La semaine dernière, le ministre belge de la Justice Vincent Van Quickenborne a présenté dans la presse son plan destiné à mieux lutter contre l’addiction au jeu. Une série de mesures diverses, dont la plus médiatique d’entre elles : l’interdiction de la publicité pour les jeux de hasards et pour les paris. Le plan n’est pas encore approuvé et doit encore être négocié au sein du gouvernement fédéral. Et au vu des récentes déclarations du parti libéral francophone, opposés à une interdiction pure et simple, ces négociations s’annoncent compliquées.
Cette annonce a des répercussions importantes sur le monde cycliste. Car les sociétés de paris sont devenues ces dernières années des partenaires importants de plusieurs équipes belges, et des équipes d’importance. On songe évidemment à Bingoal, qui est le partenaire-titre de l’équipe Wallonie-Bruxelles de Christophe Brandt ou le second sponsor de la formation Pauwels Sauzen de Jurgen Mettepenningen. Ou encore à 777, qui gère l’équipe de cyclo-cross féminin du même nom chaque hiver. D’autres sociétés sont plus discrètes, mais complètent les budgets comme Napoleon Games qui représente, selon le manager Patrick Lefevere, près de 20% du budget de Quick-Step Alpha Vinyl. C’est même dans l’ensemble du sport belge queles sociétés de paris sont prépondérantes : les autorités du football professionnel se sont également émues de ce projet de Vincent Van Quickenborne et réclamer une réunion, qui a eu lieu cette semaine, avec d’autres fédérations sportives, afin de trouver un terrain d’entente, sans mettre à mal les budgets des équipes sportives.
Tous les patrons d’équipes cyclistes interrogés sont en tout cas unanimes : une interdiction de la publicité pour les sociétés de paris et de jeux de hasard d’ici 2023 serait une catastrophe pour eux. Principalement en raison du délai proposé. Difficile pour ces équipes de trouver en quelques mois des partenaires capables d’offrir des budgets aussi conséquents, entre quelques centaines de milliers et les deux millions d’euros. L’indignation de ces managers est légitime, surtout après près de deux saisons à galérer en raison du Covid-19. Une période durant laquelle et après laquelle de nombreuses entreprises sont moins enclines à laisser un budget pour une promotion via une équipe cycliste.
Le cas Unibet
Pourtant, cette interdiction est une épée de Damoclès qui menace ces équipes depuis bien plus longtemps. Souvenez-vous : en 2007, l’équipe belge fondée sur Palmans Cras et sponsorisée par la société maltaise de paris Unibet.com a été interdite de courir avec son partenaire principal sur le maillot en France et en Belgique. Un conflit qui est monté jusqu’à la Commission européenne qui avait soutenu l’équipe cycliste face aux organisations, dont ASO, qui refusaient d’inviter la formation belge pendant que l’équipe Française des Jeux ou l’équipe Lotto, qui proposaient également des paris à l’époque, avaient l’occasion de participer au Tour de France et à d’autres grandes épreuves.
Depuis lors, l’Union Cycliste Internationale (UCI) a clarifié ses règles de partenariat et toléré que des sociétés de paris sponsorisent des équipes, tant que celles-ci ne mettent pas en avant cette activité. Avec toutefois des différences selon les pays. Le Royaume-Uni a ainsi confirmé son objectif de bannir à terme les sociétés de paris des maillots sportifs, ce qui est déjà le cas en France, où seul la FDJ a droit à une exception, en raison de l’actionnariat majoritaire de l’État français. La Belgique souhaiterait donc suivre cette voie, avec une exception moins clémente pour la Loterie Nationale belge, qui ne bénéficierait que d’un an supplémentaire pour quitter les terrains sportifs.
Cette question de la recherche de sponsors aussi généreux que les sociétés de paris est cruciale dans un monde cycliste qui ne vit principalement que de cet investissement d’entreprises portées vers le partenariat. Les budgets en forte hausse de ces dernières années sont le fait d’entreprises multinationales et de partenaires institutionnels riches comme INEOS, les Émirats Arabes Unis, le Bahreïn… Pour les autres, cette potentielle interdiction en Belgique sera bien plus difficile à avaler, en raison de ce que représentent ces sociétés de paris dans le budget de ces équipes aux multiples sponsors. Et pourtant, sur le plan éthiques, la disparition de ces sponsors semble logique. L’addiction aux jeux d’argent est un mal à conjurer, avec 3 à 6% des citoyens belges concernés par cette pathologie. Un problème de santé publique qui passe par ce type d’interdiction pour enrayer un accès trop simple à ces jeux. Ce n’est qu’une première étape, elle est lourde de conséquences pour certains, ce ne sera pas suffisant si l’accessibilité aux jeux d’argent n’est pas limitée sur Internet, mais ce plan est nécessaire pour mieux lutter contre cette dépendance.
Patrick Lefevere, patron de Quick-Step Alpha Vinyl, propose notamment que les sociétés de paris soient simplement absentes des maillots lors des courses en Belgique mais qu’elles puissent conserver leur logo à l’international. Une concession imaginable vu le cas Unibet de 2006. Mais une concession qui irait à l’encontre de l’esprit de cette loi, destiné à protéger l’ensemble des consommateurs, et non seulement les Belges.
Cela fait bien longtemps que le système économique du cyclisme est remis en cause, en raison d’une trop large dépendance aux sponsors. Cette nouvelle loi peut être l’occasion de réimaginer ce financement, au lieu de simplement déplacer le problème vers d’autres partenaires. Car les sociétés de jeux d’argent, comme les entreprises de tabac ou d’alcool, n’ont plus forcément leur place dans une société qui souhaitent se défaire de ces dépendances.