Alors que l’Union Cycliste Internationale (UCI) a confirmé cette semaine la suspension de toute compétition cycliste jusqu’au 1er juin au moins suite à la crise sanitaire du coronavirus, les compétitions cyclistes virtuelles se placent comme une alternative au manque de compétition, à l’absence de publicité, et à la faim sportive des fans de la Petite reine. Un changement de paradigme pour le cyclisme en général ou un simple passage par les rouleaux pour mieux retrouver la route ensuite ?
Sur Eurosport, les rediffusions des grandes courses cyclistes de ces dernières années s’enchaînent. Comme sur la VRT, la chaîne sportive doit se contenter de rediffuser des anciennes épreuves pour garnir sa grille des programmes, orpheline des courses contemporaines qui font émerger des centaines de milliers de fans de vélo devant leur télévision chaque week-end. Et entre ces vestiges du cyclisme moderne, les pubs pour l’application Zwift sont toujours bien présentes.
L’entreprise californienne, lancée en 2014, est devenue l’acteur incontournable du cyclisme virtuel de nos jours. Depuis 2015, la société propose via son application, disponible sur PC, Mac, tablette et les principaux smartphones du marché, de se tester sur des routes virtuelles face à d’autres cyclistes d’intérieur connectés à travers le monde grâce à un « trainer » intelligent, ces outils permettant d’installer tout vélo sur un plateau arrière connecté en Bluetooth à l’ordinateur, la tablette ou le smartphone. Il vous suffit de faire tourner les pédales, et voici que votre personnage à l’écran pédale également et se faufile dans les rues de New York, Harrogate, Richmond, Londres ou encore Innsbruck. Le tout est retranscrit via votre « trainer » intelligent qui s’occupe également d’ajouter de la résistance dans votre coup de pédale dès qu’une pente s’annonce ou de diminuer la résistance si vous êtes en descente ou dans l’aspiration d’un adversaire. Ajoutez des petits bonus au fil des parties, et vous voici prêt à jouer à un jeu vidéo tout en pédalant.
Car Zwift est bien un jeu vidéo, et c’est cela qui lui permet de rendre l’entraînement en intérieur plus attrayant. Auparavant, rouler sur des rouleaux pouvait s’apparenter à des heures d’ennui, avec juste un casque ou un écran pour éventuellement trouver le temps moins long. Avec Zwift et les applications qui se sont lancées sur le même principe ces cinq dernières années, le cycliste se retrouve confronté à d’autres adversaires, se doit de rouler pour atteindre certains objectifs, et a toujours un écran pour lui donner de la confiance ou de la motivation. Il est plus facile psychologiquement de lancer un sprint face à un autre adversaire que lors d’intervalles en solitaire, sans autre récompense.
Des nouveaux talents émergent sur Zwift
Zwift a réussi à s’imposer sur le terrain du virtuel grâce à une approche très ludique et surtout une campagne marketing particulièrement importante autour de sa communauté de cyclistes, très active. Dès 2016, la compagnie américaine lançait la Zwift Academy, une compétition qui a mené à une lutte entre 1200 cyclistes amateurs pour obtenir un contrat professionnel au sein de l’équipe féminine Canyon-SRAM en 2017. Leah Thorvilson, ancienne marathonienne de 37 ans, a ainsi couru pour deux saisons avec l’équipe allemande. En 2017, la triathlète allemande Tanja Erath remportait cette compétition et obtenait un contrat chez Canyon-SRAM (qu’elle a prolongé à deux reprises depuis lors), tandis que la compétition masculine recueillait 9200 participants, la même année, et permettait à l’ancien patineur de vitesse néo-zélandais Ollie Jones d’obtenir un contrat au sein de l’équipe destinée aux moins de 23 ans, Dimension Data for Qhubeka. Ces accords ont permis à Zwift de se placer clairement comme un atout sportif pour ces cyclistes en herbe, et non seulement comme un gadget d’entraînement.
