Le roi Pogacar, le retour d’Alaphilippe, le coup du chapeau de Merlier… : les leçons du Tour d’Italie 2024

Le règne sans partage de Tadej Pogacar, le retour victorieux de Julian Alaphilippe, la difficulté des échappées… : voici les cinq leçons retenues de cette 107e édition du Tour d’Italie, sans suspense pour le général mais toujours attrayante pour ses étapes.
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Le Slovène Tadej Pogacar (UAE Team Emirates) gagne la 15e étape du Tour d’Italie 2024 à Livigno. – Photo : RCS Sport/La Presse

Tadej Pogacar à son firmament

Il faut l’avouer, il était difficile d’envisager tout autre favori que le Slovène Tadej Pogacar (UAE Team Emirates) au départ de ce Tour d’Italie. Quelques arguments plaidaient pour un léger suspense, comme le fait que le coureur n’avait pas remporté de Grand Tour depuis trois ans, que son objectif de doubler avec le Tour de France allait potentiellement le brider, que son équipe n’apparaissait pas aussi dominatrice sur le papier que sur le Tour… Des arguments bien faibles face à la domination affichée par le Slovène depuis le début de l’année. Avec sept victoires en dix jours de course, parmi lesquelles le Strade Bianche, le Tour de Catalogne et Liège-Bastogne-Liège, difficile d’imaginer un autre destin que celui du succès sur ce Giro. L’absence de nombreux habitués des courses de trois semaines, plutôt désireux de se faire la guerre sur le prochain Tour de France, a en prime poussé la cote de Pogacar au plus haut. Désolé pour le vétéran Geraint Thomas, le grimpeur-puncheur Daniel Martinez ou l’inexpérimenté Cian Uijtdebroeks, mais leur nom restait bien en dessous des listes de favoris au vu de la forme de leur concurrent slovène.

La force du n°1 mondial s’est rapidement confirmée, dès la première étape sur les hauteurs de Turin. Seul favori capable de devancer le reste du peloton, il a dû batailler face à Maximilian Schachmann (Bora-Hansgrohe) et Jhonatan Narváez (INEOS Grenadiers), plus rapides que lui sur la ligne. Mais dès le lendemain, “Pogi” reprenait son destin en main, profitant d’une montée plus longue, plus à sa guise, pour fêter sa première victoire d’étape et son passage en rose. Une bête chute dans un virage, à la suite d’une crevaison, aurait pu mettre fin à ses ambitions ou bouleverser la suite de son Tour d’Italie. Pourtant, cette frayeur n’allait en rien perturber le cours des trois semaines suivantes.

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Le Slovène Tadej Pogacar (UAE Team Emirates) à l’attaque sur la 2e étape du Tour d’Italie 2024 à Oropa. – Photo : RCS Sport/La Presse

En contrôle sur les chemins blancs vers Rapolano Terme, il a ensuite conforté sa position de leader sur le contre-la-montre vallonné du lendemain à Pérouse. Sa domination se poursuivait en fin de première semaine, à Prati di Tivo, mais ses principaux uppercuts étaient réservés à la fin de course. Après une nouvelle démonstration sur le deuxième chrono du Giro, cette fois débordée par celle du champion d’Italie Filippo Ganna, Pogacar affirmait définitivement sa place de n°1 avec plus de deux minutes d’avance sur ses rivaux à Livigno, encore quelques dizaines de secondes de plus le lendemain sur le Monte Pana, au bout d’une étape rabotée par la neige, et près de deux minutes, encore, sur le Passo Brocon, au cœur de la 17e étape. Ces diverses offensives démontraient le contrôle parfait du Slovène tout au long de ces trois semaines : certes, “Pogi” a usé de l’énergie dès les premières étapes, mais il a profité des contre-la-montre et des étapes de montagne les plus rudes pour creuser l’écart avec ses adversaires.

