Si la montagne était attendue pour décider du maillot jaune de cette 77e édition de Paris-Nice, les bordures et attaques tardives ont bousculé les habitudes des candidats au général durant cette semaine entre les vents violents et les rudes pentes de la Côte d’Azur. Malgré ces offensives de la météo ou du peloton, l’équipe Sky a mené de main de maître cette “Course au Soleil”, avec la victoire finale d’Egan Bernal et la confirmation que le groupe britannique a encore de belles courses par étapes devant elle.
Egan Bernal complète le succès des Sky
Ça y est, Egan Bernal devient grand. Certes, le Colombien de 22 ans comptait déjà une course par étapes du WorldTour à son palmarès avec le Tour de Californie, remporté l’an dernier. Mais sur Paris-Nice, face à une concurrence bien plus développée, le coureur de la Sky a marqué des points sur tous les terrains, et confirmé qu’il n’était pas qu’un grimpeur sud-américain prêt à lâcher ses adversaires dès que la pente s’élève. Dès les premières étapes, bousculées par le vent, Bernal était tout simplement contre le vent, usant de ses qualités de rouleur pour créer les bordures avec ses équipiers Michal Kwiatkowski et Luke Rowe. Un vrai esprit de Flandrien a envahi le maigre coureur colombien, à peine 60 kilos sur la balance face à des spécialistes plus lourds de près de dix kilos. Cette aisance, il l’a également montrée sur le contre-la-montre à Barbentane, terminant à seulement 15 secondes du vainqueur Simon Yates (Mitchelton-Scott) et 4 secondes de son équipier Kwiatkowski. Suffisant pour voir le maillot jaune avec envie.
Le Team Sky n’a d’ailleurs pas manqué de laisser le leadership au cours de l’étape-reine, la septième vers l’inédit col de Turini. Kwiatkowski était devant Bernal, tel un équipier de luxe, avant de lâcher prise dans les trois derniers kilomètres de cette ascension finale. C’est ensuite Bernal, bien lancé par son compatriote Ivan Sosa, qui a lancé l’offensive, avec Nairo Quintana (Movistar) dans la roue. Bien suffisant pour s’offrir le maillot jaune, au grand dam de Philippe Gilbert (Deceuninck-Quick Step, lire ci-dessous). Et, lors de la dernière étape vers Nice, Bernal a profité de la force de frappe du Team Sky pour rester bien protégé, sans se presser, malgré l’offensive de Quintana pour le déboussoler avant la mi-course. Un duel de Colombiens qui a tourné à l’avantage du plus jeune, encore protégé par Kwiatkowski dans les derniers kilomètres. De bout en bout, l’équipe Sky a mené ce Paris-Nice de main de maître, et Bernal a pour une fois profité d’un vrai rôle de leader, qu’il a également bien géré.
“Je ne réalise pas encore que je viens de gagner Paris-Nice. C’est incroyable pour moi. Surtout, je reçois ce lion jaune (NDLR : celui offert au maillot jaune à chaque fin d’étape par le sponsor). Pour moi, c’est le symbole du Tour de France, et l’avoir sur Paris-Nice, c’est quelque chose de très important pour moi. Je regardais ça avec envie en Colombie”, dit le jeune vainqueur de 22 ans à peine. “Quand certains coureurs bien classés au général ont commencé à attaquer, je savais que je pouvais les suivre, mais je savais aussi que j’avais une très très forte équipe, et qu’elle pouvait contrôler ce type de courses. Donc, ce n’était pas très difficile de rester calme, car je croyais en mes équipiers. Ils ont fait un très très bon boulot. Nairo (Quintana) était très fort mais j’avais aussi une bonne équipe, avec Kwiatkowski, Sosa, Tao (Gaoghegan Hart). Je savais que si je suivais Quintana, j’aurais pu me retrouver seul. J’ai préféré attendre un peu, et rester calme”, confie encore Bernal, bien prêt à prendre le rôle de N.1 du Team Sky sur le prochain Tour d’Italie. Cela passera par de nouvelles prestations très attendues sur des courses plus montagneuses : le Tour de Catalogne (du 25 au 31 mars) et le Tour des Alpes (du 22 au 26 avril).
