Sur la plage de Malo-les-Bains, qui offre à Dunkerque un air de station balnéaire, l’euphorie danoise a laissé place à une douce folie franco-belge. À la faveur d’une frontière proche, les supporters en noir-jaune-rouge formaient une foule prête à scander dès l’arrivée du maillot jaune : « Wout ! Wout ! » La sortie du bus pictural de Jumbo-Visma donnait le ton d’une journée consacrée au leader du classement général. Sur la digue, l’ambiance n’était pas encore aussi franche qu’au départ d’une classique flandrienne, elle démontrait toutefois l’impatience du public nordiste de retrouver la caravane du Tour, quatre ans après son dernier passage. Cyclistes amateurs, familles venues pour un t-shirt à pois ou une casquette jaune, touristes désireux de comprendre les codes d’une fête autant populaire que sportive… Malgré la hausse des cas de Covid-19 qui inquiète le Tour avec le retour des masques dans le peloton et autour, la ferveur populaire semble reprendre ses droits sur la course la plus médiatique du monde.
Avec 3 000 mètres de dénivelé au programme, l’étape du jour pouvait bien susciter une belle ferveur populaire. Le final sur la côte d’Opale, avec la côte du Cap Blanc-Nez en apothéose dans les quinze derniers kilomètres, annonçait une bagarre entre favoris ou entre puncheurs, selon les objectifs des équipes. Rester en un morceau à Calais, tel était le message prodigué en début de journée. Consolider un peloton groupé d’ici l’arrivée, tel était l’objectif des quelques sprinters désireux de briller sur cette première étape en terres françaises.
Bien se placer avant le Blanc-Nez
Et si on bousculait les idées reçues ? Une étape comme celle-ci pouvait bien éviter l’habituel écueil de l’échappée matinale reprise à l’aube de l’arrivée en vue d’un emballage massif. L’équipe Quick-Step Alpha Vinyl profitait ainsi d’un vent favorable après la descente du Mont Cassel, après seulement une trentaine de kilomètres de course, pour mener des bordures. Pas de chance : aucune autre équipe n’était encline à suivre le rythme, pas plus que Jumbo-Visma, quelque peu bousculée par cette attaque sans préavis. Cela expliquait-il la nervosité d’un maillot jaune descendant à plusieurs reprises à sa voiture ? Pas de stress, semblait-on répondre au sein de l’équipe néerlandaise, en remontant tranquillement le leader du général au fil des kilomètres.
L’échappée fleuve du maillot à pois Magnus Cort Nielsen (EF Education-EasyPost), qui a franchi les onze premières côtes du Tour en tête (!), et du Français Anthony Perez (Cofidis) ne changeait pas le scénario attendu de cette journée en bord de mer. Les équipes de favoris se livraient bataille sur les routes sinueuses du Calaisis pour affronter la butte d’Escalles en tête. Après la frayeur de Cassel, pas question de se faire piéger sur ces routes soufflées par Éole. « Cela se jouait au positionnement aujourd’hui. Je pense qu’il fallait juste être bien placé car l’effort sur cette côte était d’à peine une ou deux minutes », résume justement Geraint Thomas (INEOS Grenadiers), aux avant-postes avec la Jumbo-Visma au pied de cette ultime colline.
« Un Paris-Nice 2.0 »
Et là, le sprint démarrait. En équipe. La Jumbo-Visma sortait les chevaux : « Je pense que c’était assez évident qu’on allait tenter quelque chose. Stevie (Kruijswijk) nous a bien placés et Tiesj (Benoot) a ensuite lancé dans la côte », raconte Wout van Aert, parfaitement placé derrière ses équipiers pour lancer sa giclette dans les 300 derniers mètres de cette ascension d’un peu plus d’un kilomètre. « Tiesj a tout donné, et on a entendu dans l’oreillette qu’il y avait des dégâts derrière nous. On a juste tout donné et on allait voir ce que ça donnait au sommet », continue le maillot jaune. Jonas Vingegaard n’était pas loin, juste derrière Adam Yates (INEOS Grenadiers), seul adversaire capable de suivre l’éreintant train des abeilles. « On pensait que cela pouvait être un Paris-Nice 2.0 aujourd’hui », analyse Thomas, se remémorant ce triplé réalisé par Van Aert, Christophe Laporte et Primoz Roglic lors de l’étape d’ouverture de Paris-Nice, en mars dernier. « Le plan, à la base, était surtout d’éliminer les sprinters. Mais après, on ne sait jamais », abonde Sepp Kuss (Jumbo-Visma).