S’il a donné l’impression de s’user au fil des trois semaines, il se confirme que le Slovène a surtout visé juste, s’imposant quasiment à chaque fois qu’il est passé à l’attaque. Seuls Narváez, Valentin Paret-Peintre (Decathlon Ag2r La Mondiale Team) et Georg Steinhauser (EF Education-EasyPost) ont finalement réussi à briser l’hégémonie de Pogacar. Certes, avec la bonne volonté du maillot rose, comme cela s’est confirmé sur l’avant-dernière étape autour du Monte Grappa, durant laquelle le Slovène souhaitait visiblement laisser Giulio Pellizzari (VF Group-Bardiani CSF-Faizanè) l’accompagner, mais l’échappé italien n’a pu suivre le rythme effréné du leader, qui a établi un nouveau record au sommet du “Mont Ventoux” des Dolomites. Ses efforts ont évidemment attiré des suspicions, au vu de la puissance dégagée sur ces cols mythiques. Il reste que ces records ont été établis à chaque reprise sur des moments choisis, par un coureur qui a confirmé son exception depuis le début de sa carrière. Difficile de donner plus de crédit à ces doutes en l’état.

À 25 ans, pour sa sixième saison parmi les professionnels, Tadej Pogacar semble dans la meilleure forme de sa carrière, dispose d’une très large expérience dans la lutte pour les Grands Tours et démontre une aisance technique comme peu d’autres dans le peloton. Face à une opposition ne disposant pas des mêmes armes en montagne ou contre le chrono, cela donne des écarts absolument vertigineux. On a même failli avoir plus de dix minutes entre le premier et le deuxième du général, ce qui n’était plus arrivé sur le Giro depuis… 1965, lorsque l’épreuve était presque exclusivement consacrée aux Italiens. Mais “Pogi” n’a pas pris l’épreuve comme une promenade de santé. “Rien n’est facile dans un Grand Tour”, a-t-il confié lors de la conférence de presse suivant sa sixième victoire d’étape. “J’ai connu des petits problèmes de santé, ou des allergies, je ne sais toujours pas, mais j’ai eu ça quelques jours après Naples. Ce n’était donc pas un boulevard, mais nous sommes arrivés ici avec une belle marge sur la deuxième place. On peut être fier et heureux de la manière dont cela s’est déroulé”, a-t-il indiqué. “Je dois quand même dire que c’est l’un des meilleurs Grands Tours que j’ai réalisé dans ma carrière. Je sentais que mes jambes allaient bien tout au long des trois semaines, je vais garder cette mentalité pour les prochaines courses”, a-t-il tout de même admis. La confiance est clairement là en vue du Tour de France. Il restera toutefois à prendre du repos, sans toutefois trop se relâcher afin de garder ces jambes d’exception en vue du mois de juillet. Sacrée équation en vue, mais Pogacar a confirmé qu’il sera tout simplement l’un des grands favoris au maillot jaune. Voire le favori.

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La malchance a eu raison du suspense

Certes, il aurait été compliqué d’envisager une tout autre opposition à Tadej Pogacar, mais celle-ci a tout de même été décimée par les chutes et la maladie. C’est malheureusement inévitable sur le Giro : il y a les routes italiennes qui peuvent surprendre par leur étroitesse et leur sinuosité, et il y a surtout ce mois de mai qui indique une météo changeante, entre un sud plus souvent ensoleillé et les nuages qui peuvent s’amonceler à l’intérieur des terres, avec des températures qui peuvent s’approcher du gel sur les hauteurs. La neige et le froid ont d’ailleurs eu raison de l’une des grandes étapes de ce Tour d’Italie, qui devait franchir le Stelvio à plus de 2.700 mètres d’altitude.

L’Irlandais Eddie Dunbar (Team Jayco-AlUla) a disparu après deux étapes en raison d’une blessure au genou, le Canadien Michael Woods (Israel Premier Tech) a quitté la course sur une commotion cérébrale après trois chutes en cinq étapes, le Kazakh Alexey Lutsenko (Astana Qazaqstan Team) a été rattrapé par la maladie après huit étapes, tout comme le Britannique Simon Carr (EF Education-EasyPost) au bout de trois jours, l’Allemand Florian Lipowitz (Bora-Hansgrohe) a suivi le même chemin avant la sixième étape… Le pompon revient à l’équipe Visma | Lease a Bike qui a dû enchaîner les pertes, depuis Robert Gesink dès la première étape sur une fracture de la main à Cian Uijtdebroeks, la perte la plus rude pour la formation néerlandaise. Le coureur belge de 21 ans devait profiter de ce Tour d’Italie pour se faire la main en tant que nouveau leader sur un Grand Tour.

