Le Tour d’Arabie Saoudite, nouvelle étape d’une diplomatie sportive douteuse

Le Tour d’Arabie Saoudite a débarqué cette année dans le calendrier cycliste. Une énième épreuve organisée au Moyen Orient, destinée à valoriser les paysages de ce pays dont la politique est très souvent condamnée par les associations de défense des droits humains.
Tour d'Arabie Saoudite 2020 - 1re étape - Peloton - ASO Pauline Ballet
Tour d’Arabie Saoudite 2020 – 1re étape – Peloton – ASO Pauline Ballet

Depuis le mardi 4 février, 124 coureurs issus de 18 équipes se disputent le premier maillot vert de l’histoire du Tour d’Arabie Saoudite, nouvelle course par étapes créée par ASO en collaboration avec le gouvernement local. Une énième épreuve organisée au Moyen Orient, destinée à valoriser les paysages de ce pays dont la politique est très souvent condamnée par les associations de défense des droits humains. L’Arabie Saoudite profite de la “diplomatie sportive” pour se donner une belle image, mais que peut faire la communauté cycliste face à ces nouvelles épreuves ? Dans le peloton, on préfère en tout cas se concentrer sur le sportif.

Après le Qatar, le Sultanat d’Oman et les Émirats Arabes Unis, une nouvelle course cycliste par étapes a vu le jour au Moyen-Orient, sous la houlette d’Amaury Sport Organisation (ASO, organisateur du Tour de France notamment) : le Tour d’Arabie Saoudite. Cette course est déjà apparue comme une surprise au moment de sa découverte dans le calendrier cycliste de la saison 2020. Son organisation a pris plus de sens lorsque l’Arabie Saoudite a confirmé la mise en place d’une grande série d’événements sportifs d’envergure durant l’hiver 2020-2021 pour un budget de 650 millions d’euros, au bas mot. Un tournoi de golf international, un Grand Prix de Formule E (voitures électriques), un tournoi de tennis de pré-saison, et même le Dakar, le plus célèbre des rallye-raids qui a quitté l’Amérique du Sud pour découvrir le désert saoudien. Ce dernier événement est en prime organisé par… ASO, qui en a profité pour proposer l’organisation du Tour cycliste d’Arabie Saoudite. Une opportunité pour le gouvernement du roi Mohammed ben Salmane, dit « MBS », décidé à planter le drapeau du pays dans un calendrier cycliste jusqu’ici dominé en février par ses voisins, le Qatar (jusqu’en 2016), Oman, et les Émirats Arabes Unis.  

Comme les voisins

L’Arabie Saoudite est loin d’être un pays de cyclisme : moins d’1% de la population s’exerce à la chose cycliste, et aucun événement professionnel, même un championnat national, n’avait jamais été organisé avant cette arrivée tonitruante de la Petite reine sur les routes ensablées du plus grand pays de la région. Mais dans le cadre de son plan pour 2030 visant à diversifier ses revenus face à la raréfaction des ressources fossiles, l’Arabie Saoudite a compris que la « diplomatie sportive » était l’un des meilleurs moyens de remettre le pays au centre de la région. Alors, pourquoi ne pas imiter les voisins ? Le Qatar a été le premier à se développer sur le cyclisme, avant qu’Oman suive, tous les deux avec le soutien d’ASO. Les Émirats Arabes Unis ont bénéficié pour leur part des ressources de RCS Sport (organisateur du Tour d’Italie) pour lancer les Tours d’Abu Dhabi et de Dubaï, désormais regroupés en Tour des Émirats Arabes Unis. Le pays est même devenu le sponsor principal, via sa flotte aérienne Emirates, de l’ancienne équipe Lampre. Le Bahreïn a suivi avec la création d’une équipe en son nom, désormais associée à la marque automobile de luxe McLaren. L’Arabie Saoudite était donc à la traîne et devait prendre la bicyclette en marche pour s’assurer une présence importante sur la scène internationale. 

