L’équipe B&B Hôtels-KTM « s’arrête » : le cyclisme reste un marché précaire

L’équipe B&B Hôtels-KTM espérait grandir en 2023 et créer une nouvelle structure féminine : tout le groupe est finalement condamné.
Pierre Rolland salue le public au départ de la 1re étape du Tour de France 2021 à Brest - Photo : ASO/Charly Lopez
Pierre Rolland salue le public au départ de la 1re étape du Tour de France 2021 à Brest – Photo : ASO/Charly Lopez

Il a fallu du temps avant que la nouvelle soit confirmée, puis officialisée, preuve de l’espoir vain du manager Jérôme Pineau depuis plus de deux mois : l’équipe B&B Hôtels-KTM « s’arrête », selon ses propres mots confiés mercredi au quotidien français Ouest-France. La veille, Le Télégramme avait annoncé la disparition prématurée de la cellule féminine, qui devait faire son apparition dans les pelotons en 2023. Une trentaine de cyclistes et des dizaines de membres du staff se retrouvent début décembre sur le carreau, sans autre option sur la table. Il faut donc retrouver très rapidement un job dans une autre équipe ou se réorienter, faute de mieux…

Le projet de Jérôme Pineau semblait ambitieux. Dès le mois de juillet, l’ancien cycliste français, à la tête de sa propre équipe continentale pro depuis 2018, annonçait un accord avec la Ville de Paris pour faire grandir sa formation et imaginer la création d’une équipe féminine en prime. Un grand groupe était prédit pour les prochaines semaines afin de boucler le budget supplémentaire. Un budget quasiment doublé : de 7 à 15 millions d’euros ! Et puis, les semaines ont passé. L’Union Cycliste Internationale a présenté en octobre les candidats à une licence WorldTour (Division 1) ou ProTeam (Division 2) et l’équipe B&B Hôtels-KTM ne faisait pas partie de cette liste. Jérôme Pineau précisait plus tard que l’UCI avait en fait accordé un délai supplémentaire à la structure, afin d’assurer le budget nécessaire et boucler un accord avec un partenaire important. Sephora était un temps annoncé, tout comme le groupe Carrefour. Mais ce sponsor n’est finalement jamais arrivé…

« Si l’UCI accordait un délai… »

Ces derniers jours, les départs de Ramon Sinkeldam, un temps pressenti dans le nouveau groupe de Jérôme Pineau, vers Alpecin-Deceuninck, et de Victor Koretzky chez Bora-Hansgrohe, ont mis un nouveau clou sur le cercueil d’une équipe sans avenir financier. Au grand dam de ses employés et des cyclistes qui s’étaient engagés dans ce projet. « J’ai annoncé aux coureurs qu’il n’y aurait pas de projet Continental Pro, c’est sûr. Mais à aucun moment j’ai dit que c’était terminé ! (…) Oui, pour l’instant, ça s’arrête… », se rassure Jérôme Pineau dans Ouest-France, qui a annoncé mardi la fin de la structure féminine avant même sa création, puis mercredi l’arrêt de l’équipe masculine. « On se fiait au fait que si l’UCI accordait un délai à Pineau, c’est qu’il y avait une bonne raison, mais ce n’est pas le cas », explique Eliot Lietaer, l’un des trois coureurs belges de l’équipe, dans le quotidien Het Nieuwsblad. Il fait partie des vingt coureurs annoncés dans le groupe masculin en 2023 et aujourd’hui contraints de chercher une nouvelle équipe dans un marché déjà saturé : Jens Debusschere, Cyril Barthe, Cyril Gautier, Alexis Gougeard, Mark Cavendish, Cees Bol… Même constat pour les quelques femmes qui avaient annoncé leur départ vers la nouvelle équipe féminine de Jérôme Pineau : la Française Audrey Cordon-Ragot, qui espérait se relancer après l’AVC qui l’a terrassée voici trois mois et dont le mari travaille dans le staff de B&B Hôtels-KTM, l’Australienne Chloe Hosking, qui a déjà confirmé sur les réseaux sociaux qu’elle cherchait un nouveau contrat. Rapidement.

Cette triste nouvelle pour toutes les personnes impliquées dans ces projets cyclistes ambitieux confirment malheureusement la précarité de ces équipes, contraintes de faire des pieds et des mains pour sceller des contrats parfois de courte durée avec des partenaires qui peuvent se retirer du jour au lendemain. Il faut un carnet important de contacts qui pèsent, des liens commerciaux solides, une confiance sans pareille… Même les managers expérimentés, à l’image de Patrick Lefevere, à la tête de l’une des plus grandes équipes du peloton depuis plus de vingt ans, a récemment eu droit à une défection (Deceuninck) et dû chercher en urgence de nouveaux accords commerciaux. Et le cas de B&B Hôtels-KTM n’est pas sans rappeler le fameux fiasco de la Manuela Fundacion, cette fondation espagnole qui aurait dû reprendre l’équipe Mitchelton-Scott en 2021. Un sponsor finalement peu fiable et qui a contraint le manager Brent Copeland à reprendre contact avec BikeExchange et Jayco pour assurer l’avenir de l’équipe australienne.

Rachat de licences

Ces dernières années, la tendance dans le peloton professionnel est également au rachat de licences pour assurer la création d’une équipe à moindre frais. Intermarché-Wanty-Gobert en a profité après le départ de CCC, Israel-Premier Tech s’était lancée en reprenant la licence laissée vacante par Katusha, alors qu’UAE Team Emirates a démarré sur les bases de la Lampre. Mais il faut un projet concret derrière : soit grâce à un partenaire prêt à mettre des millions d’euros chaque année (l’homme d’affaires israélo-canadien Sylvan Adams chez Israel-Premier Tech, le magnat émirati Matar Suhail Al Yabhouni Al Dhaheri chez UAE Team Emirates), soit grâce à un projet de longue haleine avec un modèle multi-sponsors qui demande un travail commercial permanent (pour Intermarché-Wanty-Gobert).

Le projet de Jérôme Pineau s’annonçait ambitieux. L’ancien professionnel voulait grimper très vite les échelons pour permettre à une nouvelle équipe française de jouer les premiers rôles aux côtés d’Ag2r La Mondiale, Groupama-FDJ, Cofidis et TotalEnergies. Mais sans partenaire fiable assuré dès l’été, l’aventure semblait compromise. Il fallait certainement revoir ces ambitions à la baisse dès les premiers signes de frilosité, pour éviter que l’ensemble du modèle s’effondre. Mais Jérôme Pineau a voulu garder l’espoir. Un ton qu’il confirme dans ses dernières interviews à la presse française : « Sait-on jamais, on n’est pas à l’abri d’avoir un coup de fil. Mais que les choses soient claires : que ceux qui doivent et veulent partir partent, je ne retiens personne… Après, s’il y a un miracle, j’en rappellerai », indique-t-il dans Ouest-France. Ce pari manqué met aujourd’hui sur le carreau des dizaines de personnes. Il reste à espérer pour elles qu’elles retrouvent rapidement une place dans l’une ou l’autre formation. Mais début décembre, toutes les places sont déjà quasiment prises et vu les budgets déjà serrés, dans un contexte de crise économique au niveau européen principalement (si les entreprises doivent faire des économies, c’est sur la publicité et le sponsoring), il s’annonce compliqué d’obtenir un contrat en 2023. Du moins, un contrat aussi intéressant que la proposition de Jérôme Pineau. Un certain retour à la précarité, malheureusement.

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