixième étape, avant le contre-la-montre, Pogacar a dû se débrouiller seul dans le vent, pendant que les Visma-Lease a Bike profitaient du souffle favorable d’Éole pour l’isoler, sans un équipier pour le protéger. Sa chance ? Un vent trop léger pour permettre aux “abeilles” de poursuivre leur effort pour les 90 derniers kilomètres du jour. Mais Pogacar a connu une belle frayeur pour le coup. Dans les chemins blancs, si le Slovène a paru exceptionnel dans ses trajectoires et sa condition physique, s’il a pu profiter quelque temps des bons relais de Tim Wellens, Nils Politt et Pavel Sivakov, l’équipe UAE Team Emirates a paru bien en deçà de la Visma-Lease a Bike, plus prompt à sauver le soldat Vingegaard. Ces deux étapes sont une indication pour l’équipe néerlandaise : si elle veut surprendre “Pogi” et ses équipiers, c’est sur des terrains différents, dans la plaine notamment, qu’elle peut faire la différence. Car l’équipe UAE domine effectivement en montagne. Mais sur trois semaines, ce n’est pas uniquement sur ce terrain que cela peut se gagner. Avec un Wout van Aert qui semble revenir en forme au bon moment, un Christophe Laporte au point, un Matteo Jorgenson qui affiche également sa polyvalence, cela peut faire la différence, à défaut d’être meilleurs sur d’autres terrains.
Remco Evenepoel a géré comme il fallait
S’il était attendu parmi les favoris de ce Tour de France, la prudence restait logiquement de mise pour Remco Evenepoel, au vu de ses précédentes expériences sur les Grands Tours (une victoire et deux abandons) et les incertitudes autour de son état de forme, trois mois après sa lourde chute sur le Tour du Pays basque. Le coureur belge a rapidement rassuré sur cette condition physique en rattrapant Pogacar et Vingegaard sur la deuxième étape après San Luca, avant de rester non loin des autres favoris sur le Galibier puis de s’imposer en force sur le contre-la-montre de Gevrey-Chambertin, son premier objectif sur le Tour de France. Lui qui rêvait avant tout de gagner une étape du Tour de France a signé son premier objectif malgré une frayeur suite à une impression de crevaison à trois bornes du but.
Sur les chemins blancs, le sentiment est plus mitigé. Remco a fait du Remco en attaquant sur l’une des dernières rampes à plus de 15% de cette étape, à plus de 75 kilomètres de l’arrivée. Il a même cru pouvoir prendre l’avantage avec Pogacar et Vingegaard, revenus quelques minutes plus tard. Mais le Danois ayant refusé de prendre les relais, impossible de poursuivre l’effort en duo face aux autres candidats au maillot jaune. Evenepoel a ensuite eu plus de difficultés à suivre le rythme en tête, en raison de mauvais placements et de difficultés techniques dans les virages. Accompagné du seul Mikel Landa dans les moments critiques, le Belge a longtemps dû batailler seul. Cela ne l’a toutefois pas rendu amer à l’arrivée de cette première semaine de course, estimant s’être “bien amusé” durant cette étape de Troyes. Deuxième du général à 33 secondes de Pogacar, le coureur de Schepdaal peut en effet être heureux de ces premières étapes, de cette gestion. Sur la défensive lors des premiers jours, à l’offensive dès qu’une opportunité se présente, comme sur ces chemins blancs.
Il reste à suivre comment il pourra assurer le rythme dans la haute montagne, en deuxième et troisième semaines. Il est en effet difficile de savoir comment le Belge pourra gérer les offensives attendues de Pogacar et Vingegaard, dont les équipiers s’annoncent plus solides en montagne, et pas seulement. Evenepoel a en effet géré comme il fallait ce début de course, mais à part Landa, peu de soutiens du leader de Soudal-Quick Step ont jusqu’ici rassuré dès que la course se fait plus intense. Mais comme le second du général l’a répété, c’est après la mi-course qu’il faudra principalement faire les comptes.