“Pas là pour faire de la politique”

Car si le cyclisme n’est pas le sport le plus valorisé en termes de téléspectateurs, il reste le troisième sport le plus prolifique en termes de médailles aux Jeux olympiques et offre une couverture télévisuelle exceptionnelle (plusieurs heures en direct, et les résumés qui suivent), pour un investissement limité. Des images en hélicoptère devant les plus beaux paysages et les attractions touristiques de la région, sous prétexte de diffuser en prime une course cycliste, cela coûte bien moins cher qu’une campagne publicitaire télévisée sur les plus grandes chaînes internationales. L’Arabie Saoudite profite donc de cette couverture d’un autre type pour faire vrombir la machine promotionnelle du pays. L’objectif est clair : dévoiler les joyaux d’un territoire jusqu’ici mieux connu pour ses violations des droits humains, ses assassinats et emprisonnements de journalistes et autres militants, ou ses lois à l’encontre du progressisme social. D’ailleurs, qu’importent ces problématiques, les sportifs venus jusqu’en Arabie Saoudite ne sont finalement présents que pour participer à cet écran publicitaire d’un autre genre. « Nous sommes ici pour une course cycliste, pas pour faire de la politique », lâche ainsi Pierre-Yves Thouault, adjoint du directeur du cyclisme chez ASO, Christian Prudhomme. Une confirmation que l’Arabie Saoudite réussit son tour de force en quelques évènements sportifs. « Je sais ce qu’il se passe ici mais ce n’est pas mon rôle de déclarer quelque chose à ce sujet », ajoute l’une des stars cyclistes présentes à Riyad, Niki Terpstra (Total-Direct Énergie), dans les quotidiens de Sudpresse.  

“C’est bien pour le vélo”

« C’est bien que le cyclisme s’exporte partout, qu’il y ait de nouveaux pays qui accueillent des courses », estime pour sa part le président de l’Union Cycliste Internationale (UCI), David Lappartient, présent en début de semaine en Arabie Saoudite. Un discours conventionnel, attendu de la part d’un responsable qui ne veut voir le cyclisme que comme un événement purement sportif, sans autre implication politique. « Je ne vois pas au nom de quoi des pays auraient le droit d’organiser des épreuves et d’autres pas. On a chacun notre histoire, notre culture et il faut respecter tout cela mais je trouve qu’ici, nous sommes très bien accueillis, avec des gens charmants. Et c’est bien pour le vélo », affirme-t-il encore chez nos confrères de Sudpresse. Les associations de défense des droits humains que sont Human Rights Watch ou Amnesty International estiment pour leur part que ces événements sportifs sont « un écran de fumée, destiné à détourner l’attention de la communauté internationale sur les violations récurrentes des droits humains ». Et c’est sur ce point que le Tour d’Arabie Saoudite revêt une dimension politique. Car même si ASO ou l’UCI veulent se détourner de toute portée symbolique de cette nouvelle course du calendrier, cette dernière vise bien à promouvoir un pays à la politique douteuse, qui ne profite qu’à une minime partie aisée de sa population. Le sport semble être vu comme une activité à portée sociale en Occident, et pourtant, dès que les rentrées financières sont prises en compte, les dirigeants de ces sports semblent oublier cette portée, pour différencier le sport de tous ses à-côtés. Une sorte d’amnésie utile pour s’assurer des revenus et une présence internationale, quitte à bafouer des valeurs.  

Un boycott ?

Alors que faire face à ce type d’organisation ? Les médias belges invités sur place par ASO n’ont pas hésité à publier des articles sur cette problématique des droits humains et de l’étonnante reconversion de l’Arabie Saoudite en tant que pays fan de sport. D’autres médias spécialisés, comme Cyclingnews, évoquent le Tour d’Arabie Saoudite via des résultats bruts, sans autre résumé, ni réaction. Certains sur les réseaux sociaux appellent également les fans de la Petite Reine à ne pas suivre le Tour d’Arabie Saoudite en direct en télévision. Mais face à la force de frappe financière du Tour d’Arabie Saoudite, ces quelques comportements ne feront certainement que peu de mal à un pays qui devrait encore investir durant les trois prochaines années dans cette organisation cycliste. Au grand dam des militants.

Photo : ASO/Pauline Ballet

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