Fin 2018, Zwift annonçait encore la première ligue « eSports » de cyclisme virtuel, avec la participation de cyclistes qui se sont faits un nom sur la plateforme au fil des entraînements, mais aussi de multiples équipes continentales et pro continentales, chez les dames et chez les hommes comme Hagens Berman Axeon, Israel Cycling Academy, Cofidis, le Team Novo Nordisk, Canyon-SRAM, Bigla, WNT-Rotor ou encore Doltcini-Van Eyck. Toutes et tous ont ainsi pris part en 2019 à la première saison de la KISS Super League, une compétition entièrement disputée via le logiciel sur une dizaine de courses.
Impossible aujourd’hui de passer à côté des publicités faisant la formation de cet outil, qui est bien inscrit dans l’imaginaire de tous les fans de vélo, qu’ils soient sportifs ou non. Aujourd’hui encore, profitant du confinement et de l’absence de course cycliste avant un moment, Zwift en profite pour attirer des grands noms. Après des publicités avec Geraint Thomas et Mathieu Van der Poel, l’entreprise américaine se paye désormais les services de Philippe Gilbert et Anna van der Breggen, deux anciens champions du monde, pour faire la promotion de son logiciel, et proposer des balades virtuelles avec des pros. Et les équipes s’y mettent également puisque NTT Pro Cycling et Mitchelton-Scott proposent des sorties d’entraînement durant cette période difficile.
Alors qu’Alpecin-Fenix, dont le leader n’est autre que Mathieu Van der Poel, propose carrément une compétition entre professionnels ce dimanche 5 avril dès 11h00 sur Zwift. L’épreuve aura lieu sur le circuit des championnats du monde de cyclisme sur route à Richmond, en 2015, d’une longueur de 27,6 kilomètres. « Il est désormais clair que l’eRacing est une discipline cycliste spécifique, très différente du cyclisme traditionnel sur route, avec des tactiques et des outils spécifiques. Le Ronde van Zwift est un premier pas vers une nouvelle discipline potentielle dans l’histoire multidisciplinaire de l’équipe », raconte la formation par voie de communiqué, confirmant son envie d’aller sur ce terrain virtuel après les envolées de son leader en cyclo-cross, en VTT et sur la route. Mathieu Van der Poel sera en tout cas de la partie avec notamment le champion de Belgique Tim Merlier, le sprinter italien Sacha Modolo et les autres membres de l’équipe comme Petr Vakoc, Roy Jans, Dries De Bondt, Louis Vervaeke ou encore Kristian Sbaragli.
Bkool, des montagnes aux Flandriennes
Zwift n’est évidemment pas la seule entreprise à proposer ces services en ligne. La compagnie américaine a fait des petits vu son succès grandissant. La marque de home trainers Bkool a ainsi décidé de développer son propre logiciel, qui propose pour sa part des parcours plus complets. Chacun peut en effet créer son itinéraire à partir d’une carte réelle, ce qui permet ainsi à Bkool de proposer de nombreux cols célèbres (Tourmalet, Madeleine, Mortirolo…) ou les finales de certaines classiques (Tour des Flandres, Paris-Roubaix, Liège-Bastogne-Liège…). L’application se veut ainsi complète et l’entreprise a récemment lancé une collaboration avec Flanders Classics, organisateur des principales classiques flamandes du printemps.
