Forza Fabio

La lourde chute de Fabio Jakobsen provoquée par Dylan Groenewegen sur le Tour de Pologne rappelle que les autorités ont encore plus besoin d’écouter les coureurs autour des questions de la sécurité des courses cyclistes.

Une chute à plus de 70 km/h, des barrières qui volent, des coureurs au sol… Des images insoutenables pour tout fan de cyclisme. Le sprint massif concluant la première étape du Tour de Pologne a mené au pire de ce sport. Le champion des Pays-Bas Fabio Jakobsen (Deceuninck-Quick Step) en paye aujourd’hui les conséquences : victime de multiples blessures au visage et à la gorge, il a pu être sorti du coma artificiel ce vendredi, avec l’espoir qu’il puisse rapidement retrouver la vie normale puis une vie dans le peloton. Un drame qui rappelle la dangerosité d’un sport, dont les autorités pourraient pourtant améliorer une sécurité trop longtemps desservie au profit de l’attrait sportif.

L’image a fait le tour des réseaux sociaux, de la presse spécialisée mais également de toutes les télévisions. Une chute si violente reste rare, heureusement, dans le cyclisme professionnel. Celle-ci a ravivé de graves souvenirs. Elle a montré toute la dangerosité du sprint. Elle a confirmé qu’un simple geste à plus de 70 km/h peut tout faire basculer. Ici, c’est le changement de ligne de Dylan Groenewegen et le poids de son corps sur Fabio Jakobsen qui souhaitait le déborder sur la droite, qui a mené le champion des Pays-Bas dans les barrières. À une telle vitesse, impossible d’en sortir indemne : les barrières ont volé, Jakobsen est tombé sur des rails et blocs de béton, avant de percuter un commissaire sur la ligne d’arrivée, les premiers coureurs passant la ligne ont également chuté, dont Groenewegen, victime d’une fracture de la clavicule… Les images se répéteront durant plus de 24 heures sur les chaînes d’information internationales, toujours aussi affreuses. Pendant que les nouvelles sur l’état de santé de Jakobsen tombaient au compte-gouttes : l’équipe Deceuninck-Quick Step voulait logiquement attendre des nouvelles officielles à communiquer aux proches du Néerlandais avant de les révéler au grand public. Ce que l’organisation du Tour de Pologne oubliait visiblement, préférant annoncer directement les derniers communiqués médicaux concernant Jakobsen à la télévision publique polonaise ou sur les réseaux sociaux, avant que l’équipe du coureur ou sa famille soient informés. L’organisation voulait visiblement éviter un nouveau malheur sur sa course, et rassurer au plus vite les supporters de la Petite reine, un an après la chute mortelle du Belge Bjorg Lambrecht sur ces mêmes routes polonaises.

« On ne peut pas laisser passer cela »

Cette chute spectaculaire a logiquement amené une émotion particulière. De la part de supporters, enchaînant les captures d’écran et autres vidéos au ralenti montrant que Dylan Groenewegen pousse Jakobsen contre les barrières. De la part de coureurs, comme José Joaquin Rojas (Movistar), s’indignant de cette arrivée en descente et étroite qui pousse les coureurs à un risque plus élevé. De la part d’organisateurs et responsables, comme Christophe Brandt, patron du TRW’Organisation, remettant en cause ces arguments autour du parcours et accusant à nouveau Groenewegen d’une faute indiscutable. Et de la part du manager de Deceuninck-Quick Step, Patrick Lefevere, réclamant que ce même sprinter de Jumbo-Visma soit « jeter en prison » pour son geste. « Il n’y a pas de compréhension pour cela, c’est une agression. Il pousse vraiment Fabio dans le Nadar. Je n’ai pas été sprinter, mais je suis dans le cyclisme depuis des années et je connais un peu la course. Cette action n’est pas possible », explique-t-il à l’agence Belga, avant d’ajouter : « Une plainte a déjà été déposée auprès de l’UCI et l’équipe fera de même en Pologne auprès de la police. Je pense que je dois déposer plainte ici, vous ne pouvez pas laisser passer cela et vous devez le faire sur place, là où l’accident s’est produit ». Des propos enregistrés jeudi, quelques heures avant que Fabio Jakobsen soit sorti du coma. Ce dernier souffre de multiples blessures au visage, nécessitant une opération de près de cinq heures. Selon le directeur médical du Tour de Pologne, il répond bien aux médecins en anglais, bouge tous ses membres et réagit normalement. L’espoir est qu’il puisse rentrer aux Pays-Bas d’ici deux semaines.

« Je ne veux pas penser au cyclisme »

Dylan Groenewegen, pour sa part, s’est confondu en excuses, via un communiqué de l’équipe Jumbo-Visma, par les mots du manager de la formation néerlandaise Richard Plugge, et ce vendredi soir par le biais d’une interview accordée à la télévision publique néerlandaise NOS. En pleurs, le bras soutenu par une attelle suite à sa clavicule cassée, le sprinter néerlandais reconnaît sa faute et affirme qu’il n’avait pas « l’intention de mettre en danger d’autres coureurs ». Groenewegen a répété qu’il pense avant tout à Jakobsen et ses proches, et que le cyclisme passe au second plan face à ce type de catastrophe. « Je ne veux pas penser au cyclisme ces prochains mois. On verra comment cela se passe après tout ça », confirme le coureur qui a été provisoirement suspendu par son équipe, en attendant une sanction de l’Union Cycliste Internationale. La fédération a en effet lancé une procédure disciplinaire à l’encontre de Groenewegen vu les faits présentés et la plainte de Deceuninck-Quick Step.