Philippe Gilbert, fin prêt pour le printemps
Paris-Nice a bien failli mal commencer pour Philippe Gilbert. Bloqué par une chute alors que les bordures se formaient sur la première étape, il a dû mener une chasse de près de cinquante bornes pour chercher le premier peloton, quasiment en solitaire, pour ensuite tenter sans le vouloir une offensive dans les deux derniers kilomètres. Fatigué, il n’avait finalement pu tenir face aux sprinters. Avant de relancer la machine le lendemain, sur une deuxième étape encore une fois menée par les rafales de vent. Après avoir été pris au piège dans un quatrième peloton, Gilbert a encore réussi à forcer son destin en revenant sur le groupe de tête, puis en prenant la troisième place du sprint final à Bellegarde. “Honnêtement, c’est amusant des étapes comme celle-ci. J’aimerais autant que ce soit comme cela toute l’année. Ce sont des conditions de course que tout le monde doit apprécier, je pense, coureurs, suiveurs, spectateurs, journalistes… Certains ne se sont pas amusés peut-être, mais moi je ne m’amuse pas dans les montagnes et on ne me demande pas mon avis”, ironisait le leader de Deceuninck-Quick Step dans La Dernière Heure, confirmant sa bonne forme. Son directeur sportif Tom Steels l’affirme d’ailleurs haut et fort : ce Gilbert-là est aussi fort qu’en 2017, lors de sa victoire sur le Tour des Flandres.
Et sur ce Paris-Nice, Philippe Gilbert ne s’est pas arrêté là. Malgré une chute à 25 km de l’arrivée sur la 4e étape vers Pélussin, le Remoucastrien a encore montré ses gambettes sur la 7e étape, l’étape-reine vers le col de Turini. Pour jouer la victoire ? Cela s’annonçait trop rude dans un groupe de tête de… 39 coureurs, avec plusieurs grimpeurs de renom en son sein. Pendant un long moment, le coureur belge était surtout en route pour le maillot jaune ! Malheureusement, face au retour en verve de Bernal dans les dernières pentes, Gilbert a dû se contenter d’une troisième place provisoire au général : “Je savais qu’entre moi et les meilleurs grimpeurs, cela allait bouger, inévitablement. Je me suis néanmoins accroché, sans connaître exactement les écarts”, confie-t-il au journal Le Soir. Et s’il espérait bien accrocher un Top 10 à la sortie de Nice, les nombreuses offensives entre candidats au général sur la dernière étape autour de Nice ont eu raison de ses ambitions. Philippe Gilbert termine tout de même 15e du général après une semaine souvent passée aux avant-postes, sans trop en faire, comme il l’a prouvé sur ce week-end final. Il peut voir le printemps, et notamment Milan-Sanremo, dans six jours, avec envie.
Une belle semaine colombienne
Outre Egan Bernal, les coureurs venus de Colombie ont montré qu’ils étaient bien les rois de la montagne. Certes, la semaine avait mal commencé avec la chute et la fracture de la clavicule de Rigoberto Uran (EF Education First) dans les bourrasques de la deuxième étape. Avant que Bernal éclabousse de son talent le groupe de tête vers Bellegarde. Sur le contre-la-montre, les coureurs colombiens ont également montré qu’ils étaient prêts à en découdre pour le maillot jaune. Daniel Martinez (EF Education First) a ainsi accompagné Bernal dans le Top 10 du chrono, alors qu’Esteban Chaves (Mitchelton-Scott) et Nairo Quintana se sont montrés dans le Top 20. Tout s’est finalement joué sur ce dernier week-end, entre le col de Turini et les côtes niçoises.
Sur le col de Turini, d’abord. Dans le large groupe d’attaquants de cette 7e étape, Daniel Martinez et Miguel Angel Lopez (Astana) apparaissaient comme les principaux candidats à la victoire d’étape sur le sommet enneigé, avec Simon Yates. Finalement, Martinez et Lopez se sont livrés un superbe duel, finalement dominé par le premier, pour son premier succès sur le WorldTour, à 22 ans. S’il n’a pas encore le palmarès de Bernal ou de Quintana, le grimpeur de Bogota est clairement une valeur sûre pour l’avenir : “J’avais plus de peur du retour de Simon Yates en fait”, lançait-il à l’arrivée, mais c’est bien Lopez qui complétait le succès colombien.
