Liège-Bastogne-Liège, la Doyenne des classiques, a connu d’innombrables vies, malgré son tracé enjambant toujours deux cités, de la Cité Ardente à la ville des Chasseurs ardennais. Un parcours de puncheurs-grimpeurs s’annonce depuis sa création, traversant les plus belles ascensions des provinces de Liège et de Luxembourg, aux portes des Ardennes. Plus de 250 bornes à travers des paysages angéliques sous le soleil, infernaux sous la pluie voire la neige. Et au final, des vainqueurs audacieux, que ce soit dans l’offensive ou dans l’estocade finale.
Si la Flèche Wallonne se déroulait à quelques kilomètres de la maison parentale, Liège-Bastogne-Liège me semblait, dans mon enfance, à une éternité. Monter le Mur de Huy ne demandait qu’un quart d’heure de VTT. Grimper la Redoute demandait plus d’une heure d’efforts avant d’atteindre le pied du célèbre raidard de Remouchamps. L’idée de conquérir ces ascensions de la Doyenne était donc trop lointaine pour mes cuisses de rouleur et mon embonpoint de coureur du dimanche. Enchaîner ces côtes devant la télévision était déjà une belle tâche pour accompagner ces dimanches d’avril, quelques jours après avoir supporté les coureurs qui menaient la course sur le Mur de Huy. Le triptyque ardennais débuté sur l’Amstel Gold Race le dimanche précédent se terminait une semaine plus tard dans la région liégeoise, à mon grand désespoir. Car cela signifiait la fin de la plus belle période de la saison à mes yeux, celle des classiques printanières. Les courses d’un jour disparaissaient alors des écrans de télévision pour laisser place à une longue période de famine cycliste, du moins sur la télévision belge francophone. Les plus acharnés pouvaient, eux, se rendre sur la consœur flamande pour regarder le Tour d’Italie. Sinon, c’était Liège et puis, ceinture jusqu’au Tour de Belgique, fin mai (et seulement depuis son retour en 2002).
L’annonce de VDB
L’envolée de Frank Vandenbroucke avec Michele Bartoli dans la Redoute puis son attaque franche dans la côte de Saint-Nicolas restent mes premiers souvenirs de Liège-Bastogne-Liège, tant ses exploits avaient fait le tour des journaux le lendemain. L’enfant terrible du cyclisme belge avait annoncé qu’il allait attaquer sur ces deux côtes quelques jours plus tôt, il n’avait pas menti. Son insolence et sa maîtrise de la course l’avaient placé parmi les plus grands. L’exploit était d’autant plus retentissant qu’il devenait ainsi le premier Wallon à trouver le succès sur la plus fringante des classiques du sud du pays depuis Joseph Bruyère en 1978. Même Claude Criquielion, bousculé par Moreno Argentin en 1985 et 1991, n’avait pu trouver le succès. VDB, lui, s’était annoncé et n’avait pas manqué le rendez-vous liégeois. Cette époque était particulière, entre les crises autour du dopage, les annonces d’un éventuel renouveau du cyclisme au lendemain de l’affaire Festina, l’avènement de coureurs étrangers venus de nations éloignées de l’histoire de la Petite reine. Mais Liège-Bastogne-Liège continuait à me fasciner par la difficulté de son parcours, les offensives qui faisaient le sel de son final et les puncheurs qui se disputaient la victoire finale devant le grand GB d’Ans.
Sept arrêts pour une classique
Je découvrais enfin les routes de la Doyenne en 2005. Je venais alors de débuter depuis quelques mois un poste de rédacteur bénévole pour le site Vélo-Club.net et l’un des rédacteurs, également hutois, me proposait de l’accompagner sur Liège-Bastogne-Liège, pour voir les coureurs sur plusieurs points chauds. La Doyenne a en effet cet avantage, comme Paris-Roubaix, de se dérouler le long d’une autoroute, permettant ainsi aux plus rapides de découvrir la course en plusieurs endroits. Nous débutions ainsi sur la Place Saint-Lambert pour la présentation des équipes et le départ avant de nous rendre à Remouchamps, à l’occasion du premier passage du peloton. Nous enchaînions sur le sommet de la côte de La Roche-en-Ardenne, première difficulté répertoriée de la journée, avant de filer directement sur Houffalize, sur les pentes du Mur Saint-Roch, première ascension sur la remontée vers Liège. Déjà, il fallait partir pour rejoindre Stavelot, au début de la côte de la Haute Levée, cette longue nationale vers Francorchamps. Pendant que le peloton enchaînait les offensives, avec notamment l’attaque de Jens Voigt et Alexandre Vinokourov à une septantaine de kilomètres de l’arrivée, nous parvenions à rejoindre la côte de la Redoute, ou du moins la nationale qui l’accompagne, pour voir les coureurs en danseuse sur les pentes à 20% de la colline remoucastrienne. Dernier arrêt : le pied de la côte du Sart-Tilman, à Tilff, avant de retrouver un café pour suivre l’arrivée en télévision. Victoire de « Vino » dans un sprint à deux, après ce qui sera l’une des dernières grandes envolées ambitieuses de cette Doyenne des classiques.
