Malgré des offensives incessantes, des bordures et des chutes, le Slovène Primoz Roglic (Jumbo-Visma) a remporté ce dimanche à Madrid le premier Grand Tour de sa carrière. À 29 ans, il a tenu tête à bon nombre de favoris pour s’offrir le maillot rouge de cette 74e Vuelta, au nez et à la barbe des leaders de la Movistar et malgré le retour en verve de son compatriote Tadej Pogacar, à peine 20 ans. Surtout, Roglic s’est imposé après une course spectaculaire de bout en bout, encore plus surprenante que le Giro et le Tour de France réunis cette saison.
Primoz Roglic, la force tranquille
Ces trois dernières semaines, Primoz Roglic a quasiment tout connu. La chute dès le contre-la-montre par équipes inaugural à Torrevieja, une nouvelle chute sous l’orage en Andorre, les bordures du côté de Guadalajara, une troisième chute vers Tolède,… Tout au long de l’épreuve, le Slovène de 29 ans est resté impassible, laissant les déclarations tapageuses à ses concurrents. Les quelques légers sourires qu’il laissait apparaître sur le podium ne laissaient pas paraître le moindre doute. Roglic semblait concentré sur Madrid, et n’a que rarement paniqué. Sur cette 17e étape vers Guadalajara, durant laquelle il a perdu plus de cinq minutes sur Nairo Quintana après une journée à plus de 50 km/h, le Slovène a surtout tenté de contrôler ses plus proches adversaires. Sur les étapes de montagne de cette troisième semaine de course, il a joué sa carte défensive, suivant la moindre offensive des Movistar ou des Astana, même si ses équipiers ne pouvaient plus tenir le rythme.
Bref, contrairement au Giro sur lequel il en a fait beaucoup avant de craquer en deuxième partie de course, Roglic a cette fois été plus calme et joué de son expérience pour triompher au bout de trois semaines d’une course intense. « Je n’ai heureusement connu aucune défaillance sur cette Vuelta. Et l’équipe a toujours été très forte autour de moi », explique le Slovène, qui a pourtant eu une frayeur sur la 20e étape, l’ultime en haute montagne. « J’avais mal à la hanche et aux bras suite à la chute de la veille. Je ne me sentais pas au mieux mais j’ai pu résister ».
Roglic n’a jamais attaqué, préférant s’allier au fil des offensives de ses adversaires ou rester dans les roues quand il le jugeait nécessaire. Il n’a eu besoin que du contre-la-montre de Pau pour prendre le pouvoir au général, avant de grappiller des secondes au fur et à mesure des cols, même les plus abrupts. « Je n’ai pas vraiment connu de mauvais moment durant cette Vuelta », assure le leader de la Jumbo-Visma. « On avait comme objectif de remporter ce Tour d’Espagne, mes équipiers ont très bien travaillé pour y parvenir ». Si l’ancien sauteur à skis n’est pas le plus prolixe en interview, il a en tout cas confirmé qu’il est un homme des Grands Tours, et peut espérer obtenir une autre victoire dès la saison prochaine. Même si la concurrence s’annonce rude au sein de la Jumbo-Visma avec Steven Kruijswijk (3e du dernier Tour de France) et Tom Dumoulin (transfuge de la Sunweb)… L’équipe néerlandaise devra faire face à des dilemmes qui ont déjà bousculé le Team INEOS ces dernières saisons.
Classement général final de la 74e édition du Tour d’Espagne :
Tadej Pogacar, l’isolé magnifique
Vainqueur du Tour de l’Avenir l’an dernier à 19 ans, le Slovène Tadej Pogacar (UAE Team Emirates) était déjà annoncé comme un futur talent à surveiller sur les Grands Tours. Aucun observateur n’imaginait pourtant un tel bilan au terme de sa première course de trois semaines. Sur cette Vuelta, le grimpeur slovène a remporté trois étapes de montagne, parmi les plus belles de l’épreuve, et s’offre le maillot blanc de meilleur jeune avec une troisième place au classement général en prime. Et avec la manière s’il vous plaît : sur la 20e étape vers la Plateforme de Gredos, Pogacar a attaqué en solo à plus de 38 kilomètres de l’arrivée pour remporter sa troisième étape et s’offrir une place sur le podium final de cette Vuelta. En plus du talent, il se permet d’y ajouter le panache.