Et le lendemain, c’était au tour de Quintana de lancer l’offensive, avec notamment Martinez dans la roue. Le Colombien de Movistar espérait ainsi surprendre le train Sky avec cette attaque au long cours vers la Promenade des Anglais. Une belle tentative, qui ne mènera qu’à une deuxième place finale au général, à plus d’une demi-minute de Bernal. “Nous n’avons pas gagné mais nous avons essayé tout ce que nous pouvions sur cette dernière étape, où nous poussions que nous avions encore toutes nos chances. C’est vrai que nous avons à peine amélioré notre résultat avec cette attaque, mais je retiens un tas de point positif en regardant la situation globale : mon corps se sent très bien en vue des prochaines grandes courses, nous faisons les choses bien et je continue de prendre du plaisir sur le vélo”, explique Quintana, qui doit surtout regretter le manque d’offensive des adversaires de la Sky (dont il fait partie) sur la 4e étape vallonnée vers Pélussin.
Dylan Groenewegen, le meilleur sprinter du moment ?
Le meilleur sprinter ou le meilleur coureur de bordures ? Car sur les deux premières étapes de Paris-Nice, Dylan Groenewegen (Jumbo-Visma) a parfaitement mené sa barque sur les routes soufflées par Éole. Le sprinter néerlandais a d’abord tenu le bon groupe lors de la première journée de compétition, pour s’imposer face à un “vrai” peloton. Puis il a joué son rôle de porteur du maillot jaune pour prendre la roue de tous ceux qui osaient se placer en tête, avant de remporter en force une deuxième étape consécutive, face au vent, encore une fois. Groenewegen a ainsi réussi sa Course au soleil en dominant bien plus que les sprints massifs : il s’est présenté comme un coureur complet, ce qui lui manquait encore sur ses premières saisons au sein du peloton professionnel.
Le Néerlandais a par contre perdu pied dans le sprint massif de la 4e étape, mal placé et loin du futur vainqueur Sam Bennett (Bora-Hansgrohe), également en tête sur deux étapes de ce Paris-Nice. Mais ses performances dans les étapes de bordures pouvaient laisser penser un futur prometteur dans les classiques pour Dylan Groenewegen. Mais le coureur de 25 ans veut encore patienter. “L’an prochain, je devrais y aller. Si je me focalise sur les sprints, je veux aussi tenter ma chance sur les autres classiques dans le futur. Mais d’abord les sprints, je suis encore jeune”, explique-t-il dans La Dernière Heure. Attention toutefois à ne pas attendre trop longtemps : les classiques du Nord s’apprennent également avec l’expérience, et n’aiment pas trop les novices. Le Néerlandais devra donc être attentif à ne pas se lancer trop tard, alors qu’il semble avoir les qualités pour briller sur ces routes spécifiques.
Thomas De Gendt, inarrêtable attaquant
Pour la troisième fois de sa carrière, Thomas De Gendt rentre de Paris-Nice avec un maillot à pois, symbole du vainqueur du classement de la montagne. Le coureur belge de 32 ans, qui a déjà remporté ce classement distinctif en 2015 et 2018, espérait toutefois faire mieux sur cette première course européenne de son agenda. Sur la quatrième étape vers Pelussin, il était avec Magnus Cort Nielsen (Astana) le plus fort d’une échappée à quatre qui allait se disputer la victoire. Mais le Danois a attaqué avant la flamme rouge, et De Gendt a trop compté sur Alessandro De Marchi (CCC) pour fermer le trou. Celui-ci était déjà fait quand le Gantois s’est lancé à la poursuite de Cort, déjà prêt à lever les bras.
De Gendt a tout de même remis ses ambitions sur le maillot à pois, qu’il a finalement conservé en attaquant sur les deux dernières étapes face à… De Marchi justement. “Nous pouvons parler d’un Paris-Nice réussi pour Lotto-Soudal, mais nous aurions pu gagner trois étapes. Ma prochaine course sera le Tour de Catalogne, où les étapes devraient me convenir un peu plus. Mais avant, il y aura une période de récupération”, confie-t-il à l’agence Belga. Nul doute que le Gantois se montrera à nouveau aux avant-postes en Catalogne, avant de viser un triplé difficile : Tour d’Italie-Tour de France-Tour d’Espagne. Avec une victoire d’étape sur un Grand Tour à ajouter à son palmarès ? De Gendt y croit en tout cas.
Résultats de la 8e étape et classement général final de la 77e édition de Paris-Nice :
Photos : ASO/Alex Broadway
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