Car contrairement à l’exercice de style du printemps dernier, Van Aert affichait cette fois la meilleure explosivité du peloton et se retrouvait légèrement détaché au sommet de ce dernier grimpeur, à seulement douze kilomètres de l’arrivée. « J’ai vu qu’il y avait un petit écart, j’ai un peu hésité pour savoir si j’attendais Vingegaard qui était avec Yates, derrière moi. Mais Jonas était finalement bien placé par rapport aux autres favoris. J’ai donc décidé d’aller seul, c’était 10 kilomètres de souffrance à fond ensuite », commente le champion belge, décidé à enfin s’offrir un premier succès sur cette édition 2022 du Tour de France après trois titres consécutifs de dauphin.
« Difficile d’imaginer ce que sont 20 secondes »
Dix, quinze, vingt secondes : la victoire semblait proche pour le coureur de Herentals. « Wout a fait un gros effort et derrière, cela a longtemps été désorganisé. Ce qui lui a permis de prendre rapidement plus de temps », explique Christophe Laporte, bien placé dans les premières places du peloton pour aider à la… désorganisation. Car les poursuivants ont mis du temps à se regrouper et s’entendre. « On regardait surtout Roglic », explique Geraint Thomas. « Je ne sais pas s’il pouvait vraiment suivre ou non l’accélération de Van Aert. Je suis resté avec lui, on s’est retourné et je me suis rendu compte qu’il n’y avait que moi, Roglic et Dani (Martinez). On s’est alors dit qu’on pouvait continuer après le sommet. Puis on a vu que Vingegaard était devant avec Yates. On a alors essayé de mener la poursuite, mais tout le monde est ensuite revenu : Vlasov, Pogacar… » « J’ai puisé vraiment loin dans la montée du Cap Blanc-Nez », résume Tadej Pogacar (UAE Team Emirates). « J’étais un peu mal positionné au pied de la côte, j’ai dû revenir de loin pour me replacer aux avant-postes. Mais la forme est bonne ». Il se replaçait ainsi avec le reste du peloton, au sein duquel plusieurs sprinters avaient encore la prétention de rentrer.
Mais Van Aert, dans son style de rouleur puissant, ne laissait rien à ses rivaux. La vingtaine de secondes d’avance restait une réalité à deux kilomètres de la ligne. « Quand tu es seul en tête, c’est difficile d’imaginer ce que représentent 20 secondes. J’avais du mal à comprendre quelle avance j’avais. Je ne savais pas trop comment cela s’organisait, on me disait juste qu’il y avait seulement deux coureurs qui se relayaient. Finalement, c’est passé, c’est fou ! », se réjouit le maillot jaune, qui a pris le temps sur la ligne de féliciter tous ses équipiers, arrivés un par un sous le soleil de Calais. « C’est spécial de gagner avec le maillot jaune. Ce maillot donne des ailes », souriait-il encore, en référence au sponsor qui décore son casque depuis le début de la saison. « Le fait qu’on puisse ainsi établir un plan et que celui-ci se déroule parfaitement, cela nous donne une grande confiance pour la suite », se réjouit pour sa part son équipier Sepp Kuss.
Philipsen lève les bras trop tard
Huit secondes après Van Aert, le peloton franchissait la ligne avec à sa tête Jasper Philipsen (Alpecin-Deceuninck). Avec les bras levés… « Pendant trois secondes, je pensais que j’avais gagné. (…) J’ai vu Van Aert devant juste après avoir levé les bras, j’ai compris que j’étais encore deuxième. Mais je pense que j’aurai encore une chance sur ce Tour », affirme le jeune sprinter campinois, le visage marqué par la déception. « C’est vraiment dommage pour Philipsen. C’est toujours facile de rigoler avec ça sur les réseaux, mais il veut vraiment gagner une étape, c’est dommage pour lui », lâchait avec compassion Wout van Aert. Le podium de l’étape est complété par Laporte qui a fait le sprint « pour les points du maillot vert », afin d’assurer à Van Aert une avance confortable sur ses rivaux. Car même si le coureur belge compte aujourd’hui 25 secondes d’avance sur Yves Lampaert (Quick-Step Alpha Vinyl) et 32 secondes sur Tadej Pogacar au général, son principal objectif reste le classement par points, largement dominé après ses trois deuxièmes places et cette victoire. Et dire que des pavés s’annoncent ce mercredi…
Résultats de la 4e étape de la 109e édition du Tour de France (Dunkerque > Calais, 171.5 km) :
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