Pogacar est ainsi le premier cycliste âgé de moins de 21 ans à remporter trois étapes sur un Grand Tour depuis Giuseppe Saronni sur le Tour d’Italie 1978. Ce même Saronni qui a ensuite remporté deux Giro et un titre de champion du monde. Pogacar peut donc voir l’avenir avec optimisme. « Je n’aurais jamais pu m’attendre à réaliser quelque chose de tel », confie le leader inattendu d’UAE Team Emirates. « Gagner trois étapes et atteindre le podium sur cette course… Mais c’est bien réel et j’en suis très heureux. Surtout après cette avant-dernière étape. Mon directeur sportif m’encourageait et me motivait, tout en m’informant à propos des écarts. On me criait d’y aller pour la victoire, c’était incroyable. J’étais juste à fond. C’était une belle expérience, mais je veux rester le même. Je ne veux pas que la pression bouleverse ma vision des choses ».
Tadej Pogacar a en tout cas fait preuve d’une grande expérience durant ces trois semaines. S’il a connu un jour sans sur la 18e étape, le Slovène est parvenu à grimper sur le podium de la Vuelta malgré une chute collective avec le reste de ses équipiers dès la première étape. Et il n’a pas pu compter sur l’aide de Fabio Arù, victime d’un virus et contraint à l’abandon à la mi-course. Et le reste de sa formation n’a pas vraiment pu l’épauler comme d’autres favoris dans la haute montagne… Pogacar a tout de même réagi, et s’est même permis d’être l’un des seuls à reprendre du temps à Roglic en Andorre, puis sur la Plateforme de Gredos. Un Slovène en chassera-t-il un autre dans les prochaines années ? « Pogo » en est en tout cas bien capable.
Les Movistar audacieux mais piégés
Arrivée sur cette Vuelta comme l’équipe la plus costaude du peloton, avec deux leaders désignés durant ces trois semaines de course, la Movistar n’a finalement pas réussi son pari. Avec deux coureurs sur le podium avant la dernière étape de montagne de ce Tour d’Espagne, la formation espagnole n’aura finalement droit qu’à la deuxième place. Et si trois coureurs ont pu s’installer dans le Top 10 à Madrid, cela ne suffit pas à confirmer la réussite de la Movistar sur cette Vuelta. Un seul objectif comptait vraiment : le maillot rouge.
Pourtant, les coureurs d’Eusebio Unzue ont tenté de nombreuses offensives pour faire trembler Roglic. Parfois en dépit du bon sens collectif comme cette décision de faire attendre Soler, en tête de l’étape d’Andorre, pour lui permettre d’aider Quintana (ce qu’il n’a pu faire que durant quelques centaines de mètres). Parfois au culot, comme ces bordures réalisées sur la 17e étape vers Guadalajara, l’une des plus rapides de l’histoire des Grands Tours. Cette offensive a permis à Quintana de revenir sur le podium grâce à un avantage de plus de cinq minutes. Alors que Valverde a pour sa part enchaîné les attaques sur les pentes à plus de 10%, espérant lâcher Roglic sur son terrain de prédilection.
La Movistar a même essayé de surprendre le Slovène alors que ce dernier était… au sol. Certes, Roglic n’avait pas chuté à proprement dit, mais s’était retrouvé coincé derrière ses équipiers dans un rétrécissement. Les équipiers de Quintana et Valverde ont alors tenté de bordurer à nouveau, avant de se raviser face aux plaintes d’autres coureurs, estimant immoral d’attaquer quand un leader est retardé de la sorte. La Movistar aurait pu frapper un grand coup en assumant jusqu’au bout cette offensive, elle a préféré éviter les polémiques. Avant de voir le podium de Nairo Quintana s’échapper, principalement car le Colombien ne semblait pas dans sa meilleure condition en troisième semaine. La satisfaction viendra donc d’Alejandro Valverde, finalement deuxième de la Vuelta à… 39 ans : « Je pensais gagner une étape, mais terminer deuxième c’est vraiment excellent« , explique le champion du monde, qui rafle son septième podium sur le Tour d’Espagne en 16 ans !
