« J’ai souffert d’anorexie. J’ai eu ce trouble alimentaire durant près de cinq ans, avec des hauts et des bas, mais les pensées destructrices étaient toujours présentes » : voici comment la cycliste néerlandaise Aafke Soet a révélé sur Instagram l’une des principales raisons qui a mené à sa décision de quitter le peloton professionnel en cette fin d’année. Ex-championne des Pays-Bas chez les juniors, championne d’Europe chez les espoirs et parmi les meilleures rouleuses de sa génération, la coureuse d’Heerenveen a enchaîné les cinq dernières saisons professionnelles chez Ceratizit-WNT (ex-WNT-Rotor) et Jumbo-Visma. Mais après ses meilleures années chez les espoirs, Soet n’a plus obtenu de résultats probants depuis 2018. Un palmarès qu’elle explique par divers problèmes, et notamment un trouble alimentaire, souvent caché dans un monde cycliste où le poids est souvent scruté sous l’angle de la sportive qui fait bien, ou non, le métier.
Je me souviens, dans ma jeunesse, avoir tenu des propos assez durs à l’encontre de coureurs qui avaient pris quelques kilos durant l’hiver. L’exemple le plus frappant était Jan Ullrich. En tant que principal rival de Lance Armstrong, toujours taillé pour le mois de juillet, l’Allemand était surveillé avec insistance, et le fait de le voir avec de l’embonpoint plusieurs mois avant le Tour de France était déjà l’objet de railleries et moqueries sur les forums de l’époque. Et cela continue aujourd’hui : rien que ces dernières saisons, il n’était pas rare de lire des blagues sur Peter Sagan, Alexander Kristoff ou même Geraint Thomas qui auraient pris trop de poids durant l’hiver, selon les esprits négatifs. Tout cela en regardant simplement une photo ou une image venue des courses en direct à la télévision.
Poids de forme
Et dans les commentaires à l’antenne, il n’est pas rare d’entendre des débats entre journalistes et consultants sur le poids de forme de certains, sur la morphologie des uns et des autres… Cela fait partie de la culture cycliste : dans un sport où la gravité joue son rôle, où les grimpeurs doivent être plus légers, mais puissants pour mieux monter, où le moindre pourcentage de graisse en plus est jugé comme un risque de défaite, le poids est scruté comme un paramètre encore plus important que le matériel. Car il s’agit d’un paramètre sur lequel le ou la cycliste peut affirmer sa volonté, sur lequel iel a une vraie valeur ajoutée. Mais c’est aussi une épreuve physique et mentale pour ces cyclistes qui seraient bien plus heureux s’ils n’avaient qu’à s’occuper de leurs entraînements et de leurs données de puissance. Mais la nutrition et la maîtrise de sa morphologie font malheureusement partie des données à prendre en compte pour assurer une saison parfaite.
Cette nécessité d’être toujours à un poids de forme idéal pour une performance a parfois mené à des excès. Mais rares sont encore celles et ceux qui osent en parler ouvertement. L’Australien Rohan Dennis avait osé prendre la parole à l’aube de la crise du Covid-19, affirmant qu’il s’affamait parfois, en raison d’un sentiment de culpabilité permanent. « J’étais arrivé à un point où je pouvais boire une bière, puis me sentir coupable et ne rien manger le lendemain », expliquait-il en 2020 au quotidien australien The Advertiser. La Suissesse Marlen Reusser, double championne d’Europe du contre-la-montre, alertait également sur cette thématique dans le magazine Blick en juillet 2022 : « Il n’y a pas d’étude (sur l’anorexie dans le cyclisme), mais mon impression est que (c’est répandu). C’est un sujet qui me préoccupe ». Elle demande notamment que l’Union Cycliste Internationale prenne des mesures claires et propose des suivis indépendants pour qu’une personne victime d’anorexie évite de participer à une course, vu les risques pour sa santé. « Pour moi, il est important que les coureuses anorexiques ou psychiquement malades ne puissent plus participer aux courses. Si c’était le cas, la perte de poids excessive n’aurait plus d’attrait », ajoutait-elle. « Lors d’une course, il est indispensable d’être en bonne santé. Si une personne malade physiquement et psychiquement y participe malgré tout, c’est absurde ».
“Beaucoup de collègues souffraient aussi”
Et voici donc le témoignage d’Aafke Soet, sur Instagram, annonçant sa retraite sportive à seulement 25 ans. Après avoir bataillé durant près de cinq ans avec ces problèmes d’anorexie.
« Quand j’ai finalement pu apaiser mon esprit, j’ai pu voir les choses plus clairement. J’étais attristée par le fait que beaucoup de collègues souffraient aussi. Souffrir d’avoir des pensées tristes et non saines, avoir le désir d’un corps malsain et de mauvais idéaux de performance… », confirme la Néerlandaise, qui met le doigt sur l’idée qu’une partie du peloton souffre bien de ces problèmes sans qu’ils soient connus ou pris en charge. « Ainsi, je me tourne vers vous. Regardez autour de vous et soyez attentif ! Osez parler, osez poser les questions et osez demander de l’aide ! Et surtout, vous ne savez jamais ce que quelqu’un traverse en silence. La plupart du temps, vous ne voyez pas quand quelqu’un a du mal mentalement. Le plus beau cadeau que vous pouvez donner est votre gentillesse, votre temps et votre amour », conclut la Néerlandaise.
Aafke Soet va désormais poursuivre son travail pour l’association néerlandaise (W)eetwatjedoet, spécialisée dans la gestion des comportements alimentaires dans le sport de haut niveau. Ce nouveau témoignage permet en tout cas de remettre le doigt sur une problématique sanitaire qui doit être prise au sérieux dans les équipes. Principalement dans les équipes qui visent les courses par étapes, où la tentation de faire fondre la masse est plus grande. Comme le confirme Marlen Reusser, l’UCI a les armes pour aider les coureurs et coureuses. Il faut désormais les mettre en place, au risque que d’autres générations tombent dans des problèmes de santé importants…