La Gilbert-mania
Malheureusement, je n’ai jamais réitéré l’expérience par la suite, préférant le confort d’un divan à la course menée entre les différents juges de paix de Liège-Bastogne-Liège. Je ne retrouvais finalement l’épreuve qu’en 2011, à l’occasion d’une édition exceptionnelle pour la région. Après avoir enchaîné des succès sur la Flèche Brabançonne, l’Amstel Gold Race et la Flèche Wallonne, Philippe Gilbert arrivait sur la Doyenne avec une pancarte de favori aussi grande que le Palais des Princes-Évêques. Les quotidiens belges étaient alors en pleine « Gilbert-mania » et les reportages s’enchaînaient du côté de Remouchamps, d’où le coureur belge est originaire. J’y participais avec une page consacrée aux préparatifs du fan club, qui installait pour l’occasion une tente sur la Redoute, avec l’espoir de célébrer en fin de journée l’enfant du pays. Et deux jours plus tard, ce dernier répondait présent. Non dans la Redoute, mais dans la côte suivante, celle de la Roche-aux-Faucons, sur laquelle il prenait les devants dès le pied avec les frères Schleck dans la roue. Qu’il s’occupait ensuite de déposer au sprint dans les derniers hectomètres à Ans.
La folie était réelle sur la ligne d’arrivée, et à Remouchamps. Les supporters ne cessaient de crier le nom de « Phil » ou de « Gilbert » tout au long de la cérémonie suivant son quadruplé d’un autre temps. Le coureur avait même besoin de soigneurs transformés en gardes du corps d’un soir pour traverser la foule des gens qui souhaitaient un autographe ou une photo avec le héros du jour. Ce dernier offrait un peu de son temps quand il le pouvait, mais les obligations étaient encore nombreuses. Avant de rejoindre son fief pour célébrer la victoire avec sa famille et son fan club, il devait ainsi prendre le temps d’un restaurant avec ses équipiers et le staff d’Omega Pharma-Lotto à 500 mètres de la ligne, dans un restaurant bien connu de la région, avant de rejoindre Remouchamps après 20h00, alors que la bière avait déjà coulé à flots depuis plusieurs heures. Le temps pour les journalistes d’enchaîner les signes et les pages spéciales pour conter la recette de cet exploit majuscule.
Ans ou Liège ?
Malgré le fait que l’arrivée à Ans a donné lieu ces dernières années à des sprints entre puncheurs qui ne faisaient pas forcément le sel de cette course historique, les vainqueurs de la Doyenne ont souvent surpris, tant l’effort au bout de 250 kilomètres est différent. La force intrinsèque ne suffit plus, il faut encore garder de l’énergie aux abords du Carrefour d’Ans. Dan Martin a filé dans la montée précédant la ligne droite finale, au nez et à la barbe des favoris Joaquim Rodriguez et Alejandro Valverde. Simon Gerrans a surpris ce même Valverde dans un sprint de la dernière chance, l’année suivante. Et que dire de la victoire de Wout Poels, au terme d’une édition épique (la neige avait refroidi les coureurs toute la matinée), qui s’imposait dans un groupe d’une vingtaine d’hommes après la seule et unique montée de la rue Naniot, et ses 600 mètres de pavés à 10% de moyenne, qui ne fut jamais réutilisée par la suite. Elle devait dynamiter la course, cette ultime ascension l’a finalement aseptisée.
Depuis l’an dernier, Liège-Bastogne-Liège a retrouvé la Cité Ardente au terme d’un lobbying intense d’élus locaux et d’une presse unanime sur la laideur de l’arrivée sur les hauteurs d’Ans. L’épreuve avait déménagé dans cette commune limitrophe de Liège en 1992, à la faveur d’une décision sportive de la Société du Tour de France (qui avait repris l’organisation au Pesant Club Liégeois en 1990) et surtout d’une motivation politique du Parti Socialiste liégeois, mené notamment par Michel Daerden, échevin des Sports puis bourgmestre d’Ans à l’époque. Une arrivée au sommet d’une côte, pourquoi pas. Mais aux abords du parking d’un hypermarché… Les images de l’arrivée de la Doyenne des classiques font quelque peu tache par rapport au vélodrome de Roubaix ou à la Via Roma de Sanremo. Les autorités liégeoises ont finalement profité de la fin du contrat liant ASO, organisateur de l’épreuve, et la commune d’Ans, pour proposer une nouvelle arrivée dans Liège, près du parc d’Avroy. Liège avait déjà prouvé qu’elle pouvait accueillir de grandes arrivées cyclistes, comme le Tour d’Espagne en 2009 ou le Tour de France en 2004, 2012 et 2017. Il était désormais temps de valoriser la cité sur la classique qui porte son nom.
Photo de couverture : ASO/Alex Broadway
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