Outre cette annonce, l’UCI est restée jusqu’ici très discrète à ce sujet. Les critiques ne sont pourtant pas faibles à l’encontre de la fédération internationale et de l’organisation du Tour de Pologne. Car cette arrivée d’étape à Katowice, sur une ligne droite en légère descente, sur laquelle les coureurs foncent à plus de 70 km/h, n’est pas une première. Il y a déjà eu des chutes sur ces routes les années précédentes, mais celles-ci n’ont jamais été aussi destructrices que cette saison. Czeslaw Lang, directeur du Tour de Pologne, défend pour sa part ce circuit final particulièrement étroit et sinueux. « Ce n’est pas arrivé à cause d’une arrivée mal préparée ou à cause de quelque chose qui manquait… C’était à cause d’une erreur. Je peux comprendre que les sprinters se marchent les uns sur les autres, cela arrive parfois. Mais ici, Groenewegen avait une épaule (contre Jakobsen) et l’a envoyé dans les barrières », lâche l’organisateur. « Les sprinters veulent gagner, ils ont une vue en tunnel. C’est comme cela que ça fonctionne, ils prennent des risques et les acceptent, sinon ils ne gagneront pas. Il n’y a pas moyen de totalement sécuriser la course ».

CPA contre équipes contre organisateurs

Ce n’est pourtant l’avis du syndicat des coureurs, les Cyclistes Professionnels Associés (CPA), présidé par l’ancien champion du monde Gianni Bugno. Le CPA demande notamment que le délégué associé aux discussions autour du protocole en cas de conditions météorologiques extrêmes soit également entendu sur les questions de sécurité en course. « On ne peut plus confier la sécurité des athlètes à la bonne chance ou à l’espoir que l’organisateur agira correctement. Des règles strictes et des contrôles encore plus stricts sont nécessaires. Nous sommes heureux que Fabio Jakobsen se soit réveillé, mais il reste inacceptable que dans une course World Tour, il y ait encore des accidents comme celui dans lequel il était impliqué et dans lequel il a risqué sa vie », estime Gianni Bugno par voie de communiqué. Le CPA a toutefois également été critiqué par Patrick Lefevere, affirmant que le syndicat ne faisait rien pour la sécurité des coureurs. Gianni Bugno explique s’être entretenu avec Patrick Lefevere pour demander que toute les structures du cyclisme, comme l’Association des Groupes Cyclistes Professionnels (AIGCP), l’association des organisateurs de courses (AIOCC) et l’UCI se réunissent ensemble avec le CPA pour discuter de ces problèmes de sécurité, comme cela a pu se faire en marge de la reprise de la saison suite à l’épidémie de Covid-19. « A ceux qui nous disent que changer les règles impose des coûts plus élevés aux organisateurs, nous avons toujours répondu que la vie des athlètes vaut beaucoup plus et que si une course ne peut être organisée en toute sécurité, alors elle ne doit pas avoir lieu », ajoute Bugno.

Un drame, une réaction

« Les coureurs doivent être éduqués et nous sommes les premiers à demander des punitions exemplaires pour ceux qui font des erreurs, mais nous attendons le même professionnalisme de ceux qui organisent un événement et de ceux qui guident notre mouvement », rappelle encore le président du CPA, prêchant pour sa chapelle. Cette phrase confirme toutefois un manque de coordination entre les différentes instances cyclistes pour assurer la pérennité du sport, au-delà des questions financières, largement discutées ces derniers mois suite au coronavirus. La sécurité des coureurs et coureuses revient malheureusement sur le devant de la scène au lendemain de chaque nouveau drame. Le port obligatoire du casque après le décès d’Andreï Kivilev en 2003, les barrières Nadar sans pied et la décision de retirer les objets publicitaires sur les Grands Tours suite à diverses graves chutes sur le Tour de France et le Tour d’Italie dans les années 2000, une nouvelle règlementation autour des véhicules suiveurs et la mise en place d’un permis de conduire plus strict pour les conducteurs dans la caravane des courses professionnelles suite au décès d’Antoine Demoitié en 2016… Les innovations autour de la sécurité des cyclistes sont malheureusement mises en place quand les coureurs ont subi de lourds dégâts, voire pire. Il est donc temps que les organisations de courses cyclistes soient encore plus scrutées pour permettre aux sportifs et sportives de pouvoir faire leur métier en toute sécurité. Cela passe par la conception de circuits moins dangereux, avec moins d’équipements routiers ou de passages à angle droit. Cela passe par des arrivées qui peuvent être techniques mais doivent éviter les obstacles aggravants comme l’arrivée en descente et étroite de Katowice. Cela passe par une meilleure signalisation des points plus dangereux. Cela passe par une meilleure communication avec les coureurs.

L’erreur de Groenewegen est claire, le coureur néerlandais l’admet lui-même. Cette terrible chute n’empêche pas le peloton, l’UCI, les équipes et les organisateurs de voir ce qui peut être amélioré pour éviter un nouveau drame. Le fait qu’une arrivée signalée comme dangereuse par plusieurs coureurs soit relancée au fil des ans confirme que des discussions sont nécessaires, car les points de vue sont différents, tout comme les objectifs (financiers pour l’un, sportifs pour l’autre). Cette chute de Jakobsen doit (encore) servir d’initiateur à un mouvement nécessaire pour la sécurité de toutes et tous. Le cyclisme en sortira grandi.

Photo : Tour de Pologne/ATCommunication

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