L’Union Cycliste Internationale (UCI) a dévoilé les parcours des courses en ligne des Jeux olympiques 2020, disputés à Tokyo. Tant l’épreuve féminine que masculine partira du centre de Tokyo pour rejoindre le pied du Mont Fuji. Mais les disparités sont importantes : la course pour hommes aura droit à trois cols en plus, que les dames éviteront… Une spécificité qui avait déjà fait débat lors des championnats du monde à Bergen en 2017, et ceux organisés à Innsbruck cette année. Et cette fois-ci, les cyclistes du peloton féminin n’hésitent pas à contester ces décisions.
Après deux années de travaux entre l’UCI et le Comité International Olympique (CIO), les tracés des courses en ligne des prochains Jeux olympiques de Tokyo, en 2020, ont été révélés le 7 août dernier. L’UCI a ainsi dévoilé un tracé montagneux à souhait, comme prévu, avec un départ depuis le centre de Tokyo pour rejoindre le célèbre Mont Fuji, véritable montagne sacrée au Japon. Les coureurs n’iront évidemment pas au sommet situé à plus de 3.700 mètres d’altitude, mais au pied de cette montagne, sur le Fuji Speedway, circuit automobile qui a notamment accueilli la Formule 1 par le passé. Le tracé sera toutefois bien différent entre celui de la course masculine et celui de la course féminine. Au-delà de la distance (qui est toujours moindre pour les épreuves destinées aux dames), ce sont les côtes proposées entre les deux épreuves qui ont fait grincer des dents dans le peloton féminin. Vers le Fuji Speedway, les deux pelotons affronteront la Doushi Road puis le Kagosaka Pass, mais ensuite, les hommes auront droit à deux circuits locaux alors que les femmes devront s’arrêter à un tour du circuit automobile du Mont Fuji. Trop peu selon certaines qui n’ont pas hésité à confier leur désapprobation sur les réseaux sociaux.
“Les coureurs font la course, mais le signal donné par ces courses différentes entre les hommes et les femmes n’est pas celui de l’égalité que le CIO vise”, critique sur Twitter l’ancienne championne olympique et championne du monde Marianne Vos (WaowDeals). “Déçue (encore!) de voir les différences entre les courses en ligne des hommes et des femmes à Tokyo 2020 #égalité”, a pour sa part lancé Annemiek van Vleuten (Mitchelton-Scott) sur Twitter. D’autres se veulent moins critiques et tentent de garder le positif : “Pourquoi être si fâché à propos de la course des JO ? Ne sont-ce pas les coureurs qui rendent la course difficile et attractive ? Nous devons montrer du positif et nous battre pour les choses justes. Allons-y, équipières et amis !”, dit la Française Audrey Cordon-Ragot sur Twitter.
Riders make the race, but the signal that goes out from this different course types for men & women is not the equality #IOC aims for. https://t.co/ktnIQFrBaE
— Marianne Vos (@marianne_vos) August 9, 2018
Il est vrai que les courses féminines ont souvent offert des scenarii plus animés, des attaques plus débridées… La Course a notamment permis de montrer au grand public que même un seul col peut permettre un suspense intense sur ce type d’épreuve. Il serait toutefois intéressant de donner à l’avenir des profils aussi intéressants que ceux des courses masculines afin de juger si le spectacle peut être aussi bon sur les deux épreuves. L’Amstel Gold Race, le Tour des Flandres ou encore Liège-Bastogne-Liège proposent ainsi des parcours plus courts pour les dames mais avec les mêmes juges de paix et des arrivées similaires. Pourquoi pas la course olympique ? Ou même les championnats du monde, organisés par l’UCI elle-même ? Car la fédération internationale n’en est pas à son coup d’essai. Lors des championnats du monde disputés à Bergen en 2017, le Mont Floyen, dernière côte du contre-la-montre individuel messieurs, avait tout simplement été oublié du parcours destiné aux dames. Et lors des prochains Mondiaux en Autriche, en septembre 2018, les dames ne rouleront pas sur le circuit local le plus difficile tracé autour d’Innsbruck, contrairement aux hommes.