Un accord qui prend la forme, ce dimanche, d’une première course virtuelle du Tour des Flandres, organisée en collaboration avec la VRT. Ainsi, ce dimanche après-midi dès 15h30, 13 coureurs pros se disputeront les 32 derniers kilomètres du Tour des Flandres depuis leur domicile, enchaînant le Vieux Quaremont et le Paterberg sur leur home trainer. Alberto Bettiol (EF Education First), tenant du titre, sera ainsi de la partie tout comme OIiver Naesen (Ag2r-La Mondiale), Greg Van Avermaet (CCC), Remco Evenepoel, Yves Lampaert, Zdenek Stybar (Deceuninck-Quick Step), Jasper Stuyven (Trek-Segafredo), Tim Wellens, Thomas De Gendt (Lotto-Soudal), Wout van Aert, Mike Teunissen (Jumbo-Visma), Michael Matthews et Nicholas Roche (Sunweb). Plusieurs coureurs au profil atypique pour les classiques flandriennes seront donc également présents, ce qui confirme que l’épreuve virtuelle sera sans commune mesure avec la course réelle. L’effort sur des rouleaux est bien différent d’un effort physique et tactique sur les routes exiguës d’Audenarde. Mais sur une heure de course à peine, cet exercice sera un premier test intéressant pour savoir si des téléspectateurs vont vraiment se passionner pour une telle compétition. Même si elle est exceptionnelle par son plateau annoncé.
Le cyclisme virtuel a tout de même de beaux jours devant lui et de nouvelles applications viennent encore s’ajouter à l’offre actuelle, avec notamment The Sufferfest, qui fait la part belle à la performance avec des noms d’itinéraires qui veulent bien dire ce qu’ils veulent dire : « Fight club », « A very dark place » ou « Full Frontal » … Il existe également l’application TrainerRoad, qui vous propose pour sa part des entraînements spécifiques sous forme de graphiques et de données métriques, sans autre itinéraire. Le côté ludique est évidemment absent, par rapport aux autres applications citées auparavant mais certains, passionnés par l’effort pur, apprécieront. Comme Laurens De Vreese, le coureur belge d’Astana, qui s’est farci 11h00 d’efforts sur Zwift, pour 368 kilomètres en course virtuelle. Alors que Thomas De Gendt et Ashleigh Moolman-Pasio ont pour leur part été bannis d’une course sur Zwift car ils étaient… trop puissants ! Le drame des algorithmes qui ne font pas confiance aux données purement chiffrées.
Aussi sur Pro Cycling Manager
Et puis, il y a les compétitions de jeu vidéo à proprement parler, non pas derrière un vélo, mais derrière un clavier ou une manette. L’organisation de la Route d’Occitanie a ainsi lancé une compétition sur son édition 2019 via Pro Cycling Manager, le célèbre jeu vidéo de management d’équipe cycliste. 16 joueurs ont ainsi disputé l’épreuve en ligne, vendredi soir, avec des directs sur Twitch et Facebook. Même Kris Boeckmans, de l’équipe B&B Hôtels-Vital Concept, a joué le jeu et tenté de battre d’autres habitués de PCM. Et les organisateurs comptent renouveler l’expérience vendredi prochain, avec 16 autres joueurs. Une belle preuve de la créativité de la communauté cycliste en ces temps de confinement.
https://twitter.com/RouteOccitanie/status/1246373228395839489
Et après le confinement ?
Le cyclisme virtuel prend donc bien de plus en plus de place alors que la crise sanitaire du coronavirus bloque toute compétition. Ce cyclisme virtuel que certains voyaient comme une future discipline en parallèle du cyclisme sur route, devient pour l’instant le doudou de remplacement de certains cyclistes, le temps que la course reprenne. Car il semble difficile d’imaginer Vincenzo Nibali, Greg Van Avermaet ou Oliver Naesen se lancer sur un Milan-Sanremo ou un Tour des Flandres virtuel hors de ce confinement. Tout juste ces courses pourraient-elles un jour devenir une sorte de compétition ludique lors des pauses hivernales, quand les coureurs tentent justement de retrouver le niveau et le rythme de course. En attendant, ces courses virtuelles restent pour l’instant le seul spectacle à se mettre sous la dent, un divertissement qui permet aux fans de vélo de passer un confinement moins long. À voir désormais si ces épreuves en ligne trouveront leurs lettres de noblesse dans le cadre d’une saison habituelle.
Photos : Zwift
Les commentaires sont fermés.