Le 10 décembre dernier, l’Union Cycliste Internationale (UCI) a annoncé la mise en place d’un prochain protocole destiné à mieux détecter les cas de commotions cérébrales en cas de chute dans les compétitions cyclistes, que ce soit sur la route, la piste, le VTT ou en salle. Une première étape nécessaire, mais qui pose encore des questions, notamment pour les épreuves sur route, sur lesquelles la mise en place stricte du protocole s’annonce périlleuse.
La 13e étape du Tour de France 2020 est restée dans les esprits de bon nombre de supporters. Pas seulement pour la victoire dans un sprint à deux du Colombien Daniel Martinez (EF Pro Cycling) face à l’Allemand Lennard Kämna (Bora-Hansgrohe) au sommet de Puy Mary. Surtout pour une chute annoncée à près de 90 kilomètres de ce cime. Des vélos au sol, des coureurs cherchant leur monture, et au milieu de ce peloton de mécaniciens en pic d’adrénaline et de coureurs contraints à l’arrêt, un homme en ciel et brun qui vacille une fois, deux fois. Les fesses sur le sol, Romain Bardet (Ag2r-La Mondiale) apparaît sur les images filmées par l’hélicoptère comme en perte d’équilibre. Le Français décide tout de même de reprendre la route, malgré deux équipiers, une médecin, un mécanicien et un directeur sportif l’entourant.
Après que Bardet a franchi la ligne d’arrivée de cette 13e étape avec seulement une minute et demie de retard sur les leaders slovènes du jour, il se confirme en soirée que ces symptômes affichés en mondovision, sont bien celui d’une commotion cérébrale. Cette confirmation va alors lancer un débat plus vaste autour de la détection des commotions cérébrales dans le peloton, et les mesures à mener en cas de doute. « Je suis content que ça ait lancé un débat, car jusqu’à présent on n’avait pas connaissance d’éventuels protocoles et d’éventuelles mesures de précaution à prendre », confie dans L’Équipe Romain Bardet. « Tout ce que je peux dire, c’est qu’on travaille dur en vue du Tour de France et moi, en forçant un peu le trait, il aurait fallu me mettre des menottes pour ne pas que je reparte. Les médecins ne sont pas à blâmer parce qu’il n’y a pas de protocole justement. J’étais le premier à vouloir repartir ».
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Des questions simples pour détecter
Là est tout le problème. Les cyclistes sont souvent vus comme des êtres surhumains, capables de se transcender au-delà de la douleur. Et cela est vu comme une qualité supérieure, celle-ci est même encensée par le public. La victoire de Philippe Gilbert sur l’Amstel Gold Race en 2017 a pris une autre saveur après avoir découvert une fracture au genou. Tout cycliste qui chute veut absolument retrouver son vélo au plus vite, et reprendre la route. Avec des conséquences qui peuvent être dramatiques sur le plan physique, et dans le cas d’une commotion cérébrale, neurologique.
Maux de tête, perte de mémoire, perte de connaissance, problèmes pour communiquer… Les symptômes d’une commotion cérébrale semblent nombreux, ils n’en sont pas moins difficiles à détecter au premier abord. Dans plusieurs sports, comme le rugby, un protocole a ainsi été mis en place pour répondre d’urgence à un cas possible de commotion. Un test d’urgence nommé HIA1 est ainsi mené directement, sur le bord du terrain. Le joueur est sorti durant dix minutes au maximum pour répondre à des questions rapides et simples sur sa mémoire, l’équilibre ou l’orientation: dans quelle stade joue-t-on ? Quel jour est-on ? Quelle équipe a marqué le dernier essai du match ? Avez-vous des problèmes de vue ? Êtes-vous gêné par la lumière ? Si un symptôme se confirme ou si un doute persiste, le joueur est alors écarté pour un test plus complet, qui demande alors plus de temps et l’analyse de professionnels de la santé.
Des gestes-réflexes pour aider les cyclistes
En cyclisme sur route, il est difficile de demander à un coureur de s’arrêter durant dix minutes en bord de route pour répondre à des questions basiques. C’est donc avec cette problématique en tête que l’UCI a dû préparer un protocole destiné à détecter au mieux les cas de commotion cérébrale, sans mettre en danger les coureurs, et sans perturber l’équité sportive. Ce protocole recommande notamment que les non-professionnels de la santé (à savoir les directeurs sportifs, mécaniciens, entraîneurs et même coureurs) soient formés à la reconnaissance des signes suspects de commotion cérébrale, pour répondre au plus vite à une éventuelle chute. Des gestes-réflexes sont également expliqués dans un dossier remis à l’ensemble des acteurs du cyclisme, afin de comprendre quels gestes sont les plus appropriés et à quel moment.
Ce protocole précise qu’en cas de suspicion par les premières personnes arrivées sur la scène d’une chute ou d’un accident, le diagnostic devra être confirmé par le médecin de course. Si aucun symptôme n’est confirmé, le coureur sera tout de même surveillé par le service médical et un examen standard, avec notamment un test d’orientation dans le temps et l’espace, et un test de maintien de l’équilibre, pourra être réalisé sur demande du médecin. Après la course, tout coureur touché devra passer un examen plus complet, qui sera renouvelé le lendemain matin.
Objectif 2021
Enfin, le protocole de l’UCI propose des recommandations de retour à la compétition à la suite d’une commotion cérébrale. En cas de commotion confirmée, les cyclistes devront être au repos complet durant les 24 à 48 prochaines heures, et ne pourront pas reprendre la compétition avant une semaine suivant la résolution complète des symptômes (et même deux semaines chez les juniors). Et toute commotion cérébrale devra être notée et indiquée dans le dossier médical de chaque coureur et coureuse, pour mieux suivre l’historique neurologique de ces professionnels.
Ce protocole devra être ratifié fin janvier, à l’aube des prochains championnats du monde de cyclo-cross à Ostende, pour une mise en place dès la saison cycliste sur route 2021.
L’UCI prend en tout cas des premières mesures importantes pour aider les cyclistes face à ces chutes qui ont souvent eu des conséquences graves pour la santé de ceux qui font de leur passion un métier. Il reste toutefois encore plusieurs problèmes à résoudre, notamment la barrière de la langue (tous les coureurs ne parlent pas anglais avec aisance). Ou encore la possibilité pour les commissaires de course qui suivent les images en télévision de prévenir le médecin de course en cas de suspicion d’une commotion cérébrale (il est souvent plus facile de voir un coureur à terre depuis une caméra d’hélicoptère, que depuis la caravane des voitures, au sol). Ou la nécessité pour tous les acteurs de la caravane d’apprendre le fameux test HIA1 utilisé en rugby pour le réaliser en compagnie d’un coureur qui vient par exemple de tomber, le temps de le remonter dans le peloton. L’urgence est telle qu’il faut envisager plusieurs options pour détecter au plus vite un problème cérébral. Car les cyclistes, avec l’adrénaline au plus haut, seront toujours prêts à remonter sur leur machine pour enchaîner les kilomètres. Sans se douter du danger qui les guette.
Photo : ASO/Pauline Ballet
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