Cian Uijtdebroeks - Podium 10e étape Giro Tour d'Italie 2024 - RCS Sport La Presse
Le Belge Cian Uijtdebroeks (VIsma | Lease a Bike) sur le podium avec le maillot blanc de meilleur jeune, après la 10e étape du Tour d’Italie 2024. – Photo : RCS Sport/La Presse

Sans pression, il bénéficiait d’équipiers expérimentés tels que Gesink, Jan Tratnik ou Attila Valter pour l’accompagner dans sa quête du maillot blanc de meilleur jeune. La maladie l’a finalement contraint à l’abandon après dix jours de course. Un sacré coup dur au vu de ses prestations convaincantes en montagne et sur le premier contre-la-montre. Cette expérience manquée, il pourra toujours la récupérer lors d’une prochaine Vuelta, si la Visma le veut bien, mais cette occasion de s’affirmer en tant que patron lui est filée sous le nez au pire moment.

On a retrouvé Julian Alaphilippe

Malgré l’absence de favori pour le général (saluons tout de même la huitième place finale du Tchèque Jan Hirt, deux ans après sa sixième place sur ce même Giro) et la présence d’un sprinter pour jouer les victoires d’étape (lire ci-dessous), l’équipe Soudal Quick Step était scrutée, principalement par la presse française, en raison de la présence, pour sa première participation, de l’ancien champion du monde Julian Alaphilippe. Le coureur, cible de critiques de la part du manager de l’équipe Patrick Lefevere en début de saison, a connu un printemps miné par une fracture de la tête du péroné gauche, qu’il a caché au public durant les classiques flandriennes auxquelles il a pris part. Son arrivée sur une course aussi indécise que le Tour d’Italie, connu pour ses offensives, son rythme particulier et ses opportunités pour les échappés, ne pouvait que donner des étincelles. Du moins si le Français retrouvait une meilleure condition physique et mentale, loin des polémiques de ces deux dernières années.

Julian Alaphilippe - Attaque 12e étape Giro Tour d'Italie 2024 - RCS Sport La Presse
Le Français Julian Alaphilippe (Soudal Quick Step) à l’attaque sur la 12e étape du Tour d’Italie 2024. – Photo : RCS Sport/La Presse

S’il n’a pu suivre les meilleurs sur les vallons escarpés de Turin, Alaphilippe a rapidement montré qu’il n’était pas là pour rester dans le peloton, s’échappant à huit reprises. Battu par l’Espagnol Pelayo Sanchez (Movistar) sur la sixième étape dite des “chemins blancs” (strade bianche) vers Rapolano Terme, après en avoir fait beaucoup dans le groupe de tête, l’ex-champion du monde a encore deux patienté trois attaques avant de pouvoir lever les bras. Au bout d’une offensive en duo de plus de 115 kilomètres en compagnie de l’Italien Mirco Maestri (Team Polti-Kometa), Alaphilippe a profité une ultime butte à une quinzaine de bornes de l’arrivée pour célébrer son succès en solitaire, le premier depuis une étape du Critérium du Dauphiné, un an auparavant. Ce succès ne l’a pas rassasié puisqu’il a encore tenté sa chance sur quatre autres étapes, toutes de moyenne ou de haute montagne. Le Français n’affichait pas la même condition qu’à l’occasion de son maillot à pois rapporté en 2018 sur le Tour de France, mais il a mis en valeur son retour aux avant-postes par des prestations qui donneraient envie de le revoir sur le prochain Tour de France au service d’un certain Remco Evenepoel.

J’ai retrouvé mon niveau, en tout cas un niveau qui me permet de me faire plaisir et d’avoir pu décrocher une belle victoire“, s’est-il réjoui dans les colonnes du quotidien français L’Équipe. “Ç’a été long mais le travail a payé, et surtout j’ai pris du plaisir, c’est ça le plus important. Donc ça fait du bien.” C’est certainement ce qui manquait le plus à ce coureur instinctif, prêt à toutes les folies si celles-ci récompensent l’effort et font plaisir au public qui crient son nom. Cela tombe bien, on adore les attaquants au panche en Italie.