Miguel Angel Lopez a tout tenté et tout perdu
La dernière journée en montagne de cette Vuelta a été particulièrement cruelle pour Miguel Angel Lopez. Le Colombien d’Astana, qui avait récupéré le maillot blanc de meilleur jeune et la troisième place du général deux jours avant, tentait le tout pour le tout avec ses équipiers sur la 20e étape : Jakob Fuglsang, Omar Fraile, Luis Leon Sanchez ou encore Ion Izagirre attaquaient tour à tour et lançaient Lopez à près de 50 kilomètres du but, pour s’offrir mieux que cette troisième place. Mais au fil de l’étape, Lopez a reculé et dû laisser filer le maillot blanc et le podium final. Il termine finalement 5e à un peu moins de cinq minutes de Roglic.
« Nous espérions idéalement avoir deux ou trois gars dans l’échappée matinale pour ensuite attaquer. Malgré le fait que nous avions personne à l’avant, nous avons tenté, mais cela n’a pas fonctionné », analysait Lopez après cette étape difficile. « J’ai perdu le maillot de meilleur jeune mais ce n’est pas grave, j’en ai déjà d’autres à la maison. J’ai 25 ans, c’était ma dernière chance d’avoir un tel maillot. Il était temps que quelqu’un d’autre obtienne cette victoire, je deviens vieux », se permettait-il tout de même de plaisanter.
Lopez était l’un des grands favoris de cette Vuelta et n’a pas hésité à se mettre en danger, lançant des attaques au long cours sur les étapes de haute montagne. Cela n’a cependant pas porté ses fruits. « Je savais que mes rivaux ne me laisseraient même pas un centimètre de marge. On a essayé au moins », affirme le Colombien, déçu mais réaliste quant à ses chances de victoire. S’il semblait enfin mûr pour trouver la victoire sur un Grand Tour, « Superman » a confirmé qu’il manquait encore d’expérience pour triompher sur trois semaines, et éviter les attaques non-productives.
Philippe Gilbert, de mieux en mieux
S’il avait été moins impressionnant qu’à l’accoutumé lors de sa victoire d’étape à Bilbao, en deuxième semaine de compétition, Philippe Gilbert (Deceuninck-Quick Step) a rapidement montré que sa condition n’allait que grandissante sur cette Vuelta. Acteur de la bordure victorieuse sur la 17e étape vers Guadalajara, le Remoucastrien a profité de la force collective du « Wolfpack » pour s’imposer en force dans le centre de la cité castillane. Pendant que Sam Bennett devait se découvrir pour reprendre Zdenek Stybar, Gilbert faisait parler son explosivité pour revenir sur le champion d’Irlande et le déborder en puissance dans les 200 derniers mètres. Philippe Gilbert s’est ainsi offert deux victoires d’étape, comme en 2012, à deux semaines des Mondiaux.
Le résultat de cette 17e étape peut en tout cas être un exemple de ce que la délégation belge devra montrer lors des prochains championnats du monde au Yorkshire. Le collectif Deceuninck-Quick Step a fait le ménage en Espagne, au tour du groupe belge de faire de même en Grande-Bretagne. Avec Gilbert, Remco Evenepoel, Oliver Naesen ou encore Greg Van Avermaet, l’équipe de Rik Verbrugghe peut clairement réaliser la même course offensive.
Thomas De Gendt a terminé ses trois Grands Tours
Ce dimanche soir à Madrid, Thomas De Gendt a mis fin à sa saison marathon. Le coureur belge de 32 ans a ainsi réalisé son pari : terminer les trois Grands Tours. S’il espérait obtenir une victoire d’étape sur chaque épreuve, le Gantois n’a finalement pu s’imposer que sur le Tour de France. Mais sur les trois Grands Tours, De Gendt n’a jamais cessé d’attaquer, enchaînant les échappées tant en France qu’en Italie ou en Espagne.
Il s’en est toutefois rendu compte : enchaîner trois Grands Tours demande encore plus d’efforts, et cela a fini par faire mal aux jambes de l’attaquant qu’on pensait infatigable. De Gendt a encore tenté de s’échapper sur cette Vuelta mais a dû se résoudre à renoncer aux dernières courses de la saison. S’il était pressenti pour la sélection belge pour les Mondiaux, le coureur de la Lotto-Soudal a refusé une éventuelle invitation, vu son état de forme. Il faudra donc attendre 2020 pour revoir De Gendt en action. De nouveau sur les trois Grands Tours ? Le Gantois n’a en tout cas pas encore pris sa décision.
Photos : Unipublic/ASO/Photo Gomezsport/Luis Angel Gomez et Antonio Baixauli
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