Les échappées profitent des favoris du général
Trois victoires de coureurs issus d’une échappée après neuf étapes à peine, cela reste rare sur le Tour de France. L’an dernier, on pouvait en compter trois également, mais avec deux étapes de montagne au programme (Hindley à Laruns et Woods au Puy de Dôme). Même chose en 2021. Cette fois, dans la plaine et les vallons, les attaquants ont tenté leur chance, à raison visiblement. Romain Bardet à Rimini, Kévin Vauquelin à Bologne et Anthony Turgis à Troyes : trois Français, trois coureurs audacieux qui ont cru en leur bonne étoile sur ce Tour de France.
Cette tendance peut s’expliquer par des favoris du général qui préfèrent temporiser et éviter l’effort de trop. L’objectif est de sortir la bonne attaque explosive au bon moment, sans dépenser de l’énergie indispensable sur trois semaines. Cela s’est confirmé sur les deux premières étapes italiennes, mais également à Troyes. Malgré le bazar mis par Evenepoel et Pogacar tout au long de l’après-midi, les deux hommes se sont rapidement neutralisés dès qu’ils voyaient l’impossibilité de creuser les écarts ou de s’entendre. Les échappées ont pu en profiter, grâce aussi à des coureurs costauds pour mener l’offensive. Les bagarres qui se voient en début de course pour aller chercher ces attaques montrent bien que les équipes hors candidats du maillot jaune savent qu’il faut être en tête sur ces étapes décisives. C’est aussi ce qui explique une bagarre bien moins intense sur les étapes de plaine sans piège, bien plus taillées pour les sprinters, encore nombreux pour mener la chasse dans le peloton.
Arnaud De Lie a besoin d’un poisson-pilote
Troisième à Turin et Colombey-les-Deux-Églises, quatrième à Saint-Vulbas, cinquième à Dijon : les débuts d’Arnaud De Lie sur le Tour de France sont clairement encourageants. Le champion de Belgique a été présent sur tous les sprints de cette première semaine, et s’est démené comme un diable pour enfin franchir la ligne en première position. Il a toutefois connu quelques frustrations, notamment sur la huitième étape, sur un final en légère montée qui convenait parfaitement à ses qualités puissantes. Mais sur chaque emballage massif, la même rengaine revenait : Arnaud De Lie était mal positionné dans le dernier kilomètre et a dû longuement batailler avec les autres sprinters pour enfin tenter d’accélérer. À deux reprises (Turin et Colombey-les-Deux-Églises), il a d’ailleurs été bloqué et n’a même pas pu lancer pleinement son sprint.
Même si Arnaud De Lie se dit sûr de sa puissance et affirme lui-même ne pas avoir besoin de poisson-pilote. Il se confirme pourtant au fil des expériences massives qu’il est nécessaire de mieux le placer et de mieux le garder dans les premières positions pour lui permettre de faire parler ses qualités sans entrave. Comme cela s’est vu sur le championnat de Belgique, durant lequel il a bénéficié d’un train parfaitement lancé, grâce auquel il n’a eu aucun mal à détrôner Jasper Philipsen. Lotto-Dstny doit certainement prendre quelques notes intéressantes pour l’avenir.
L’UCI se ridiculise face à Julien Bernard
Une mauvaise note pour conclure cet édito : sur le contre-la-montre de Gevrey-Chambertin, le Français Julien Bernard a profité du passage non loin de ses terres d’origine pour prendre un bain de foule de supporters et de proches heureux de voir l’enfant du pays célébrer ce passage dans la plus grande course du monde. Le temps de ce moment de fête, le coureur de Lidl-Trek s’est arrêté pour un bisou à sa compagne et son enfant. Ces quelques secondes heureuses n’ont pas empêché les autres coureurs de poursuivre leur route, n’a pas entravé le parcours hors du passage de Julien Bernard, n’a pas mis en danger le public ou les autres membres de la caravane du Tour.
Et pourtant, les commissaires de l’Union Cycliste Internationale (UCI), en charge du règlement sportif de la course, ont décidé de punir le Français en lui adressant une amende de 200 francs suisses pour “comportements déplacés” ou “dommages à l’image du cyclisme”. On peut s’interroger sur le comportement qui a pu être “déplacé” ou qui a pu “causer un dommage” à ce sport, alors que les images ont été louées et partagées des milliers de fois durant cette journée. Cela était bien vu comme une réjouissance, et non comme un geste à sanctionner. Mais les commissaires ont décidé d’être strict. Trop strict. Alors qu’ils ont justement bien d’autres combats à mener, pour assurer la sécurité des coureurs.
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