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Quand les échappés ne trouvent pas la bonne formule

Seules six étapes ont finalement été dévolues aux échappées sur ce Giro. Contre onze l’an dernier ou dix en 2022. Le Giro était souvent vu ces dernières années comme l’épreuve idéale pour les attaquants au long cours, mais l’adage était moins vrai cette année, en raison d’une lutte féroce pour construire ces fameuses échappées, justement. Cela peut s’expliquer par la présence de nombreuses équipes de sprinters, prêtes à prendre le relais en tête du peloton en cas d’étape pas trop défavorable aux hommes les plus rapides de la meute. Il y a aussi la possibilité que la lutte pour le classement général, rapidement dénuée de suspense, a pu donner des idées à de nombreux coureurs, empêchant la formation d’une échappée viable vu le trop grand nombre de candidats à la victoire. Il y a également le fait que les équipes étaient tout aussi nombreuses à envisager l’échappé, et qui n’hésitaient pas à prendre le contrôle du peloton si aucun de leur représentant n’était présent à l’avant. Voyant les écarts rester particulièrement limités à la suite de ces manoeuvres, le leader du général Tadej Pogacar n’a pas non plus hésité à faire rouler son équipe pour bénéficier d’une nouvelle chance de victoire et d’avantage plus important sur ses rivaux.

Tous ces éléments ont mené à une vie particulièrement difficile pour les attaquants. Les écarts ont rarement dépassé les cinq minutes et si c’était le cas, c’était au prix de longues manoeuvres usantes en début de course. Cela a mené au Giro le plus rapide de l’histoire, favorisé également par la disposition de deux contre-la-montre : le peloton a roulé à plus de 41 km/h de moyenne durant ces trois semaines de course (contre 40,113 km/h lors de la précédente édition la plus rapide, en 2013).

Tim Merlier n’est pas qu’un homme des premières semaines

Absent des Grands Tours la saison dernière malgré une victoire sur le Giro et le Tour en 2021, le sprinter belge Tim Merlier (Soudal Quick Step) avait affirmé en avril dernier ne pas prétendre à une place automatique sur ces courses de trois semaines, se mettant au service de son équipe. La solidarité affichée était belle, mais elle pouvait surprendre au vu du palmarès et de l’aura du coureur venu du cyclo-cross, clairement parmi les meilleurs sprinters actuels du peloton. Ses succès sur deux étapes de l’AlUla Tour, sur trois étapes de l’UAE Tour, sur Nokere Koerse et sur le GP de l’Escaut avaient confirmé au printemps ce statut. Un stage dans les Canaries avec sa compagne et son fils plus tard, le voici sur le Giro pour retrouver le succès sur un Grand Tour. Face aux Jonathan Milan (Lidl-Trek), Fabio Jakobsen (Team dsm firmenich-PostNL), Kaden Groves (Alpecin-Deceuninck), Caleb Ewan (Team Jayco-AlUla), Biniam Girmay (Intermarché-Wanty), Fernando Gaviria (Movistar), Alberto Dainese (Tudor Pro Cycling Team) ou Olav Kooij (Visma | Lease a Bike), les sprints massifs prévus en ce mois de mai s’annonçaient costauds.

Tim Merlier - Victoire 18e étape Giro Tour d'Italie 2024 - RCS Sport La Presse
Le Belge Tim Merlier (Soudal Quick Step) gagne au sprint la 18e étape du Tour d’Italie 2024 – Photo : RCS Sport/La Presse

Pas de surprise : ils l’ont été, avec de sacrés suspenses au fil des étapes. Milan a fait main basse sur le maillot cyclamen du classement par points avec trois étapes en prime dans sa besace, Kooij s’est offert son premier succès sur un Grand Tour et Merlier, parmi cette troupe de solides gaillards, a levé les bras à deux reprises. Dès le premier sprint massif de ce Giro, comme il l’avait déjà fait sur le Tour d’Italie et le Tour de France en 2021, puis deux semaines plus tard, sur la 18e étape vers Padoue. Il a encore confirmé cette force prolongée lors de l’ultime journée de course, dans les rues de Rome, en anticipant avec justesse l’effort de son rival Jonathan Milan (Lidl-Trek). Un soulagement pour l’ancien champion de Belgique, qui termine ainsi son deuxième Grand Tour avec un bilan plus que positif. “Tim Merlier a fait face à la critique non-fondée selon laquelle il ne peut gagner que des sprints en première semaine d’un Grand Tour. Cette idée n’a vécu que chez quelques aigris du clavier, mais c’est bien qu’ils aient aussi perdu leur dernier argument pour parler de lui de manière méprisante. Tim est au top : un homme en or qui ne manque presque jamais un rendez-vous”, a commenté le manager de Soudal Quick Step Patrick Lefevere dans son franc-parler habituel dans sa dernière chronique pour le quotidien flamand Het Nieuwsblad.

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Les résultats finaux de la 107e édition du Tour d’Italie :

Résultats fournis par FirstCycling.com

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