Paris-Roubaix : une première sur le vélodrome

Alors que le confinement généralisé suite à la crise sanitaire du coronavirus pousse les programmateurs de télévision à faire remonter les souvenirs du cyclisme d’antan, il ne nous reste plus que l’histoire pour se remémorer la compétition cycliste.

Alors que le confinement généralisé suite à la crise sanitaire du coronavirus pousse les programmateurs de télévision à faire remonter les souvenirs du cyclisme d’antan, il ne nous reste plus que l’histoire pour se remémorer la compétition cycliste. L’occasion de vous partager une série particulière, plus personnelle, sur la découverte de ces grandes courses, des yeux d’un passionné.

La Reine des classiques est celle qui m’a toujours le plus impressionné. Les pavés étaient à l’époque la rareté. Du moins, de tels pavés, cassants, décourageants, ne laissant aucun répit à des coureurs qui ne connaissent jamais de telles routes le reste de la saison. La ligne droite vers la Trouée d’Arenberg m’apportait des frissons uniques, le sentiment d’une bataille en passe d’être menée, les cyclistes seuls face à cette tranchée longiligne. Le premier souvenir cycliste qui me revient reste cette chute de Johan Museeuw en 1998. Dans cette Trouée d’Arenberg justement. C’est pour cela que ce secteur pavé reste ancré dans ma mémoire. La jambe en vrac du Lion des Flandres, une amputation envisagée, une fracture de la rotule confirmée quelques heures plus tard, et l’annonce dans les quotidiens du lendemain d’une probable fin de carrière pour ce coureur que j’admirais dans son maillot arc-en-ciel puis dans la tunique bariolée de la Mapei. J’avais 7 ans à l’heure de cette chute. Et déjà, j’essayais de me souvenir par cœur les secteurs qui s’enchaînaient depuis Arenberg. Orchies, Mons-en-Pévèle, le plus long de tous, Camphin-en-Pévèle, le Carrefour de l’Arbre, et enfin le vélodrome de Roubaix. Une classique unique pour son tracé coincé dans le passé, et son arrivée tout aussi anachronique.

Un fantasme imagé

Pourtant, je n’avais encore jamais eu l’occasion de me rendre jusqu’à Roubaix pour découvrir ces routes. La cité du Nord n’était qu’à une heure et demie de la maison, mais je ne voyais ces noms qui jalonnaient l’Enfer du Nord qu’à l’occasion de nos quelques rares promenades en voiture vers la région parisienne. Entre Disney et Paris-Roubaix, les sensations fortes sont différentes. Et si mon père adorait le cyclisme, il n’était pas prêt à enchaîner les kilomètres pour découvrir ses courses préférées sur le bord de la route. « On voit bien mieux à la télévision », répétait-il. Comment lui donner tort alors que les images d’hélico et des motos permettaient de comprendre en quelques minutes une situation de course alambiquée sur ces routes étroites ? Et se rendre sur place signifiait manquer une bonne partie de la course en télévision… Alors, pendant une longue partie de ma vie, Paris-Roubaix restait un fantasme imagé. Certes, j’avais eu l’occasion de profiter de cette étape dingue du Tour de France 2014, durant laquelle Vincenzo Nibali avait commencé à construire son succès final. Mais l’épreuve s’était arrêtée à Arenberg, juste avant la Trouée justement.

C’est finalement en 2017 que je découvrais enfin Roubaix, cette ancienne cité du charbon et du textile qui se transformait au fil des rénovations des précédentes gloires de la ville du Nord. Un voyage réalisé avec mon ancien collègue de Sudpresse et véritable mentor sur ces courses, Éric Clovio. Il connaissait déjà tous les recoins de la région et pouvait donc m’indiquer sans grande difficulté comment rejoindre le vélodrome, où la ferveur s’installe depuis la veille. Avec, auparavant, un passage traditionnel devant un bar-tabac de Lannoy, à cinq minutes du vélodrome, pour lire L’Equipe et La Voix du Nord du jour. Un petit commerce qui voit cet engouement dominical de loin, entre le café et le picon-bière du dimanche matin. « Ca va ? », lance le patron, en chœur avec les clients, qui demandent tous un serrage de mains dans les règles, même si c’est notre première entrée dans ce café. Dans le quotidien local, on enchaîne les pages spéciales entre la cyclo de la veille, sur ces mêmes pavés du Nord, et la présentation de la course du jour, avec une double page uniquement consacrée au parcours détaillé, avec horaires et indications précises pour profiter de l’épreuve au bord des routes. La parfaite info-service pour tous les fans de la Petite reine, et pour les amateurs régionaux.

Entrée dans l’arène

Quelques kilomètres plus loin, après avoir dû négocier avec un policier pour rentrer dans le parking prévu pour la presse, sur la zone d’arrivée, on découvre de l’arrière le large espace sportif adossé au vélodrome. Les camions dédiés à la production télévisée s’enchaînent derrière l’estrade principale, les commentateurs préparent leurs papiers entre deux sandwiches, le public attend patiemment aux portes du vélodrome que celles-ci s’ouvrent dès 13h00. Privilège de la presse : les journalistes peuvent déjà pénétrer dans le vélodrome et découvrir cette piste rénovée dix ans auparavant, juste pour le passage de ces Paris-Roubaix destinés aux pros, aux juniors (le même jour) et aux espoirs (traditionnellement en juin). Nous voici sur ce béton bruni, celui qui a vu tant de stars le fouler pour 500 mètres vers l’histoire. Les grandes bâches publicitaires pour faire la promotion de la région et des partenaires de la course sont déjà installées, tout comme la ligne d’arrivée. Une double ligne blanche, comme s’il s’agissait d’une simple épreuve régionale. La simplicité même. Une photo pour le souvenir, quelques repérages pour savoir où se placer au milieu de ce vélodrome lorsque les héros se présenteront pour l’arrivée, et on se déplace quelques dizaines de mètres plus loin, dans un autre vélodrome, le Jean Stablinski, un vélodrome couvert qui sert de salle de presse lors de la Reine des classiques.