Comment l’UCI explique-t-elle tant de différences au fil des années, alors que le président David Lappartient a confié vouloir mettre l’égalité hommes-femmes au cœur de sa politique pour ces prochaines années ? Car de telles disparités ne peuvent mener à une véritable égalité entre les hommes et les femmes. Les cyclistes devraient avoir le droit d’affronter les mêmes difficultés, quel que soit leur genre. Le porte-parole de la fédération Louis Chenaille s’est expliqué sur le cas particulier des Jeux olympiques de Tokyo sur Cyclingtips : selon ce dernier, le cahier des charges de l’organisation oblige un départ de Tokyo pour une arrivée sur le circuit de Fuji Speedway. En outre, les distances maximales sont de 160 kilomètres pour les dames et 280 kilomètres pour les messieurs. Finalement, la course féminine est longue de 137 kilomètres pour un dénivelé de 2692 mètres et la masculine est longue de 234 kilomètres pour un dénivelé de 4865 mètres. “Nous voulions créer les conditions de course qui permettront aux coureurs et coureuses les plus fort.e.s de montrer leur talent mais aussi qui donneront au plus grand nombre de partant.e.s l’opportunité de terminer la course sur le Fuji Speedway. Vu que les courses dames et messieurs se joueront sur des dénivelés extrêmes, il a été décidé de ne pas aller plus loin que ce à quoi les coureurs et coureurs devraient faire face dans des événements similaires dans leur calendrier respectif”, ajoute Louis Chenaille.
Un autre tracé de 146,4 km ?
Certes, les dames ont rarement l’occasion de dépasser les 2000 mètres de dénivelé durant la saison, mais le tracé qui leur est proposé semble plutôt favorable à des cyclistes qui peuvent surpasser un col à mi-course pour disputer un sprint en petit comité sur le circuit automobile du Mont Fuji. Alors que chez les hommes, les grimpeurs et puncheurs seront plutôt attendus vu les trois cols qu’ils devront se farcir d’ici l’arrivée. Certes, vu la distance réglementée, les dames ne peuvent clairement pas se farcir les trois cols finaux de la course masculine. Mais le tracé aurait pu être différent et proposer au moins deux ascensions en plus pour offrir encore plus de spectacle : si l’organisation enlève le tour du Fuji Speedway proposé au terme de la course féminine et le remplace par le circuit de 44,8 kilomètres qui conclut la course masculine, les dames auraient elles aussi droit à la montée du Mikuni Pass (6,5 km à 10,6% avec des passages à 20%) et du Fukuoka Pass avant la descente jusqu’à l’arrivée. Et avec ce changement, la course olympique ne ferait “que” 146,4 kilomètres. Bien en-deça de la distance maximale requise par l’UCI donc.
Si ce dossier peut paraître futile aux yeux de certains, il est pourtant essentiel pour l’égalité entre les hommes et les femmes dans le sport cycliste, là où de nombreux efforts doivent encore être faits. Une belle politique de médiatisation a été mise en place depuis le début du siècle et des initiatives voient le jour grâce à l’UCI et à des organisateurs privés. Mais la fédération internationale doit également regarder au programme qu’elle propose pour les dames, et à ce que ces dernières bénéficient des mêmes avantages, des mêmes primes et donc des mêmes difficultés que les hommes. C’est cela qui peut leur permettre de grandir et de proposer un spectacle toujours plus impressionnant, permettant ainsi à de nouveaux sponsors de s’intéresser au cyclisme féminin. Le cercle vertueux ne peut s’installer que comme cela. Car jusqu’ici, le peloton féminin est encore restreint, avec des femmes qui courent souvent avec un statut de semi-professionnel. Elles ne devraient être qu’une soixantaine à Tokyo contre plus de 130 chez les hommes. Ces dames ont besoin de soutien, et ce soutien passe par l’accès à un sport où l’égalité est prônée dans tous les secteurs.
Photo : ASO/Jacques-Antoine Delevaux