Le grave accident d’Egan Bernal en Colombie a relancé un débat important sur la sécurité des cyclistes hors des compétitions. Un entraînement sur un vélo de contre-la-montre a-t-il encore un sens sur des routes ouvertes à la circulation automobile ? La sécurité des cyclistes ne passe-t-elle pas par l’interdiction de ce type d’entraînement voire de vélo, même en compétition ? Chris Froome a lancé un débat intéressant.
Depuis deux semaines, les photos et vidéos rassurantes d’Egan Bernal se multiplient sur les réseaux sociaux. Le Colombien se remet doucement mais sûrement de fractures à la colonne vertébrale, à un fémur, à une rotule, aux côtes… Un terrible choc à plus de 60 km/h contre un bus, alors que Bernal s’entraînait sur son vélo de contre-la-montre et n’aurait pas vu l’arrêt de ce véhicule. “La position sur un vélo de chrono est particulière, il faut être le plus aérodynamique possible. En gros, il faut rester la tête baissée et les bras rapprochés. En arrivant à Gachancipa, j’ai regardé devant et il n’y avait rien devant”, rapporte-t-il cette semaine dans le magazine colombien Semana. “C’était un accident, c’est tout. (…) On pourrait éviter certains risques mais je ne peux pas arrêter de m’entraîner sur route ouverte. Sinon je ne gagnerai plus jamais le Tour de France”, réagit en prime le Colombien d’INEOS Grenadiers.
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Et pourtant, l’idée fait son chemin parmi le peloton. Dans l’une de ses dernières vidéos publiées sur sa chaîne YouTube, le Britannique Chris Froome, quadruple vainqueur du Tour de France, a clairement exposé la proposition d’éviter les entraînements avec un vélo de contre-la-montre sur des routes ouvertes à la circulation automobile. Victime lui-même d’un grave accident sur un vélo de chrono lors de la reconnaissance d’une étape du Dauphiné en 2019 (fractures multiples au fémur et au coude droit et à plusieurs côtes), le Britannique se veut prudent : “J’adore rouler un contre-la-montre. C’est un art, c’est une compétence, c’est un jeu de nuances… (…) Mais un vélo de chrono n’est pas vraiment fait pour être utilisé sur les routes comme il l’est lors d’un contre-la-montre. S’il y a un contre-la-montre d’une heure sur le Tour de France, il faut que vous soyez sur votre vélo de chrono pour simuler cet effort. Mais combien de routes connaissez-vous sur lesquelles vous pouvez littéralement rouler une heure sans circulation automobile, sans panneaux de signalisation, sans feux de circulation ? Ces conditions n’existent tout simplement dans le monde réel”, explique Froome.
Des contre-la-montre sur des vélos de route ?
Le coureur d’Israel Premier Tech va même encore plus loin en proposant à l’Union Cycliste Internationale un changement de règlement : “Ne serait-il pas plus uniforme que les contre-la-montre se disputent sur des vélos de route ? Sans doute, je pense que cela permettrait de mieux juger le niveau sportifs et les qualités individuelles de chaque coureur, et plus forcément la recherche et le développement, l’aérodynamisme, le temps passé dans une soufflerie ou les fonds qui vont dans un projet spécifique autour du contre-la-montre”, demande-t-il. La proposition a fait bondir certains dont le double champion d’Europe du chrono et recordman de l’heure Victor Campenaerts (Lotto-Soudal) : “Je ne le suis pas sur ce point. (…) L’évolution du vélo de route se base sur celui du contre-la-montre. (…) Si vous vous entraînez au sprint sur la route, c’est également dangereux. Il faut chercher des parcours adaptés, avec moins de circulation et moins de carrefours. En Belgique, je pense à un large chemin de halage ou au circuit automobile de Zolder”.
L’idée de Campenaerts semble plus faisable et plus logique avec l’évolution du cyclisme. Les entraînements sur un vélo de contre-la-montre ne sont pas un problème, tant que ceux-ci peuvent se faire dans des conditions plus sécurisées. Il n’est pas rare que des équipes cyclistes louent un circuit automobile pour s’entraîner au contre-la-montre par équipes et ainsi travailler à la cohésion du groupe. Pourquoi ne pas envisager les mêmes locations pour s’entraîner au contre-la-montre individuel ? Non pas à charge du cycliste, mais bien de l’équipe qui proposerait ainsi des plages de plusieurs jours pour préparer un contre-la-montre individuel. Certes, la question des dénivelés pourrait se poser sur certains circuits. Mais des circuits divers proposent des pourcentages également, comme à Spa-Francorchamps.
Des circuits pour cyclistes existent même comme le centre du cyclisme de Tom Dumoulin à Sittard-Geleen, dans le Limbourg néerlandais, ou le col du VAM, dans la province de Drenthe, toujours aux Pays-Bas. Une telle idée a un temps été envisagée en Wallonie, à Aywaille ou Namur, mais le projet n’a pas vu le jour. Ce circuit cycliste permet ainsi de disposer de quelques kilomètres totalement fermés à la circulation pour permettre à chacun de s’entraîner en toute sécurité, sans autre interférence. La sécurité des cyclistes passe par ce type d’innovations, et non pas par une régression de la technologie ou une auto-censure de la part des acteurs et actrices de ce sport. Mais il est clair que l’espace routier actuel n’est pas sûr à 100% pour les cyclistes et les professionnels, aussi adroits soient-ils, ne sont pas immunisés contre ces problèmes de partage de la route. Alors, il faut s’adapter, réimaginer. Pour éviter un nouveau drame sur les routes…