Du musée fermé aux douches ouvertes

Eric me propose d’aller découvrir le café Le Pavé, situé juste à l’entrée du vélodrome, où un mini-musée de l’épreuve a été érigé pour redécouvrir l’histoire de cette course. Malheureusement, notre arrivée béate a été coupée par les barrières Nadar installées par un sponsor, laissant l’accès à ce café aux seuls invités de ce partenaire. Le Pavé privatisé. L’Histoire attendra. Un employé du Vélo Club de Roubaix nous offre tout de même une entrée discrète dans un autre temple roubaisien : les fameuses douches à l’arrière du café, celles-ci qui bénéficient chacune d’une plaque rappelant l’un des vainqueurs de l’Enfer du Nord. Une ambiance froide en l’absence des coureurs, les frissons l’emportent quand on découvre les plaques de Tom Boonen, Eddy Merckx ou Roger De Vlaeminck. Pas le temps de pavoiser : les juniors sont déjà à l’approche du vélodrome pour une arrivée trois heures avant les professionnels. Sur le vélodrome, ils arrivent à une demi-douzaine, dont le jeune wallon Sébastien Grignard. Mais à l’arrivée, c’est celui qui avait déjà atteint le premier le vélodrome qui s’impose : un certain Tom Pidcock, terreur des labourés chez les jeunes, habitué des chemins de caillasses.

La loi du plus rapide

Retour au Stab’, le vélodrome-salle de presse, pour suivre la course majeure, où les chutes et problèmes mécaniques s’enchaînent pour les favoris. Peter Sagan et Greg Van Avermaet en sont les principales victimes mais aujourd’hui, le champion olympique semble clairement l’un des plus forts, tandis que la machine Quick Step se grippe pour la dernière de Tom Boonen. Le champion belge des pavés ne peut dévoiler sa meilleure condition pour l’ultime épreuve de sa grande carrière, il ne sera pas forcément déçu, à l’arrivée. Car devant, les meilleurs étaient partis. Dont Van Avermaet, plus chanceux dans les 40 derniers kilomètres, qui s’occupait de vaincre au sprint Zdenek Stybar, Sebastian Langeveld, le jeune Jasper Stuyven (révélation de ces Flandriennes) et Gianni Moscon (le nouveau classicman italien ?). Un quasi-Grand Chelem printanier pour Van Avermaet, seulement battu par Gilbert sur le Tour des Flandres, une semaine plus tôt. Boonen finit pour sa part dans un premier peloton qui a bien failli reprendre ce groupe de tête, échouant à seulement une douzaine de secondes sur la ligne. Sur la pelouse au milieu du vélodrome, l’Enfer du Nord se poursuit. Pour les journalistes du moins. Qui essaient de se faufiler entre les soigneurs et les coureurs pour recueillir des premières réactions auprès de coureurs encrassés, poussiéreux, usés, crevés. Un coca ou un bidon d’eau sucrée sont nécessaires pour reprendre des esprits et refaire le fil de la course. Les plus patients attendent poliment que le coureur retrouve une certaine respiration, les télévisions ont par contre un timing plus court et poussent très souvent le coureur à réagir avant même qu’il se souvienne de sa position à l’arrivée. La loi du plus rapide s’impose.

En presse écrite, on a la chance de pouvoir prendre un peu plus de temps. Pas trop longtemps non plus, au risque de manquer les coureurs. Alors, il faut faire des choix pour savoir quels coureurs vont réagir, comment l’angle du papier sera tourné. Pour le vainqueur, voire le podium, on sait que les télévisions auront fait le travail et que les trois premiers seront ensuite disponibles en conférence de presse pour assurer le service après-vente de la classique. Pour les autres, il faut courir, s’arracher et enchaîner les demandes auprès des directeurs sportifs pour obtenir une petite réaction. J’essaie donc d’attraper Jonas Van Genechten, le seul Wallon sur la grille de départ, je tente de récupérer Adrien Petit et Christophe Laporte pour évoquer le bilan français. Il est déjà temps de revenir au Stab’ pour récupérer les déclarations du vainqueur et de ses dauphins. Toujours au sprint, les coureurs ne sont pas là pour nous attendre. Encore heureux, après les six heures de course dans l’enfer qu’ils se sont tapés. 

Après un petit sandwich au fromage et un café offerts par l’organisation, seul ravitaillement d’une journée au galop, l’heure est à un autre sprint : taper le résumé et les réactions de la course du jour, pour informer au plus vite les lecteurs de CyclismeRevue. Dehors, les camions et bus des équipes ont déjà détalé, même pas deux heures après l’arrivée. La nuit semble même tomber au rythme du clavier. Ce n’est pourtant pas un rêve : il est déjà près de 20h00 au moment d’envoyer le dernier texte. Le soleil a fait ses adieux, il est l’heure d’en faire de même avec Roubaix. Heureusement, il y aura d’autres voyages dans le Nord.

Photo : ASO

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